Hier, avec l'Homme, nous avons fait ce que nous appelons nos visites paroissiales. Cela veut dire que nous sommes allés à la rencontre de personnes malades ou esseulées.
Notre premier arrêt a été pour un ancien confrère de mon oncle R., prêtre des
Missions-Étrangères. Ce frère de maman me fascinait. Avouez qu'avoir un oncle qui travaillait au Japon dans les
années 60, c'était plutôt inusité! Et un oncle missionnaire de surcroît, c'était un plus pour une petite fille qui fréquentait une école encore dominée par l'enseignement des religieuses. Grâce à mon gentil oncle, qui correspondait avec moi, je collectionnais aussi de fort beaux timbres que j'étais la seule à posséder dans mon patelin du Saguenay. Et je suis convaincue que l'admiration qu'il vouait aux habitants du pays du soleil levant n'est pas étrangère au choix que l'Homme et moi avons fait d'adopter des enfants asiatiques. Bref, mon oncle est mort trop jeune, au début de la soixantaine. Ses problèmes de santé ne l'ont jamais empêché, toutefois, de vivre à plein. Après son retour forcé du Japon, il a continué sa mission au pays en agissant entre autres comme interprète et en prêtant main forte aux prêtres des paroisses avoisinant
Pont-Viau, son port d'attache. Ça, c'était pour ses activités professionnelles. Il n'a jamais cessé non plus de pratiquer ses sports favoris, dont le ski. À ce sujet, il se plaisait à dire à ma mère, qui s'inquiétait pour
lui : "Ne t'en fais pas. Quand j'arrive en haut de la côte, j'évalue le vent. S'il souffle normalement, je prends une nitro. S'il souffle fort, j'en prends deux!" Vous voyez le moineau.
C'est au décès de mon oncle que j'ai rencontré le
père B. Depuis
vingt-neuf ans maintenant, j'entretiens une relation d'amitié qui se traduit par des échanges de lettres, des appels téléphoniques et, de temps à autre, une visite à la Maison centrale de
Pont-Viau. Le père B., âgé de
86 ans, a toujours bon pied, bon oeil. L'entendre parler du travail de la Société dans les différents pays où elle envoie des prêtres et des laïcs est absolument fascinant.
Quatre-vingt dix minutes se sont donc écoulées à la vitesse de l'éclair.
Prochain
arrêt : la résidence de
Belle-Maman. Là, c'est une autre histoire pour ce qui est de la conversation. Nous devons composer avec une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer, ce qui limite passablement les échanges. Pas grave. Il semble que les sempiternelles mêmes blagues de l'Homme réussissent toujours à tirer un sourire à sa maman. Pour aider à passer le temps, nous en profitons pour jaser avec d'autres habitants de la place, parfois aussi perdus que
Belle-Maman, mais plus bavards qu'elle. C'est le cas notamment de
Madame C. dont le père était notaire comme elle se plaît constamment à le rappeler. Elle est habituellement tirée à quatre épingles. Hier, je l'ai retrouvée dans le couloir avec sa marchette, vêtue de sa robe de chambre et son petit sac à main en bandoulière. Comme je l'interrogeais sur sa tenue, elle me répond sans détour, avec sa diction d'élève de l'ancien cours
classique : "Mais oui, je me suis habillée car papa vient me chercher. Je sors ce soir. Maman m'attend à la maison."
Ai-je besoin de vous préciser que Madame C., à l'âge vénérable de
96 ans, est orpheline depuis un bout? Bref, après avoir attendu en vain un père qui ne s'est finalement pas montré le bout du nez, elle est venue nous jaser ça au
salon : "Je ne sais pas ce qui se passe. Papa n'arrive pas. J'aurais dû le rappeler. Il a sans doute oublié." Et là, elle nous regarde, l'Homme, le Fils et moi, et nous déclare le plus sérieusement du
monde : "Je ne sais pas si je pourrais rester un soir de plus. Vous savez, j'ai une chambre ici." Moi, en essayant de contenir mon fou rire, je prends le parti de la
rassurer : "Je crois que ce serait possible,
Madame C. Je pense même que cela ne posera aucun problème." Et le Fils de rajouter avec son flegme
asiatique : "Profitez-en, c'est le même prix."