Dimanche matin. Il est tôt. 8 h 10. Il fait beau soleil. Les nuages semblent avoir fini de vider leur
trop-plein d'amertume. Comme moi. Je dois dire que je me sens, aujourd'hui, nettement mieux que ces derniers jours où j'ai traîné morosité, anxiété, céphalée, et toute autre calamité que vous pouvez imaginer.
Qu'importe. J'ai enfin la tête dégagée mais, surtout, la mâchoire moins serrée. L'abcès a crevé hier. Quel soulagement quand ça coule! Je comprends maintenant pourquoi j'avais l'impression que j'étais pour éclater. Je me demande parfois si je vais réussir à prendre ma retraite sans y laisser ma santé mentale et/ou physique. Comme il est difficile d'être autre que ce que l'on est profondément et, par cette affirmation, j'entends comme il est difficile de se foutre de l'injustice, de l'indifférence et de l'incompétence. Pour mieux illustrer mon propos, je veux vous parler d'un grand homme qui nous a quittés cette semaine. Celles et ceux d'entre vous qui suivez l'actualité ont déjà deviné qu'il s'agit de
Michel Chartrand.Je n'en sais sans doute pas plus que la moyenne des ours sur la vie de cet homme exceptionnel. Comme beaucoup d'autres, j'ai suivi l'excellente série télé avec
Luc Picard et j'ai vu plus d'une fois les imitations fort drôles de notre Dodo nationale déguisée en syndicaliste revendicatrice à la verve démesurément provocante. Mais j'ai surtout toujours écouté avec intérêt ce que
M. Chartrand avait à dire sur les combats sociaux qu'il menait. Je l'ai aussi rencontré en personne au Salon du livre de l'Outaouais il y a quelques années. L'Homme avait acheté sa biographie pour l'offrir à son père, un honnête travailleur comme ceux que
M. Chartrand n'a eu de cesse de défendre tout au long de sa vie. Pour enrichir le cadeau, quoi de mieux qu'une dédicace de l'auteur. Nous voilà donc en file au kiosque de l'éditeur. Pendant que nous attendions notre tour, j'ai eu le temps de me rendre compte à quel point cet homme dont j'ai toujours admiré la droiture et la détermination était d'un simplicité désarmante. Il parlait à tous facilement et semblait y prendre un grand plaisir. Une fois plantée devant lui, j'ai pu constater in persona son admiration pour les femmes car j'ai eu droit à un
baise-main. C'était charmant.
M. Chartrand a demandé à l'Homme pour qui était le livre et il a glissé quelques bons mots sur le dur labeur des travailleurs québécois.
Parce que je suis touchée d'une façon toute particulière par les gens que je sens entièrement passionnés par une cause ou habités par une mission, j'aimais donc
M. Chartrand. Et j'aurais voulu parler de lui comme il le mérite. Ma connaissance limitée de tous les aspects de sa personne m'en empêchait. Mais j'ai trouvé hier dans
Le Devoir quelqu'un qui a réussi à dépeindre qui était vraiment
M. Chartrand. Voici donc le premier paragraphe de la chronique de
Gil Courtemanche intitulée
L'homme révolté :
Il y a ceux qui ne se révoltent jamais et laissent couler la vie, indifférents au sort des humains et parfois même aux injustices dont ils sont eux-mêmes victimes. D'autres vivent des moments de révolte, mais, incapables de lui donner un sens, ils ne peuvent traduire leur révolte en actions ou en lignes de conduite. Et puis il existe de rares personnes qu'on dirait nées avec un besoin si aigu de justice, d'équité et de bonheur qu'il leur est impossible de ne pas vivre en état de révolte permanente. On pense souvent que ces hommes révoltés vivent tristement, occupés qu'ils sont à sans cesse dénoncer les injustices, et qu'ils ne peuvent jouir des beautés de la vie. On se trompe. L'homme révolté, pour parvenir à l'équilibre sur la corde raide de la critique permanente, doit croire profondément au bonheur et à la beauté des choses. C'est parce qu'il est profondément inspiré par la beauté et le bonheur qu'il en fait sa revendication incessante. Tels étaient Camus, Éluard, Ferré et, pour moi, près de moi, en moi, l'homme dont la rencontre fut la plus déterminante pour le reste de ma vie, Michel Chartrand, notre homme révolté, mon homme révolté.J'aime croire que je suis une femme révoltée. En tout cas, je partage avec
M. Chartrand l'ardent désir de combattre les injustices et d'aider mon prochain. À cause de lui, j'ai toujours cru en la nécessité de l'action syndicale. Je n'ai jamais traversé une ligne de piquetage et je n'ai donc pas hésité à tenir une pancarte et à scander les slogans appropriés. "So, so, so, solidarité!", ça vous semble
peut-être puérile comme formule mais, quand on est en gang et qu'on est convaincu de défendre notre droit à de meilleures conditions de travail (oui, même si on est des fonctionnaires), ça prend une force et une signification toute autre. En plus de trente ans de carrière à la fonction publique, j'ai dû faire face aux moqueries de la plupart de mes collègues de travail, et même parfois, à leurs commentaires déplaisants et à leurs attaques virulentes, chaque fois que notre convention collective expirait et que notre employeur se laissait tirer l'oreille pour négocier franchement. Je m'en fous. J'ai aussi combattu pour eux qu'ils y croient ou non.
Ce qui me manque en ce moment, je pense, c'est, comme le dit
M. Courtemanche, de trouver des façons de traduire ma révolte en actions, mais, plus encore, si je ne veux pas y laisser ma peau, d'apprendre à apprécier et à me nourrir encore plus des beautés de la vie. Il faut un équilibre pour trouver l'apaisement. C'est la grâce que je me souhaite au plus vite!
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