Je suis en train de fleurir la terrasse pour l'été. J'essaie de composer mon décor de paradis. Mon espace de ressourcement, de recueillement, d'émerveillement. Je remplis mes pots avec les plantes que j'ai choisies très minutieusement à la pépinière, très longuement surtout. Tout cela accompagnée de l'Homme qui se promène dans les rangées avec le panier. Il n'a pas le pouce vert, ni un intérêt particulier pour tout ce qui tourne autour de la chose horticole. Mais il vient avec moi et jamais il n'émet le moindre signe d'impatience. Il me rappelle seulement de temps à autre les dimensions de l'espace dont je dispose maintenant pour exercer ma passion. Faut dire que je m'emporte facilement dès que je mets les pieds dans l'endroit magique. Quand je vois toutes ces plantes différentes, toutes aussi belles les unes que les autres, je capote. Plus le choix est grand, plus mon enthousiasme augmente. Je ne me possède plus. Je redeviens une enfant qui ne veut qu'une chose : créer son décor de rêve.
Avec force patience, avec moult essais et erreurs, je suis arrivée à comprendre mieux l'esprit du jardinage. Cela vient avec un grand respect de la nature, de ses limites, de ses particularités et de ses caprices. Maintenant, je tiens un journal de bord où je colle toutes les étiquettes des plantes que j'achète chaque année. J'indique dans quel pot je les ai plantées. J'ajoute des détails sur leur développement ou leur difficulté à s'implanter dans le milieu que j'ai choisi pour elles. Quand cela ne fonctionne pas bien, ce n'est pas leur faute mais la mienne. Pas assez ou trop de lumière, pas assez ou trop d'eau, pas assez ou trop d'engrais, pas assez ou trop d'attentions. Jamais je n'abandonne de réchapper la plante qui s'étiole, qui me crie son désespoir d'être au mauvais endroit. Je persiste jusqu'à la fin car je veux y croire.
J'ai presque terminé de tout transplanter. Comme d'habitude, j'ai trop acheté et les pots qui me restent sont un peu petits. Mais, bon, je m'entête. Ça va aller. Je lève mon regard pour contempler mon oeuvre et je la vois. Petite fleur bleue perdue dans la pelouse. Une merveille là, sous mes yeux. "Mais qu'est-ce que tu fais là?" que je lui demande. "Tu es une pensée, si je ne m'abuse. Est-ce que tu serais le bébé d'une plante que j'ai eue sur ma terrasse l'été dernier?" Si j'avais à parier, je dirais que oui. Ne faisant alors ni une ni deux, je m'empare de ma truelle et je tente tant bien que mal d'extirper ma découverte de son écrin vert. Pas facile de démêler les racines de la plante et celles du gazon. J'y arrive et je trouve un pot pour ma protégée. Et là, j'y vois tout de suite un clin d'oeil de ma belle Mignonne morte en mai dernier. Elle adorait se vautrer dans l'herbe autour de la terrasse. Je ferai tout mon possible pour te sauver mais, même si je n'y arrive pas, je dis d'avance merci à ma belle Mignonne d'être ainsi venue me saluer.
Quelle belle journée pour marcher! Petite brise, beau soleil. Je suis sur mon parcours habituel. J'ai emprunté la rue qui monte et je suis passée devant la maison du Monsieur-aux-drapeaux. Aujourd'hui c'est le fleurdelisé qui flotte fièrement au vent. Il change de pavillon selon les fêtes officielles des pays. C'est lui qui me l'a dit. J'ai oublié le nombre de drapeaux qu'il possède mais il en a beaucoup. J'aime quand le hasard de mes ballades m'amènent aussi à faire jasette avec ceux et celles que je croise. Je sais, c'est surprenant mon intérêt pour les gens!
Bon, je poursuis mon chemin. Je me rends compte que la fontaine de la belle maison du coin est maintenant en fonction. L'eau qui chante a retenu mon attention. Je tourne à droite et je me retrouve devant la maison du Monsieur-qui-fait-des-tables-avec-des-troncs-d'arbre-découpés. Je le sais car j'en ai acheté une lors d'une autre de mes marches. Son oeuvre trône dorénavant dans mon salon. Je constate qu'il y a un amoncellement de bois dans son entrée. Il va sans doute récidiver bientôt.
Me voilà sur la rue plus achalandée que j'arpente avant de tourner à gauche pour me diriger vers la piste cyclable que j'emprunte mais plus loin. Je préfère déambuler d'abord sur la longue rue qui la jouxte et admirer les aménagements paysagers. Nostalgie toujours de la maison et du plaisir immense de voir arriver la saison du jardinage. Je me ressaisis. J'ai une terrasse, c'est mieux que rien.
Et là, le long d'une clôture, je les vois. Des iris versicolores comme ceux qui bordaient l'étang dans ma cour. Avalanche de souvenirs. J'adore ces fleurs qui s'épanouissaient toujours aux environs de l'anniversaire du Fils. Mon coeur se remplit d'un mélange de joies et de peines. Habituellement, les iris en fleur cela voulait dire visite du Fils pour une longue fin de semaine de retrouvailles et de célébrations. C'est terminé tout ça. Il a fallu passer à autre chose. Ouais, cette chose qui s'appelle la solitude des vieux. L'Homme et moi apprenons péniblement mais de plus en plus sereinement à vivre les longs congés sans notre progéniture. De toute façon, la Fille a dit qu'elle coupait toute communication pour une période indéterminée. Je me rappelle que Woody Allen a déjà dit que l'éternité, c'est long, surtout vers la fin. Ben, une période indéterminée, c'est un peu l'éternité.
Je poursuis ma route. Ai-je le choix? Le temps file, qu'on décide de le vivre ou pas. Aussi bien profiter des beaux moments qui passent. Avoir la possibilité de toujours pouvoir avancer sur mes trottoirs chéris me remplit d'une immense gratitude. Cela aide à guérir.
Très beau cheminement,
RépondreSupprimerMoi aussi j'adore les plantes et les belles fleurs et surtout les choisir. C'est beau ce que tu as fait.!