L'autre jour, en faisant l'épicerie, j'ai attrapé un carton de jus d'orange et je suis restée bouche bée en contemplant la date de
péremption : 31 août 2011. Tout d'un coup, je l'ai eu en pleine face le choc de ma retraite prochaine.
Le 31 août, je ne ferai effectivement plus partie de la
main-d'oeuvre active de notre si beau pays. Je n'apporterai plus ma contribution inestimable à la santé de notre économie. Non, ce sera fini tout ça. D'un autre côté, je me réjouis (pas tant que ça pour dire la vérité) à l'idée que mon départ va certainement aider le
con servateur en chef à atteindre ses objectifs de réduction du déficit puisqu'il n'aura plus à me compter parmi ses fidèles valets.
Mais je reviens au comptoir de réfrigération et à ma grande stupeur. En fait, me retrouver ainsi aussi brutalement devant la trop réelle réalité de mon nouveau statut de rentière m'a pratiquement précipitée dans le panier d'une quidam venue elle aussi faire ses provisions. Non contente de me confondre en excuses, je voulais absolument lui expliquer la raison de ma si désastreuse
maladresse : "Vous voyez cette date?
Savez-vous ce que cela veut dire pour moi?
Le 31 août, je vais déjà être passée date. Oui, je vais être expirée. Non, je n'aurai pas expiré. Je dis que je vais être expirée. Vous ne comprenez pas? Et vous ne voulez pas comprendre? Fort bien, passez votre chemin manante et demeurez dans l'indifférence de mon désarroi!"
J'ai bien été obligée de déposer le carton dans mon panier sans avoir pu exprimer l'ampleur de mon émotion ressentie. J'ai donc cherché l'Homme du regard afin de pouvoir partager avec lui cette foudroyante prise de conscience. Comme d'habitude, il n'était pas à portée de la voix. Quand je l'ai finalement retrouvé, dubitatif devant les boîtes de sardines, j'ai tenté de lui soutirer un peu d'empathie, mais il n'a jamais vraiment compris pour quelle raison une date de péremption pouvait à ce point me troubler. J'ai inspiré un grand coup et expiré.
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Notes fauniques : Trois heures du matin. Je me lève pour vider une vessie vieillissante, donc moins étanche. Je regarde machinalement par la fenêtre pour m'assurer que tout va bien dans la cour lorsque j'entends de drôles de petits cris. On dirait un animal qui pleure. Et ça n'arrête pas. Craignant de retrouver un autre cadavre dans le bassin si je ne fais rien, je décide d'aller y voir de plus près. J'ouvre la porte d'en arrière et j'essaie de distinguer quelque chose dans la pénombre. Et là, je le vois. Un bébé raton en équilibre sur la clôture. Il ne semble pas savoir quoi faire et il se lamente. Je me doute qu'il doit chercher sa mère.
"Où est-elle passée
celle-là?" me
dis-je en n'osant pas trop m'approcher quand même. Un raton, ce n'est pas un chaton. Tout d'un coup, la lumière de l'entrée s'allume. Cela annonce une présence. C'est la maman ratonne, dressée sur ses pattes de derrière, qui cherche sans aucun doute sa progéniture. "Il est passé par là", que je lui dis en pointant du doigt le fond de la cour. En bonne mère dénaturée, elle se dirige plutôt du côté du garage. Ah! la, la, c'est qu'il ne va pas arrêter de pleurer, le pauvre petit. Je l'aperçois d'ailleurs qui brasse les grandes feuilles des hostas et qui fourrage dans les brunneras en continuant de sangloter. Que faire, que faire? Je rentre dans la maison et vais voir sur le balcon d'en avant si un père raton ne ferait pas partie du portrait. Mignonne et la
Reine-Marguerite m'accompagnent car elles espèrent un déjeuner servi plus tôt qu'à l'habitude. Elles me connaissent trop bien. Je remplis leurs bols. Non, il n'y a pas de papa raton. Seulement deux chats errants qui ont faim parce que les ratons ont tout vidé. Je remplis les bols. Et je retourne en arrière. Les pleurs se font moins aigus. J'espère de tout coeur que la famille est enfin réunie. Je retrouve mon lit et j'essaie de me rendormir avec la
Reine-Marguerite blottie contre moi, sa petite tête appuyée sur mon bras. Elle ronronne à fond. C'est vraiment mieux que des pleurs!
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