À la Fille
Moi quand je pense au 8 mars et à la Journée internationale des femmes, je pense immanquablement à ma mère. Née en 1920, elle faisait partie de cette génération de femmes qui ne se proclamaient pas féministes mais qui commençaient tout doucement, dans les gestes de chaque jour, à changer les choses.
Ma mère s'est mariée dans la mi-trentaine après avoir largement profité de sa vie de fille. C'est sûr qu'elle n'a pas délibérément choisi de se marier si tard, mais elle ne s'est pas morfondue en attendant le Prince charmant. Elle magasinait régulièrement à New York, se rendait à Old Orchard ou en Floride passer du temps sur le bord de la mer et elle fréquentait assidûment le Forum de Montréal car elle était une mordue du hockey. Ah! oui, j'oubliais, elle savait conduire une voiture aussi. D'ailleurs, quand ce fut mon tour d'apprendre, elle me disait à moi qui ai toujours eu peur de tout : "Il faut que tu apprennes à conduire si tu veux être autonome. C'est très important".
Ma mère a eu trois filles : mes deux soeurs et moi! Elle nous a passé à toutes le même message, et ce, dès notre plus jeune
âge : "Vous devez étudier pour avoir une profession, pour bien gagner votre vie et ne pas dépendre d'un homme". Et c'est ce que nous avons fait.
Ma mère était différente des autres mères que je connaissais. Elle portait des bermudas à l'époque où les curés montaient aux barricades pour dénoncer les femmes qui osaient troquer la robe pour le pantalon. Elle tondait la pelouse (en bermudas!). Elle jouait aux quilles, au tennis, au golf. Elle n'aimait pas particulièrement les tâches ménagères (comme je la comprends!) et elle n'échangeait pas de recettes avec les autres mères de la rue. Elle nous disait parfois quand nous nous offusquions de sa décision ne pas toujours vouloir nous suivre à la messe dominicale : "Quand j'étais pensionnaire, j'ai récité assez de prières pour le reste de ma vie". Ça ne l'empêchait pas pour autant d'être très croyante.
Mais, envers de la médaille, ma mère c'était aussi la femme qui avait pour toute identité, quand elle signait son nom, le titre de Madame, car elle le faisait suivre du prénom et du nom de famille de mon père. Un jour, cependant, elle s'est réappropriée son prénom. Et beaucoup, beaucoup d'autres jours plus tard, elle a décidé de signer avec son prénom et son nom de famille à elle. C'est sans doute la raison pour laquelle j'ai gardé mon prénom et mon nom de famille lorsque je me suis mariée. D'aucuns vont me
dire : "Ben, c'est comme ça que ça se passe au Québec selon le Code civil. T'as pas le choix". Ouais, aujourd'hui peut-être, mais pas en 1978.
Ma mère c'était aussi la femme qui, un jour que nous étions tous en visite à la maison avec enfants et maris à discuter études et travail, s'était écriée avec force en laissant vaisselle et torchon : "Moi aussi j'aurais aimé ça étudier. Je voulais être avocate". Quand ma mère a perdu son père, elle avait 18 ans. Elle faisait son cours classique pour éventuellement faire son droit. Mais ma grand-mère, qui se retrouvait encore avec deux fils au collège, a dit à ma mère : "Toi, tu vas te marier un jour et ton mari va te faire vivre. C'est plus important que tes deux frères poursuivent leurs études". Ma mère est devenue secrétaire.
N'empêche... je pense souvent aux déclarations de ma mère. Quand je suis allée en Chine pour adopter la Fille, je me revois assise bien sagement dans le bureau du notaire à regarder l'Homme signer TOUS les papiers. Parce que c'était comme ça. Parce que, en 1990, en Chine, une femme ça ne valait pas grand-chose et une petite fille, ça ne valait rien. Mais moi, pendant cette cérémonie de signatures où l'on m'ignorait totalement, je me rappelle avoir esquissé un sourire à l'intérieur de moi en me
disant : "Elle, cette petite fille-là, vous ne l'aurez pas. Je vais m'assurer qu'elle ait devant elle toutes les possibilités et je vais faire en sorte qu'elle puisse avoir le droit de choisir sa vie". C'était mon premier engagement de mère envers la Fille.
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Notes pédestres : De retour dans la rue après quatre jours à la maison avec la version 3 du virus de l'hiver. J'ai vraiment très hâte au printemps!!
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Merci chère marraine pour ce récit fantastique sur ma grand-mère :) j'en suis toute émue et à la fois heureuse de constater qu'elle vit en nous. C'est vraiment une femme extraordinaire!
RépondreSupprimerUn immense merci pour ce témoignage qui mérite de rester dans les annales. Témoignage sur la femme, sur la féministe, sur la mère, mais surtout sur notre grand-mère à nous, notre héritage. C'est ce genre de trésors qui méritent d'être chéris et légués à nos enfants. On en prendra soin. Et contrairement aux verres, c'est incassable ;).
RépondreSupprimerDe toute beautée comme récit. J'ai bien aimé :)
RépondreSupprimerEt moi, j'en ai les larmes aux yeux, je suis très heureuse de voir que mes filles grâce à ton récit découvre une partie de la vie de notre mère.
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