Je crois vous avoir dit au début de la semaine que j'avais repéré un rongeur dans la cuisine. Je crois aussi m'être confessée de ne pas avoir du tout envie de le tuer. Et je crois, finalement, vous avoir avoué mes sombres desseins de faire en sorte que des sbires accomplissent la sale besogne en mon lieu et place.
Le Fils, à qui je me plaignais de ne pas avoir les qualités nécessaires pour devenir une meurtrière et à qui je m'enquérais de l'existence d'un piège écolo donc sans douleur, m'a tenu cette réponse laconique mais ô combien
suave : "Une trappe écologique? La solution serait un chat." Quand j'y réfléchis bien, c'est sans doute à cause de lui que j'ai songé à imputer le crime aux deux félines de la maison.
Tout ça pour vous dire que j'avais concocté un plan ingénieux pour vraiment faire accuser la
Reine-Marguerite et Mignonne de meurtre au premier degré. J'avais donc mis des petits morceaux de pain recouverts de beurre d'arachide devant le frigo en me disant que lorsque
Trotte-Menue (ou Béatrice selon l'Homme) déciderait d'aller manger... vlan! dans les dents. (Je ne suis pas certaine de l'onomatopée ici.
Est-ce que "couic" ne serait pas plus approprié dans le contexte?) Je m'interroge mais je continue.
Mon piège écolo ne donnait rien, sinon plein de miettes que l'Homme et moi piétinions allégrement depuis deux jours chaque fois que nous devions ouvrir la porte du frigo. Je commençais un peu à désespérer et je voyais comme l'ombre d'une vraie trappe se profiler à l'horizon... jusqu'à ce matin.
J'étais en train de faire le café. L'Homme dormait toujours du sommeil du juste. Tout d'un coup, j'entends un bruit sur le comptoir... comme un grattement ou un froissement. Je regarde parmi les trop nombreuses choses que je garde à portée de la main et je ne vois rien. Je me dis que je n'ai sans doute pas bien entendu et je continue à m'activer. "Frfrrshh, (avouez que cette fois je fais dans l'onomatopée professionnelle) frfrrshh," que j'entends une nouvelle fois et cela semble venir du récipient pour conserver l'ail. Je crie à l'Homme de se réveiller et de venir me retrouver dans la cuisine car
Trotte-Menue/Béatrice semble avoir
elle-même trouvé sa trappe écologique.
Le cerveau de l'Homme prend un certain temps à s'allumer le matin. C'est comme un écran d'ordi. D'abord c'est noir. Puis des lignes de codes se mettent à défiler. Enfin les programmes commencent à s'ouvrir. Je ne sais pas où il en était dans son démarrage mais j'ai eu droit à une observation fort blessante du
genre : "Ça fait longtemps que t'entends des bruits comme ça?" J'ai choisi d'ignorer ces propos livrés sans doute à cause d'un démarrage trop rapide et j'ai enjoint l'Homme de plutôt saisir les mitaines pour le four afin de boucher les trous du récipient pour pouvoir ensuite le transporter à l'extérieur de la maison. (Ça paraît que moi j'étais en mode fonctionnel!)
Bref, c'est ce que nous avons fait. Une fois sur la terrasse, nous avons déposé le récipient près de la pelouse et nous (lire l'Homme) avons ouvert le couvercle en penchant doucement le pot.
Trotte-Menue/Béatrice n'a pas demandé de billet de retour et elle a quitté prestement la trappe écolo pour se cacher derrière un pot de fleurs. Je me suis penchée pour mieux l'observer car je la trouvais mignonne. Minuscule, grise avec de grandes oreilles à l'intérieur rose, elle remuait frénétiquement ses moustaches. J'ai eu un choc
cependant : Trotte-Menue/Béatrice n'avait qu'un seul petit oeil noir. De l'autre côté de sa tête, il y avait une cicatrice.
Serait-ce que, malgré tout, les sbires aient tenté de réaliser leur contrat sans y parvenir pleinement? Je me demande bien quelle est l'espérance de vie d'une Trotte-Menue/Béatrice borgne? Plus longue à l'intérieur ou à l'extérieur de la maison?
N'empêche. J'aurais aimé mieux ne pas savoir. C'est tristounet, non?
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