Depuis que j'ai senti l'épée de Damoclès me frôler dangereusement les cheveux, j'adopte des comportements nouveaux et étranges. Ainsi, je continue vaillamment de parcourir mes trottoirs chéris, mais je n'arrive plus à sentir le froid qu'il fait dehors. Je me branche sur le métal, plus salvateur que jamais, et, tel
Forrest Gump, je me lance en avant. Et je n'éprouve plus rien. Le vent a beau me fouetter le visage, je le trouve rafraîchissant. Il devient comme un baume sur mes plaies. J'ai les doigts et les orteils gelés, mais je me répète que je vais me réchauffer en rentrant les mains dans mes manches et en accélérant le pas. Des fois, je voudrais ne jamais m'arrêter. Me rendre aussi loin que je le peux en restant dans ma bulle.
Bien que l'arme blanche ne m'ait pas coupé l'herbe sous les pieds, elle m'a quand même volé le clavier sous les doigts. Je ne suis plus capable d'écrire. Entièrement absorbée par les scénarios horribles que mon cerveau ne cesse d'élaborer, je suis devenue indifférente à ce qui se passe autour de moi. Je ne vois plus la vie. Ma source d'inspiration ne m'attire plus. J'ai cessé de prêter l'oreille aux conversations dans le wagon à bestiaux. Je fulmine à peine en lisant dans les journaux les plus récentes âneries de nos hommes politiques. Pire, j'attends le retour de la Fille avec un détachement que je ne me connais pas. Je suis totalement perdue dans une spirale sans fin. Je crois, par contre, que je n'arrive pas à duper les chattes de la maison qui mesurent bien toute l'étendue de mon désarroi.
Résultat : elles ne me quittent pas d'un poil! Elles me poursuivent littéralement de leur sollicitude inépuisable. Dès que je m'assois ou que je vais me coucher, elles se blottissent contre moi, elles se mettent à ronronner très fort, me regardent et poussent des petits
"rou, rou" plaintifs. Si elles le pouvaient, je crois qu'elles pleureraient avec moi.
Ce matin, en marchant pour me rendre chez le coiffeur, j'ai réalisé soudainement que j'étais victime d'effets secondaires plus graves encore que je ne me l'imaginais. C'est mon activité cérébrale, ou plutôt son absence, qui m'inquiète sérieusement. Depuis que j'ai été tétanisée à l'annonce d'une possible anomalie de mes totons, je pense avec grande difficulté. J'ai sans cesse l'impression de marcher dans un aquarium, d'être détachée du monde autour de moi. Quand je dois réagir à mon environnement, par exemple en essayant de cuisiner quelque chose ou en tentant vainement de réviser un texte au bureau (heureusement que j'ai Vanessa!), je dois faire un immense effort pour me concentrer et accomplir la tâche désirée. C'est sans doute la raison pour laquelle j'écoute davantage la télévision.
Et, insidieusement, les ondes sont venues bousiller un cerveau déjà fragilisé. Pour évaluer l'ampleur du phénomène, je n'ai qu'à m'arrêter un instant pour établir la liste pathétique des émissions que j'ai choisi de regarder ces derniers jours, soit en grande partie des jeux télévisés. Passe encore quand je succombe à
Des chiffres et des lettres, ce quiz intellectuel de TV5. C'est sûr que je n'arrive qu'à former des mots
de 5 ou 6 lettres pendant que les concurrents utilisent les 9 lettres du tableau et que je trouve uniquement les solutions pour les nuls quand il s'agit des chiffres. Malgré tout, s'il n'y avait que cet écart, je crois que mon organe à penser aurait été moins abîmé.
Hélas! Hélas! J'ai aussi visionné
Tout le monde veut prendre sa place, un
jeu-questionnaire présenté sur TV5 et animé par l'ineffable Nagui, et
Atomes crochus, une émission absolument idiote du
canal V! Moi, oui moi, qui se prétend une amante de la langue, je me suis mise à chercher avec les concurrents à compléter des phrases aussi simplistes
que : Toutes les fois qu'il se présente à l'aéroport, Anatole déclenche le système de sécurité
avec ... OU Brigitte adore les pompiers à cause de
leur ... Vous imaginez tout de suite les associations hilarantes qu'il est possible de réaliser à partir de ces énoncés. Des heures de lavage de cerveau en perspective!
Hier soir, j'ai même pris la décision "éclairée" de me taper une autre émission du quiz
Million Dollar Money Drop, là où deux concurrents tentent de conserver la somme de
un million de dollars en répondant correctement à sept questions. Grosse mise en scène avec musique obsédante, éclairage tamisé et pauses publicitaires habilement placées quand les liasses de billets tombent dans des espèces de puits sans fond. Et comme dans toutes les émissions de ce genre, les concurrents ont été choisis parce qu'ils sont sympathiques ou carrément épais. Dans les cas que je citais au paragraphe précédent, je pouvais toujours plaider l'aliénation mentale puisque je me contentais de pitonner d'une chaîne à l'autre comme un papillon fou dans un champ de fleurs. Mais là, en entendant annoncer que l'émission allait commencer dans dix minutes, j'ai fait l'effort conscient de me rappeler du numéro du poste et de l'heure du début de l'émission. C'est la première fois depuis
une semaine et demie que j'essayais de me rappeler quelque chose. C'est fort... oui, fortement inquiétant!
Je dois absolument sortir de ce cercle infernal avant de me laisser séduire par les
télé-réalités. Me semble que c'est un pas que je ne dois pas franchir sous peine de perdre justement la réalité de vue!
Je ne crois pas que l'attirance pour les émissions stupides soit une maladie honteuse... Selon moi, c'est seulement un mécanisme de défense comme les autres que tu nommes. Quand on pense à ce que fera Vanessa avec les pompiers, on ne pense pas au reste... Et ça ne peut que faire du bien!
RépondreSupprimerMais pense qu'on est avec toi et qu'on t'aime très fort :)
xxxxxxx