Justement, avec Cyril, je n'ai pas arrêté de me poser entre autres la question suivante : comment on fait pour être riche à craquer et ne pas craquer littéralement devant cet état de fait absolument abracadabrant? Si ces magnats le voulaient, ils pourraient soulager une grande partie de la misère humaine qui ne cesse de s'accroître partout dans le monde. Je lisais que Musk, à lui seul, pourrait reconstruire tout ce qui a été détruit par les feux en Californie. Et sans que cela l'empêche de manger trois fois par jour! Eh bien non! Tous ces messieurs (car ce sont évidemment surtout des hommes) n'en n'ont que faire des pauvres hères qui couchent à la belle étoile. Pourquoi? Parce qu'ils sont tous embarqués dans une course effrénée à qui accumulera le premier 1 000 milliards de dollars américains!! Rien que ça.
Alors, mon autre question cette semaine a été la suivante : comment on fait pour se sentir bien dans ce cocon artificiel de bling bling? Comment on arrive à désirer encore des objets quand on a tout et même plus que ce dont on a besoin? Quelqu'un m'a dit que c'était parce que je n'avais jamais eu beaucoup d'argent que je ne comprenais pas la mentalité des gens riches et célèbres. Peut-être...
J'ai donc fait un petit examen de conscience. Est-ce que je changerais si j'étais riche? Est-ce que j'arrêterais d'avoir honte quand je vois des images de personnes couchées sur les trottoirs dans des froids sibériens? Est-ce que je continuerais d'avoir mal quand je vois les longues files d'hommes, de femmes et d'enfants devant les portes des banques alimentaires? Est-ce que je cesserais d'avoir les larmes aux yeux en pensant à tous mes frères et soeurs qui ne demandent qu'un toit au-dessus de leur tête et l'argent nécessaire pour payer les factures? Pourquoi est-ce que je n'ai pas cette ambition de toujours en avoir plus? Pourquoi est-ce que je ne m'inquiète pas plus de mes placements? Suis-je comme la cigale étourdie qui préfère chanter tout l'été jusqu'à ce que la bise emporte ses notes de musique?
Je ne sais pas car il est vrai que je n'ai jamais été riche. Et je ne le suis guère plus aujourd'hui. En même temps, cela dépend toujours de ce qu'on entend par être riche. Je me rappelle de moments plus éprouvants où l'Homme et moi avions de la difficulté à faire toutes les rangées de l'épicerie. Dans les premières années de notre mariage, nous allions au supermarché avec un crayon et un papier pour que l'Homme inscrive méticuleusement le prix de chaque article que je déposais dans le panier. Habituellement, on avait atteint le budget prévu en plein milieu du magasin. Il fallait alors sauter les dernières rangées pour nous diriger vers le comptoir des oeufs et des produits laitiers. Une fois, on avait participé à un concours qui nous avait permis de gagner un bon d'achat de 50$ d'épicerie. J'ai encore le sourire en pensant au plaisir que nous avions eu cette semaine-là de parcourir toutes les rangées et de nous gâter un peu. Il y a eu aussi cette méga vente de bottes d'hiver pour femmes où je n'arrivais pas à trouver ma pointure. J'ai donc claudiqué dans des bottes trop grandes au moins deux saisons parce que le plus important c'était que les enfants, eux, puissent avoir des bottes chaudes pour braver le froid. On a aussi passé quelques étés à Balconville faute de pouvoir disposer d'un budget pour les vacances. La priorité c'était davantage de pouvoir acheter les fournitures scolaires pour la rentrée en septembre.
Je ne me plains pas étant donné que la pratique de la simplicité involontaire m'a appris beaucoup sur moi. Elle m'a fait grandir aussi. L'Homme m'a énormément appris à ce chapitre, lui qui venait d'une grosse famille où il avait été habitué à ne pas avoir tout cuit dans le bec! Comme nous n'avons jamais été ni l'un ni l'autre obsédé de réussite sociale ou d'escalade d'échelons salariaux, nous avons toujours su nous contenter des biens que nous possédions. Nous avons gardé notre belle vieille maison jusqu'à notre déménagement il y a quatre ans. Finalement, on a jamais réussi à vraiment la rénover comme on le souhaitait au départ. Qu'importe! Nous y avons été infiniment heureux.
De même, nous ne remplaçons rien qui n'est pas brisé. Nous utilisons donc encore le buffet en bois de la photo qui a été fabriqué par le papa de l'Homme et que nous avions retrouvé dans le fin fond d'un placard de la maison familiale. Un ami ébéniste a fabriqué les poignées manquantes. Et voilà! Un meuble qui continue de faire notre bonheur. Nous n'avons sans doute aucun mérite. On est fait comme ça. Ou on l'est devenu par la force des choses. Possible. Mais cela voudrait dire faire fi des leçons apprises au fil des années. On s'est rapidement rendu compte que la société pouvait grandement contribuer à faire naître des besoins inutiles. Est-ce qu'il fallait vraiment amener les enfants à Walt Disney pour être des parents accomplis? Est-ce qu'un amoncellement de cadeaux à Noël remplace le temps passé à partager un bon repas en famille et à jouer à des jeux de société toute la journée en pyjama? Est-ce qu'occuper un poste de gestion qui m'aurait forcée à terminer plus tard ma journée de travail aurait pu se comparer à la joie immense que je ressentais de partir à 15h30 retrouver mes enfants pour les aider dans leurs devoirs et préparer le souper? Est-ce qu'avoir des meubles design, une auto neuve, des vêtements griffés m'aurait rempli l'âme comme l'organisation des réveillons de la solidarité, la Guignolée en famille, l'aide aux activités comme le bingo et les déjeuners au CHSLD ou la Popote roulante? Oh que non!
Je suis heureuse que les périodes difficiles m'aient permis de prendre conscience de la chance que j'avais, et que j'ai toujours, d'avoir une famille et un toit. Je suis infiniment reconnaissante à la vie d'avoir ouvert mon coeur aux autres pour avoir constamment soif de solidarité, de partage, d'égalité et de justice.
Je suis fermement convaincue qu'avoir beaucoup d'argent ne changerait pas mon coeur. Au contraire, il serait plus que jamais à l'écoute de celles et ceux qui souffrent.