vendredi 1 novembre 2013

C'était ça ma journée!

Voilà pourquoi je n'écris plus aussi souvent. Il est 23 h 30. J'ai ma journée dans le corps, ou plutôt dans les jambes pour être plus précise. C'est comme ça toutes les semaines. Le mardi, je range la banque alimentaire après avoir reçu la commande de Moisson Outaouais. Le mercredi, je prends les appels pour le dépannage alimentaire d'urgence et je commence le tri des fruits et des légumes pour le Petit Marché du vendredi. Le jeudi, je prépare et donne les sacs de dépannage, et je continue de préparer les paniers pour le marché. Alors, après trois jours de station debout et de marchage intensif sur le plancher de béton, j'ai le bas du dos en compote et je me demande comment je vais réussir à tenir une journée de plus. Qu'à cela ne tienne, c'est quand même mille fois plus agréable que de passer la journée assise au bureau comme cela a été mon lot pendant tant d'années. En fait, je devrais dire que c'est mille fois plus nourrissant. Je sais, c'est drôle d'utiliser un adjectif alimentaire alors que je m'occupe essentiellement d'assouvir la faim. Mais c'est le qualificatif qui me semble le plus juste pour décrire le sentiment de plénitude que je ressens à bénévoler à ma chère Soupière.

Vous imaginez bien que je n'accomplis pas cette besogne toute fin seule. J'ai une équipe... qui fluctue continuellement. Sauf M. qui lui est là quatre jours comme moi. Nous sommes devenus inséparables. Nous nous complétons. Mes faiblesses sont ses forces et vice-versa. Même si nous réussissons à accomplir une tâche phénoménale avec nos deux paires de bras et de jambes, nous sommes obligés de recruter si nous voulons survivre. Certains de nos acolytes "surnuméraires" reviennent, d'autres pas. D'aucuns sont fiables, d'autres comme pas pantoute. C'est ça la vie. C'est pour ça que, depuis au moins un an maintenant, devant l'ampleur du travail à abattre et l'anxiété de ne pouvoir le réaliser, je prie tous les matins en me rendant à pied au lieu de ma mission. Je Lui dis : "Bon, là, si tu veux que je continue, va falloir que tu t'arranges pour que nous ayons de l'aide. M. et moi, on peut pas tout faire. Et, tant qu'à y être, donne-moi donc la patience, l'empathie, la capacité d'accueil et toutes ces qualités dont j'aurais bien besoin quand je vais rencontrer les gens aujourd'hui. Fais en sorte que je n'oublie jamais que les personnes sont plus importantes que les boîtes de conserve." Évidemment, Il m'écoute. Je suis donc obligée de continuer. Aussi bien tout vous avouer, je L'ai même mis à l'épreuve. C'était une de ces semaines de fou où je ne pensais pas m'en sortir. Mon équipe était décimée par la maladie, les boîtes de conserve semblaient se multiplier, et les fruits et les légumes entraient plus vite que je n'arrivais à les empaqueter. Il me fallait un miracle. C'est donc ça que je Lui ai demandé ce matin-là. Encore une fois, Il a eu l'oreille attentive puisque j'ai réussi à tout compléter à temps.

Depuis, je Lui demande un miracle par jour. Et je suis toujours exaucée. Mes miracles se présentent sous différentes facettes. Parfois, ce sont les bras dont j'ai tellement besoin pour vider mes poubelles pleines. Mais ce sont aussi, et je crois que ce sont ceux que je préfère, les paroles réconfortantes et les rencontres exceptionnelles parce que totalement inattendues. Justement, aujourd'hui, j'ai eu droit à une de ces rencontres bouleversantes.

Je l'avais remarqué depuis quelques jours. Un petit nouveau. Jeune, l'air perdu. Sympathique par exemple et désireux de donner au suivant. Il a travaillé avec une autre équipe que la mienne jusqu'à cet après-midi où il m'a demandé si j'avais besoin d'aide. J'ai dit oui en ne sachant pas trop à quoi m'attendre comme d'habitude. Il était travaillant. Et, pendant qu'il triait consciencieusement des fruits avec M. et moi dans le sous-sol, il nous a parlé de sa vie. De sa vie d'enfant passée dans un centre juvénile parce que ses parents trop poqués ne pouvaient pas s'occuper de lui. De sa vie de jeune adulte passée dans le monde de la prostitution, de l'itinérance et de la violence. À un moment donné, je ne voyais plus mes raisins au travers de mes larmes. Ça me faisait tellement chier que quelqu'un d'aussi jeune ait vécu des choses aussi dures. Je ne sais pas trop ce qui m'a pris mais j'ai eu envie de le serrer dans mes bras. Et il a accepté mon geste. J'aurais voulu le bercer pour toutes les fois où il aurait dû l'être, lui parler d'amour pour effacer toutes les paroles blessantes qu'il a entendues, l'embrasser pour lui faire comprendre à quel point il est important et qu'il a droit à sa place au soleil comme tout le monde. Il m'a dit qu'il reviendrait m'aider. Je l'espère vraiment.

Il est maintenant passé minuit. Faut que j'aille dormir si je veux être en forme pour le Petit Marché demain matin. Même s'il est tard et que je vais probablement regretter mes heures de sommeil coupées, je devais partager ça pour le sortir de mon système. Y des miracles qui marquent plus que d'autres. Mais ce sont les plus beaux.