samedi 20 janvier 2024
C'est assez!
lundi 20 novembre 2023
Vaut-il mieux en rire qu'en pleurer?
samedi 18 novembre 2023
La porte fermée
Je frappe plus fort. Pour la troisième fois au moins. Je commence à avoir peur de déranger les voisins. Mais il n'y a toujours pas de réponse. Je commence à m'inquiéter. Bon, ce n'est pas la première fois qu'un client de la Popote roulante ne répond pas lorsque je vais livrer. Les raisons sont multiples et, pour la plupart du temps, anodines. La personne s'est endormie devant la télé qui joue trop fort et elle n'entend ni cognement, ni sonnerie. Ou elle s'est recouchée après une mauvaise nuit. Des fois, elle a oublié qu'elle avait un rendez-vous médical et n'a pas annulé son repas. Plus simplement, il arrive aussi qu'elle ne se rappelle juste pas que c'est jour de Popote et elle a décidé de sortir à l'heure où nous livrons habituellement.
Devant la porte toujours muette, je me demande quoi faire. Dans le cas qui m'occupe, il s'agit d'une personne seule, très fragile. De plus, sa porte n'est d'ordinaire pas barrée. Mais pas aujourd'hui. J'ai essayé la poignée qui refuse obstinément de tourner et de me laisser entrer en poussant le bonjour le plus enjoué dont je suis capable. Oui, je dois souvent penser à prendre un ton gai et à m'accrocher un sourire aux lèvres. Car il y a des jours où ce n'est pas la situation précaire de plusieurs des personnes aidées qui me préoccupe mais bien mon moi intérieur anxiogène qui a pris trop de place. Dans ce temps-là, mon jovial bonjour est davantage réfléchi, moins spontané. Mais même quand je suis submergée par mes émotions, je m'efforce d'offrir un moment agréable aux personnes à qui je vais porter les repas. Souvent même leur résilience vient mettre un baume sur mon âme écorchée. Comme j'en ai encore à apprendre! Et ces belles leçons d'humanité que j'ai la chance de recevoir régulièrement me donnent encore plus d'élan pour poursuivre ma mission. Alors, bien que le moment passé avec ces magnifiques personnes soit court, je trouve important qu'il soit le plus significatif possible. Moi j'ai la chance d'avoir l'Homme, ma famille, des amis autour de moi. Je peux encore faire des activités pour me changer les idées, notamment marcher et faire du yoga. Malheureusement, ce n'est pas le lot de la majorité de nos clients. Conclusion : si je suis la seule personne dont ils verront la face dans la journée, aussi bien que je sois à la hauteur.
Je suis toujours devant la porte. Je fixe les chiffres qui y sont apposés. Je suis bien au bon étage et au bon appartement. Pourquoi diable est-ce que je n'entends rien à l'intérieur? Devrais-je vous faire fi des scénarios catastrophes dont mon esprit créatif et prompt à la panique s'est déjà rempli? Et si la personne était tombée depuis plusieurs heures, incapable d'attraper le téléphone pour demander de l'aide? Ou bien, elle a eu un sérieux malaise et on va la retrouver inconsciente dans son lit, voire morte! Je repasse mes choix dans ma tête : je rapporte le repas à la Popote et signale aux responsables que la personne n'a pas répondu ou je retourne à l'entrée de l'immeuble pour sonner de nouveau à l'appart et espérer une réponse. C'est ce que je décide de faire.
Devant le tableau indicateur, je recompose les numéros. Ça sonne. Un coup, deux coups, trois coups. Une éternité!! Enfin, une voix toute faible répond. Je dis : "C'est Nicole, de la Popote. Je ne peux pas entrer dans l'appart, votre porte est barrée". "Donnez-moi une minute", qu'elle me répond. Une autre éternité passe. Qu'est-ce que Woody Allen déclarait à ce propos? Ah! oui, l'éternité c'est long, surtout vers la fin. Heureusement, avant que ma fin ne vienne, la porte de l'immeuble s'ouvre et je peux reprendre l'ascenseur. Arrivée à l'appart, je constate cette fois que la porte est entrouverte. Soupir et soulagement!!
Madame va bien. Elle a juste passé une mauvaise nuit et s'est rendormie. Qu'est-ce que je vous disais que ça pouvait arriver ce genre de situation! Je suis tellement heureuse de la voir se débarbouiller au lavabo de la salle de bain. Et elle, tout aussi heureuse parce qu'elle va manger du pâté au saumon. Tout est bien qui finit bien.
N'empêche. J'ai eu peur de la perdre. Devant sa porte close, je me suis dit qu'un jour, je devrai pourtant faire face à la musique. Ça fait trois ans que je la connais. Que je jase avec elle toutes les semaines. Que je l'encourage quand ça va moins bien. Je m'y suis attachée comme à la plupart de mes clients. C'est juste que, depuis vendredi, j'ai toujours dans ma tête cette image de la porte fermée et dans ma poitrine le serrement qui m'a envahi à la pensée que je l'avais peut-être perdue à tout jamais. Ben voyons, d'aucuns d'entre vous me diront, c'est une étrangère, pas un membre de la famille quand même. Ouais, pas pour moi.
D'abord, depuis que je bénévole auprès des plus démunis de notre société, je n'ai cessé de rencontrer des personnes lumineuses, extraordinaires et pleines de ressources. Elles m'ont fait grandir dans ma tête et dans mon coeur. Certaines sont devenues des amies, d'autres des personnes qui m'étaient très chères. Et oui, j'ai déjà fait face au grand départ, à plus d'une reprise malheureusement. Quand on oeuvre dans ce genre de milieu (j'ai aussi bénévolé en CHSLD), on marche souvent sur la corde raide. La vie, la mort, ça s'entrecroise continuellement. Et je ne suis jamais prête à lâcher prise parce que je les aime plus que tout. Je pensais être mieux préparée à cause des autres pertes que j'ai vécues. Force m'est d'admettre que non.
Mais avant que la porte se ferme pour de bon, je dois absolument me rappeler de profiter de toutes les parcelles de bonheur, de présence et de joie qu'il me reste à vivre jusqu'au bout du chemin. Jusqu'aux étoiles filantes.
Pour toi Karl Tremblay, homme plus grand que nature
samedi 16 septembre 2023
Full intégrée!!
Alice est au travail derrière son comptoir discutant joyeusement avec un client. Elle est toujours comme ça Alice, souriante et super heureuse de deviser avec celles et ceux qui franchissent le pas de son commerce. Nous l'avons adoptée tout de suite. D'abord pour son absolument délicieux café, ensuite pour les douceurs qu'elle prépare de ses mains de cuisinière talentueuse et, enfin, pour toutes les attentions qu'elle démontre envers les gens, les habitués comme les autres.
Le rituel est maintenant établi. Nous entrons, nous lançons un jovial "Bon matin Alice!, ça va?" et nous attendons qu'elle verse son sublime nectar dans nos thermos. C'est sûr qu'on jette un coup d'oeil sur les gâteries du jour : scones, muffins, biscuits, barres énergétiques, etc. Difficile de résister à toutes ces tentations surtout que, de ce temps-là, Alice expérimente constamment de nouvelles recettes qu'elle n'hésite pas à nous décrire en long et en large. Comment faire pour dire non? Nous choisissons le muffin du jour aux courgettes et au chocolat.
Ensuite on se dirige dans l'autre pièce, la petite salle à manger là où la chaleur humaine remplit tout l'espace. Nos joueurs de cartes invétérés et maintenant amis sont installés à leur table habituelle. Une première partie est terminée. Comme d'habitude, A. proteste qu'il n'a jamais les bonnes cartes et qu'il ne devrait plus jouer car il perd constamment. Et, comme d'habitude, G. sourit en l'écoutant et brasse les cartes pour la deuxième partie. Ils sont absolument et totalement adorables tous les deux. Nous, on s'assoit au comptoir sur des tabourets pour regarder dehors. Du moins, c'est ce qu'on faisait au début. Plus beaucoup maintenant. On a trop de plaisir à jaser avec nos amis qui, au fil du temps, nous ont permis de connaître les autres habitués.
Aujourd'hui, leur ami pigeon voyageur du Sud est présent. Il porte un chandail sur lequel est imprimée la face de Justin et où c'est écrit : Fuck Trudeau. Il se justifie d'être aussi brutal ce matin en nous expliquant qu'il est venu à vélo, qu'il avait eu trop chaud et qu'il était arrêté chez sa fille pour lui emprunter un chandail. Il paraît qu'elle aime contester un peu beaucoup l'ordre établi. Voilà le pourquoi du chandail! Tout le monde s'esclaffe en disant qu'on l'aime bien son chandail et cela nous donne l'occasion une fois de plus de discuter politique en insistant sur le fait que nous avons les solutions. Il suffit seulement que nos dirigeants nous écoutent enfin.
Pendant que les taquineries et les jeux de mots se multiplient, je tourne la tête vers la fenêtre et je vois J. qui se promène sur le trottoir. Il reste tout près du café. C'est un ami lui aussi. Je vais dehors et l'invite à venir nous rejoindre. Il accepte d'emblée. Et nous sommes de retour devant le comptoir d'Alice et de ses plaisirs gourmands. Je l'encourage à essayer le muffin qui était vraiment très bon. Je tente même de soudoyer Alice pour avoir sa recette. On se retrouve finalement toute une petite gang dans la pièce car M. est arrivée elle aussi. Elle demande à A. s'il a terminé de lire le journal. Celui-ci lui répond par la négative mais, comme il joue encore aux cartes, M. réclame le journal tout de go. Il obtempère finalement devant les fous rires déclenchés par la remarque de M. qui lui lance l'ultimatum de lire le journal ou de jouer aux cartes.
L'heure avance. C'est le temps de quitter pour le Patro. Nos amis savent que nous allons livrer des repas dans le quartier. Quand la température est moins clémente, ils nous encouragent de leurs bons mots. Mais là il fait beau soleil. Ils se rappellent tout de même qu'on ne sera pas là la semaine prochaine car nous partons à Gatineau. Ils nous souhaitent bon voyage, nous demandent d'être prudents et nous disent de bien en profiter. Je les remercie et réalise tout d'un coup que je vais vraiment m'ennuyer d'eux et de nos amis du Patro. Je leur dis. C'est là que J. me déclare : "Tu vois, tu es maintenant full intégrée!".
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Anecdote anodine :
Quand je fais la Popote le vendredi, je vais dans une résidence pour personnes âgées où vit aussi un chat mascotte. Ce félin pousse le professionnalisme jusqu'à suivre des formations pour mieux accompagner les occupants de l'endroit. Je le sais, on me l'a dit. Je le crois.
Là n'est pas mon anecdote mais, comme je suis une amoureuse inconditionnelle des chats, je devais vous le mentionner. Je reprends donc mon propos. Dans l'ascenseur, se trouve toujours le calendrier des activités du mois. Comme je suis une anxieuse finie et que je ne veux rien laisser au hasard, je consulte régulièrement le tableau en me demandant ce que je trouverais à faire pour m'occuper si un jour je me retrouvais là. On ne sait jamais ce que la vieillesse et ses ravages nous réservent. Bon, mettons que j'habite ici. Qu'est-ce que je pourrais faire dans les trois jours à venir? Et là, entre les parties de bingo, le yoga chaise, la levée de fonds pour une banque alimentaire, il y a, je vous le donner en mille : le lancer de la hache! Je m'étonne. Je m'interroge. Je me demande si j'ai bien lu. Évidemment, en passant devant la réceptionniste avant de quitter les lieux, je ne peux m'empêcher d'arrêter et de lui dire : "Vous ne trouvez pas que vous avez des activités dangereuses? Vous n'avez peur de rien en tout cas." Elle me regarde sans trop comprendre évidemment. "Ben oui, le lancer de la hache, c'est pas un sport un peu extrême à pratiquer ici?". Elle sourit et me répond le plus gentiment et patiemment du monde : "Ce sont des haches en plastique". Je m'en doutais. Je voulais juste m'en assurer. Bonne fin de semaine!
jeudi 14 septembre 2023
Tout un bail!
Ben oui, j'ai eu 68 ans hier. C'est drôle car, pour la première fois de tous les anniversaires de ma vie, j'ai dit adieu à ma vieille face le soir du 13. "C'est fini, cette face-là de 67 ans, tu ne la verras plus jamais" me suis-je dit en me regardant dans le miroir. Étonnamment, ma nouvelle face ressemble à s'y méprendre à l'ancienne. J'imagine que cela va prendre plus de vingt-quatre heures avant que je puisse observer un quelconque changement du genre nouveau pli ou nouvelle ride.
Je ne peux pas dire que je trouve ça particulièrement agréable de vieillir bien que je sois reconnaissante d'être toujours là pour apprécier la vie. C'est juste que des fois c'est plus difficile de l'apprécier surtout quand je dois me mettre à genoux pour récupérer un jouet que les félins ont envoyé sous le divan du salon. Me semble qu'avant j'avais pas besoin de penser à mais comment diable vais-je faire pour me relever de cette position sans appui! Non, je me relevais, c'est tout. Même affaire quand je fais le ménage, grimpée sur un mini-tabouret pour épousseter le haut des bibliothèques. Je suis obligée de réfléchir sérieusement à la façon dont je vais descendre du foutu tabouret. Quelle jambe devrais-je reculer en premier et, encore et toujours, devrais-je prendre la peine de me trouver un appui avant de procéder à ce dangereux mouvement?
Comme me disait un de mes voisins l'autre jour : "Tous ces petits bobos et tracas viennent gratuitement avec l'âge! Pas besoin de commander!" Il a bien raison. À certains moments, les choses se présentent subtilement. Une activité qu'on faisait depuis des années sans problèmes nous cause maintenant des maux insoupçonnés. Ainsi, dans mon cas, après un squat effectué au yoga, je ressens une légère douleur sur le côté de mon genou droit. "Ça va passer," me dis-je, sans me méfier du ravage des années. Eh! bien, ça n'a pas passé et j'ai eu mal pendant des mois. Diagnostic : arthrose. Ouais.
Mais faut pas arrêter de bouger paraît-il. Oh que non sous peine de voir notre belle machine jusque là fidèle s'encroûter à tout jamais. N'empêche, c'est pas toujours le fun de continuer. Ça demande plus d'efforts, plus de résilience. Plus de "je vis un jour à la fois", puis plus de "je vis une minute à la fois". J'ai encore perdu quelque chose, c'est pas grave, il me reste ça. C'est moins beau que la chose perdue, c'est moins agréable, en fait, c'est autre chose. Pas celle que tu voulais ou que tu aimais. Non. Autre chose.
Je peux avoir l'air pessimiste comme ça (je sais c'est à s'y méprendre) mais je ne suis pas la seule à ne pas être toujours zen. Je viens de terminer le dernier recueil de Gilles Archambault, La candeur du patriarche où, dans une trentaine de récits, il aborde sa propre vieillesse. Il ne mâche pas ses mots. Il ne joue pas à l'idéaliste. Il présente sa réalité de vieillard de 89 ans telle qu'elle est, avec ses limites, ses pertes, ses deuils. Je crois que le sujet le préoccupe fortement car il a aussi écrit ces dernières années Mes débuts dans l'éternité et Il se fait tard. Les titres font foi de tout.
"Mais pourquoi tu lis ça", vous entends-je crier? Parce que moi aussi cette question m'obsède. Moi aussi je cherche des réponses. Je me demande comment on fait pour vieillir en grâce et en sérénité. Comment on fait pour ne pas "rater sa sortie" comme M. Archambault se questionne. Je fais de l'anxiété depuis que j'ai découvert le monde. Et mon expérience des soixante-huit dernières années me confirme que rien ne va s'arranger. Mes peurs changent, mais elles demeurent. Tout comme M. Archambault, je ne crois pas que je vais acquérir plus de sagesse. On est comme on est jusqu'à la fin. On peut juste travailler à ce que ça fasse moins mal peut-être. Ou on arrive à enfin lâcher prise avant qu'il ne soit trop tard???
Alors, sur ces paroles encourageantes, je me souhaite de continuer à prendre soin de moi, de mon corps, de ma tête et de mon âme. Qui sait, peut-être que ma nouvelle tête sera pas si mal après tout. Justement je vais chez le coiffeur aujourd'hui. À plus!!
lundi 21 août 2023
"Meilleur que la vraie affaire!"
GÂTEAU "SEX IN A PAN"
1er étage
1 tasse de farine
1 tasse de pacanes ou de noix de grenoble en morceaux
1/2 tasse de beurre mou
3 c. à table de sucre
Mélanger les ingrédients et les presser dans un moule de 13 par 9 po. Cuire à 350 F de 15 à 18 minutes.
2e étage
8 onces de fromage à la crème
1/2 tasse de sucre à glacer
1 contenant de 500 ml de Cool Whip (dégelé)
Mettre en crème le fromage avec le sucre à glacer (utiliser une mixette) et ajouter le Cool Whip. Étendre sur la croûte refroidie.
3e étage
2 tasses de lait
1 paquet de pouding instantané à la vanille (4 portions)
1 paquet de pouding instantané au chocolat (4 portions)
Mélanger le lait avec les poudings en suivant les instructions sur les paquets et étendre sur le 2e étage.
4e étage
1 contenant de 500 ml de Cool Whip (dégelé)
Étendre sur le 3e étage
5e étage
1 carré de chocolat râpé ou (ma version) des bleuets frais
Couvrir le 4e étage du chocolat ou des bleuets. Réfrigérer jusqu'au lendemain.
samedi 19 août 2023
C'est pas grave
Bon, avant de commencer ce texte, j'ai relu certains autres blogs publiés précédemment pour me rendre compte que j'aborde un peu les mêmes thèmes depuis la pandémie. En tout cas, le moins qu'on puisse dire c'est que je ne fais pas dans la légèreté. Par ailleurs, je constate également que d'autres sujets reviennent parce qu'ils continuent de me préoccuper. Réussirais-je à dire les choses autrement cette fois, ou vais-je faire des "redites" pour reprendre une expression utilisée par une personne âgée de notre connaissance? Comme le répète l'Ami : "Tout cela a été dit des milliers de fois, encore faut-il maintenant innover". Bien d'accord, mais les sentiments humains ont-ils changé tant que ça au fil des décennies? Moi je proclame pour l'instant que c'est pas grave de revenir sur des choses qui nous importent. Voilà.
Tu vis avec deux chattes gériatriques, toutes deux malades. Les frais de vet sont, pour le moins, faramineux et réguliers. Tu sais qu'à 15 et 16 ans, leur temps est compté. Mais grâce aux pilules que tu administres quatre fois par jour et à la bonne bouffe du vet, les bidounes vont bien. Elles poursuivent leur petitebonnefemme de chemin dans la vieillesse féline. Elles mangent avec appétit. Elles courent encore et jouent un peu. Plus important, elles adorent se prélasser sur leurs coussins devant la grande fenêtre du salon et regarder dehors. Et toi tu les prends souvent, tu les caresses, tu leur donnes des milliers de baisers, tu essaies dans ta tête de te préparer à ne plus les avoir avec toi. C'est plus que difficile. C'est presque impossible. Tu souhaites seulement être à la hauteur quand le moment fatidique va se présenter.
"On va se ruiner en frais de vétérinaire. Ça n'a pas de bon sens de continuer à payer."
C'est pas grave que je me répète. Faut surtout pas que je pleure ma vie pour des chats. Je suis littéralement déchirée. Les mots sont durs, mais ils sont réalistes. Je ravale ma peine de tant aimer les chats, d'avoir ce lien si particulier avec eux. C'est pas pour rien qu'ils se perdaient toujours chez nous, comme par hasard. Je ravale parce que je n'ai pas vraiment d'argument à opposer pour justifier mes choix, sauf mon amour inconditionnel. Je ne peux rien ajouter. Gloup.
Tu reçois quand même des nouvelles de temps en temps. Tu réussis à garder un lien. Bon, pour tes textos, c'est silence radio dans la plupart des cas. C'est vrai que tu ne parles pas de choses super intéressantes, seulement de ta vie et de celle de l'Homme. Tu te fais l'illusion que, puisque tu ne les vois pas souvent, tu peux au moins les tenir au courant de ce qui vous arrive. Tu t'imagines maintenant que c'est parce que tu es devenue plate que tu suscites aussi peu d'intérêt. Tu voudrais leur dire ta peine ou au moins parler de la façon dont tu te sens, mais l'occasion ne se présente jamais car toi tu trouves que c'est le genre de conversation à avoir en face à face. Jamais ils ne te disent qu'ils s'ennuient. Seule toi semble être atteinte de cet étrange sentiment. Moins tu leur parles, et plus tu perds le fil de leur vie. Chaque fois, c'est un plus grand effort pour retrouver la page où vous vous êtes arrêtés. C'est un problème presque insoluble.
"La vie est rapide aujourd'hui. Ils sont pris dans un tourbillon. Tu vas te rendre malade si tu n'arrêtes pas de penser à ça et tu ne seras pas plus avancée."
C'est pas grave que je me dis puisque tout le monde semble trouver ma tristesse injustifiée. Je ravale donc ma peine de maman qui s'ennuie trop, qui ne peut s'empêcher de penser aux bons moments passés autrefois en famille quand c'était plus facile de se voir. Je ravale ma peine en pensant à mon dernier voeu d'anniversaire. Je voulais juste une fin de semaine, une journée ou un repas en famille. C'était bien compliqué à organiser semble-t-il. C'est pas grave. Je ravale. Des fois, je rêve à eux et je me réveille tout croche. Comme ce matin, où je ne voulais plus me lever, où je ne voulais plus parler. Et là je me trouve injuste de vouloir sans doute trop. Et je sens les larmes couler sur mes joues. C'est pas grave. Je ravale. Gloup.
Tu continues à lire les journaux et à écouter les nouvelles même si des fois tu te dis que ça ne sert à rien parce que tout va mal. En plus, ça te fout le cafard pour le reste de la journée. Mais est-ce que tu te sentiras mieux en jouant l'indifférente? Et puis, qui va continuer à se battre et à revendiquer si tout le monde abandonne, y compris toi? Tu le sais que tu vas peut-être y laisser ta peau. Oui parce que souvent ça te fait trop mal de voir ce qui se passe. Et tu te sens envahie d'une immense tristesse et d'une totale inutilité.
"Arrête de prendre le sort du monde sur tes épaules. De toute façon, tu ne peux pas sauver les gens. Tu te laisses trop envahir par la misère des autres. Il faut penser à nous d'abord."
C'est pas grave. Sans doute ils ont raison ceux qui me veulent du bien. Je ravale. Mon âme de missionnaire est blessée, mais ce n'est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. Je ne suis pas meilleure que les autres, loin de là, juste hypersensible. Ça date de mes débuts dans la vie et ça continue. J'ai toujours voulu prendre la défense des personnes seules, abusées, démunies. J'ai pas toujours eu les outils pour le faire comme j'aurais aimé le faire. Heureusement, avec les années, j'ai acquis de l'expérience et j'arrive à faire une différence qui me fait du bien à moi aussi. Je peux ainsi soulager un peu leur mal-être... et le mien. Je ravale quand même souvent mon impuissance à en faire plus. Je ravale ma révolte devant le manque de solidarité sociale, la surconsommation effrénée, le sort réservé aux plus vulnérables. C'est pas grave dit le gouvernement de ne pas avoir de médecin de famille. C'est pas grave d'avoir seulement un adulte et pas un vrai prof à planter devant une classe d'enfants. C'est pas grave de voir nos aînés se sentir de plus en plus isolés à un point tel que les demandes d'aide médicale à mourir ne cessent de progresser. C'est pas grave les feux de forêt, la pollution des usines cautionnée par nos élus, les périodes de canicule de plus en plus nombreuses. C'est pas grave les gens qui se retrouvent à la rue, incapables de dénicher un logement ou de se nourrir convenablement. C'est pas grave les migrants qui fuient des conditions de vie désastreuses et c'est pas grave ensuite de les exploiter ici dans notre beau pays.
C'est pas grave. C'EST PAS GRAVE. C'EST PAS GRAVE.
J'ai des nouvelles pour vous. Oui, c'est grave.