Demain, je lève définitivement les voiles. J'ai donc continué à préparer mon voyage pendant la journée. Je constate toutefois que boucler les valises devient de plus en plus difficile à mesure que diminuent le nombre d'amarres me permettant de demeurer encore au quai.
J'ai ainsi légué ma seule et unique plante de bureau, qui m'avait
elle-même été confiée par
l'Amie L. lors de son départ pour le Liban, à
Pompon Brodeur. Me semble que c'était le seul choix logique compte tenu de notre passion commune et enthousiaste pour tout ce qui est vert et pousse dans nos cours et plates-bandes. Il a été maintes fois de bons conseils et il a partagé les hauts et les bas de la construction de mon bassin sans démontrer aucun signe d'impatience. Faut le faire. Et puis, il a déjà gardé ma plante lors de mes vacances de l'année dernière et celle-ci m'est revenue plus en forme que jamais. Il l'a baptisée "Quintaline". Je crois que je peux partir en paix côté jardin.
Ensuite, j'ai ôté mon nom sur le tableau des présences ou, plutôt, je l'ai déplacé pour le mettre de guingois. Quelqu'un d'autre le fera disparaître. J'ai aussi décroché l'affichette installée sur le devant de ma cloison pour m'identifier. Celle-là, par contre, j'ai décidé de l'apporter à la maison. Après tout, à moins qu'il n'y ait désir de tentative d'usurpation de mon identité, je crains bien qu'elle ne serve plus à rien.
Dans plus ardu à accomplir, j'ai enlevé le poster illustrant le joli minois d'une petite Chinoise et proclamant : "Les yeux en amande, le coeur québécois" qui m'accompagnait dans tous mes décors cléricaux depuis que la Fille fréquentait la maternelle. Il s'agissait en fait d'une publicité du ministère québécois de l'Immigration et des Communautés culturelles de l'époque que j'avais tellement aimée que j'avais réussi à obtenir un autre exemplaire du poster que j'ai fait laminer pour la maison. Celui du bureau montrait des signes de fatigue. N'empêche. J'ai eu un pincement au coeur quand je l'ai plié pour le mettre à la poubelle.
Toujours sur mon chemin de Damas, j'ai décidé tant qu'à faire de déprogrammer les boutons de mon téléphone. Pour dire vrai, j'ai seulement enlevé les petits cartons insérés sous les boutons grâce auxquels j'évitais à ma mémoire l'effort de se rappeler du numéro du coiffeur ou du vétérinaire. Juste comme je considérais que cette étape relevait plus du bien que du mal, je reçois un appel de l'Ami qui me déclare tout de go : "Réalises-tu que c'est la dernière fois que j'utilise ce numéro pour te parler? Dorénavant, je devrai penser à te joindre à la maison puisque tu ne répondras plus au bureau." Bon, on se calme là. "N'oublie pas que tu pourras aussi communiquer avec moi sur mon cell", que je lui dis pour tenter de rendre la séparation téléphonique plus facile à accepter. "Non, je n'oserai jamais. Ce ne sera pas la même chose. Je ne voudrai pas te déranger. Ce ne sera pas mon premier choix en tout cas." Fort bien. "Je comprends que l'idée du cellulaire t'angoisse," que je lui rétorque dans un deuxième effort pour le rassurer, "mais comme je serai à la retraite, il est fort possible que je ne sois pas au bout du fil à la maison. Je m'attends quand même à sortir de temps à autre de mon antre domiciliaire." "Nous verrons à l'usage," qu'il me lance avant de raccrocher.
Hum... c'est vrai que nous avons partagé d'incalculables fous rires et quelques pleurs, sans compter nos éternelles analyses des paysages culturels et politiques, lors de nos appels téléphoniques presque quotidiens des trente-quatre dernières années. Mon moment préféré demeure de loin la période des fêtes où, pendant les semaines qui précèdent Noël, nous délirons chaque matin en chantant "Chestnuts Roasting on an Open Fire" et en faussant allègrement en plus. J'imagine que nous pourrions poursuivre la tradition, moi à la maison, et l'Ami au bureau.
Enfin, j'ai effacé le fichier qui constituait mon fond d'écran depuis toujours, soit une photo de moi avec la soeur du Milieu et la soeur Psy, de dos, en maillots de bain, revenant de la plage lors de l'une de nos vacances sur le bord de la mer dans le pays de l'Oncle Sam. Nous avions peut-être 10, 9 et 5 ans sur cette photo vraiment touchante de trois petites filles avec leurs seaux et leurs pelles, marchant ensemble sur une même ligne, de la plus vieille à la plus jeune. Là, je l'avoue, j'ai eu le choc, surtout quand j'ai vu apparaître le bouquet de tulipes de Windows que j'ai choisi pour remplacer mes souvenirs.
Mais, mais, trêve de nostalgie, cette mauvaise conseillère. Me reste encore demain une dernière amarre, la plus difficile à couper : les adieux non plus aux choses matérielles, mais aux personnes qui ont partagé mon quotidien au cours des années. Déjà, certaines se sont manifestées. L'une m'a légué l'Arbre de la vie pour me rappeler que les changements successifs de couleurs des feuilles des arbres au cours des saisons sont semblables aux différents moments importants et uniques que nous sommes appelés à vivre. L'autre m'a laissé de merveilleuses notes yogiques que je ne saurai oublier : "La posture, c'est d'être fermement établi dans un espace heureux."
C'est ce que je souhaite que la retraite soit pour moi, un espace heureux!
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