mardi 8 mars 2011

Tahar Ben Jelloun et tous les autres

Je vous néglige, fidèles lecteurs. J'ai donc passé sous silence la merveilleuse découverte que j'ai faite lors du Salon du livre qui s'est tenu récemment en Outaouais. Je veux parler de l'écrivain Tahar Ben Jelloun. Depuis quelques années, j'aime lire des auteurs étrangers, plus particulièrement des auteurs qui appartiennent à une autre culture que la mienne. J'adore entrer dans un univers que je ne connais pas. Je veux comprendre comment vit l'Autre, cet autre qu'on nous dépeint trop souvent comme bizarre, menaçant ou même carrément dangereux. Et pourtant... Je me suis rendue compte avec le temps et les rencontres qu'il n'y avait rien de mieux qu'un face à face avec l'Autre pour saisir pleinement notre humanité.

Je vous ai déjà parlé de mon amie libanaise. À cause d'elle, ou plutôt grâce à elle, les nouvelles internationales qui concernent ce coin du monde me touchent maintenant de façon personnelle. Chaque fois que j'entends parler arabe, dans l'autobus ou dans les centres commerciaux, je m'arrête pour écouter en me rappelant les conversations quotidiennes de mon amie avec sa maman. Je m'ennuie encore et toujours d'elle.

Mais il y aussi les merveilleux Cambodgiens avec qui la Fille a travaillé qui ont poussé la gentillesse à l'accueillir dans leur pays et au sein de leur famille. Parfois, quand j'allais chercher la Fille au resto et que je la voyais si à l'aise au milieu de ces gens qui l'acceptaient comme une des leurs, je l'enviais presque. Je n'ai pas trop à me plaindre, cependant, car je suis toujours reçue comme une amie toutes les fois que je les retrouve.

Et je ne peux pas oublier non plus la prof de mandarin de la Fille avec qui nous avons éventuellement développé des liens d'amitié. Comme elle m'a aidée à remettre à niveau mes connaissances de ce pays dont je n'ai pas foulé le sol depuis plus de vingt ans! Et comme j'apprécie son ouverture d'esprit et sa franchise. Elle a souvent dit à la Fille que celle-ci ne devait pas hésiter à lui poser toutes les questions qu'elle voulait. Je trouvais la Fille privilégiée, elle qui avait été élevée à la Québécoise, d'avoir la possibilité d'approfondir sa connaissance de son pays avec une autre Chinoise.

Vous savez, quand je parlais d'humanité un peu plus haut dans ce blog, c'est ce qui me frappe le plus dans mes contacts avec l'Autre. Nul besoin de creuser bien loin pour nous apercevoir que nous avons tous en commun l'amour de notre famille et le désir profond d'en prendre soin comme il se doit. Le reste, ce sont tous ces détails qui enjolivent et enrichissent notre personne : notre langue, notre religion, notre culture, nos valeurs, notre cuisine, nos habitudes, notre accent, notre odeur, nos vêtements, et j'en oublie. Soyons réalistes. Nous sommes tous partis avec la même donnée de base, soit le corps humain. C'est une fois que nous aboutissons sur Terre que la donne change. Le coin de pays nous donne la couleur locale!

Alors, et ce Tahar Ben Jelloun, qu'est-ce qu'il me fait? Il me touche l'âme avec Mohamed, ce personnage attachant du roman Au pays qui vient de tomber à "lentraite", comme il dit. Ses réflexions sur son sentiment d'inutilité, sur toutes ces heures qu'il devra remplir à faire il ne sait trop quoi, sur l'éloignement des membres de sa famille sont pratiquement les mêmes que les miennes. Je partage avec lui sa tristesse devant le temps qui fuit, sa nostalgie de la maison résonnant des cris des enfants et sa quête de sens qui l'amène, lui, à retourner dans son Maroc natal. L'écriture de Tahar Ben Jelloun est fluide. Elle coule comme un ruisseau qui nous berce, et qui nous entraîne dans les méandres de la pensée de Mohamed, de ses réflexions, de ses appréhensions. Toujours, toujours, le ruisseau creuse pour nous amener petit à petit dans l'essentiel, dans le fondement de l'âme de Mohamed. C'est beau. C'est triste. C'est déchirant. C'est aussi plein d'espoir.

Envoûtée comme je le suis devenue, j'ai donc décidé aujourd'hui d'envoyer un message à Tahar Ben Jelloun pour lui dire mon admiration. Quelque chose que je n'avais jamais fait encore de ma vie. Et en cherchant pour trouver une adresse, je me suis rendue sur son site Internet où j'ai découvert qu'il était absolument prolifique. Il écrit des poèmes, des nouvelles, des romans, mais aussi des chroniques et des articles dans les journaux. Je suis tombée notamment sur ce texte qui parlait d'un livre de Pierre Assouline qui donne un aperçu de son type d'écriture. Le propos, comme vous le constaterez, est fort touchant :

"Écrire est une marche longue et incertaine dans le silence et la nuit. Pierre Assouline a écrit des biographies, des romans, des enquêtes. Autant de tentatives pour enfin se libérer d’un secret pesant des tonnes. Une libération inquiète cependant. Cela fait quarante ans qu’il marche dans le sillage des ténèbres. « Un écrivain ne comprend ce qui lui arrive que lorsqu’il l’écrit », dit Assouline. Comme Joseph K., Job ne comprend pas ce qui lui arrive. Alors il fait l’apprentissage de l’attente, la longue et dure attente dans la gratuité absolue, dans le silence et la soumission le rapprochant de celui qui lui a infligé une épreuve impitoyable.

Nous sommes tous un jour ou l’autre passés par cet état. Certains s’agitent, luttent puis tombent de fatigue. D’autres apprennent à accepter et ne se soustraient à aucune souffrance. Ce sont des saints. Or le monde est peuplé de gens non recommandables. Quant aux saints, il faudra emprunter à Diogène sa lampe pour aller à leur recherche. « Vies de Job » est une de ces lampes qui nous montre le chemin mais ne nous donne pas de solution."
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Notes pédestres : J'ai marché sur la glace. Mais n'est-ce pas ce que je fais depuis trop de semaines? La montée totonesque est longue, très longue. Et périlleuse aussi. Je tombe de fatigue. Que ne pourrais-je devenir une sainte et me résigner? Il n'y a pas encore de sainte qui porte mon nom. Ce n'est pas "totonnant"!

1 commentaire:

  1. Chère Marcheuse urbaine, quand je lis votre belle prose et celle des écrivains qui vous inspirent, je me dis que votre talent sera mieux mis en valeur à l'heure de votre retraite. Vous pourrez alors écrire librement hors du corset d'un milieu de travail qui serre, qui pique et qui, parfois, étouffe.

    Moi, je dis que bientôt, c'est vous qui serez découverte au Salon du livre :-)

    L'amie yogini

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