lundi 27 juin 2011

Dans ma bulle

Quand je marche, je fais vraiment un effort conscient pour rester dans ma bulle. C'est important pour demeurer présente à ce qui se passe là, sur le trottoir. Ce n'est pas toujours facile cependant avec un esprit qui se plaît à vagabonder dans toutes les directions. Je me fais parfois l'impression d'être un pêcheur obligé de ramener constamment sa ligne près du bateau pour mieux la relancer. Je crois ici que mon image serait plus facile à comprendre si je savais de quoi je parle. En effet, pêcheur, je ne suis point. Pécheresse me suffit amplement!

Voilà justement un exemple de ce dont je vous parlais plus haut. Vous avez vu le détour que je viens de prendre pour revenir enfin à mon propos? Alors, pour reprendre le fil conducteur de ce texte, j'ai pensé aujourd'hui en marchant qu'il serait amusant de vous faire entrer dans ma bulle, l'espace d'un parcours. Vous pourrez saisir davantage l'ampleur de mon errance intellectuelle. C'est donc parti.

Je viens de quitter la maison. J'entame le premier droit qui m'amène devant la maison du coin de la rue où l'on s'active depuis deux semaines à refaire complètement la cour arrière, piscine comprise. J'ai droit en cette fin d'après-midi au spectacle d'un beau corps de jeune homme, poitrine musclée exposée à tous vents sur le toit de ce que je crois être un cabanon en construction. Hum! Dommage, je dois traverser la rue.

Je continue mon chemin et croise la dame aux soutiens-gorge dont je vous ai déjà parlé (voir message du 14 avril 2010). Cette fois, elle est vêtue chaudement d'un ensemble de jogging mauve en polar. Difficile de rester concentrée, avouez-le. J'obtiens une explication quand j'arrive à sa hauteur. Elle me sourit à pleines dents et me lance : "Il fait chaud, hein! Je suis obligée de m'habiller comme ça parce que je suis allergique au soleil." Ah! Tout devient subitement limpide.

J'ai un répit de quelques pas jusqu'à ce que je passe devant une maison toujours très négligée où j'entends un chien aboyer à fendre l'âme. C'est la deuxième fois que ça m'arrive en moins d'une semaine. J'ai tout de suite ressenti le même serrement de coeur que jeudi dernier, à la sortie du bureau, au moment où je me dirigeais vers l'arrêt du wagon à bestiaux. Dans ce cas, les larmoiements de la pauvre bête semblaient provenir d'un appartement situé en face du petit centre commercial. Je ne sais pas si ce chien s'ennuyait, s'il avait faim ou soif, s'il avait chaud ou s'il avait simplement été abandonné là trop longtemps, mais c'était triste à mourir cette complainte du meilleur ami de l'homme laissé à lui-même en plein centre-ville. Même une fois engouffrée dans l'immeuble, je pouvais encore percevoir les sons désespérés qu'il poussait. J'ai presque fait demi-tour mais, en bonne citoyenne formée pour rester centrée sur son nombril, j'ai continué mon chemin.

Comme je le fais, là, maintenant, en entrant dans le parc. Totalement centrée enfin sur la musique du groupe Atreyu, je réussis à parcourir plusieurs rues en marchant au rythme rapide des chansons qui défilent dans mes oreilles. C'est le cadavre de la moufette rencontré déjà hier qui fait de nouveau errer ma pensée. Je constate d'abord qu'il ne lui reste qu'un peu de poil sur le dos. Elle a été littéralement dépouillée de ses entrailles. L'odeur caractéristique est toutefois encore bien présente. Elle me fait d'ailleurs marcher plus rapidement car elle prend à la gorge. En accélérant le pas, je me rappelle de l'autre cadavre découvert celui-là sur notre terrain, plus précisément dans l'étang. Eh! oui, hier matin, chaussée de mes bottes de caoutchouc, je me préparais à déplacer des plantes dans le bassin quand, au moment où j'allais poser mon pied dans l'eau, j'ai poussé un cri en voyant flotter devant moi une corneille morte. J'ai alerté l'Homme pour qu'il procède immédiatement à l'enlèvement du volatile. Je ne sais pas pourquoi car, comme vous le savez, il n'est pas utile ni coopératif dans ce genre de situation. Vous auriez dû nous voir, tous les deux horrifiés, résolus chacun à ne pas être le ramasseur d'oiseaux morts. Finalement, j'ai convaincu l'Homme de prendre une pelle pour recueillir la bête pendant que moi je tiendrais un sac dans lequel il pourrait la mettre avant de la jeter aux ordures. Je ne sais pas encore comment nous avons réussi notre exploit car nous avions tous les deux les yeux fermés pendant la durée de l'opération! Je souris en repensant à cette scène et à la déclaration post-mortem de l'Homme : "Les animaux, moi je les aime vivants pas morts!" Nemrod de mon coeur, vaillant chasseur devant l'Éternel!

Je suis maintenant à mi-parcours. La température est idéale. Il fait chaud, mais le vent souffle de façon continue et sèche la sueur à mesure qu'elle perle. Je sens l'énergie qui monte d'un autre cran. Les muscles sont dérouillés et le cerveau, enfin endormi. Je ne fais que marcher et c'est tellement bon!

"La meilleure façon de marcher, c'est encore la nôtre. C'est de mettre un pied d'vant l'autre et de recommencer."(air connu)

dimanche 26 juin 2011

Le jardinage en images et l'étang en gros plans




Alors voici, pour le plaisir de vos yeux, les résultats de mes efforts des dernières semaines. Les premières photos donnent une idée de la façade de la maison. Je dois avouer que ce n'est pas là que je consacre le plus de "jus de bras" sauf que, depuis la construction du petit muret par le Pusher, je dois dire que je m'intéresse davantage à l'améliorer. En plus, l'Ami m'a rapporté d'une visite aux Jardins de Métis des graines de pavot et de marguerite que j'ai réussi à faire pousser. Comme vous pouvez le constater, les plants de pavot sont assez imposants et, ma foi, fort jolis, du moins jusqu'à ce que les fleurs fanent. Quant aux marguerites, il était encore trop tôt pour vous les faire admirer. Elles s'épanouissent dans la plate-bande encerclée par le petit muret situé à la limite de notre terrain. Vous pouvez l'apercevoir tout de suite après les deux immenses cèdres. Ces marguerites, d'un jaune assez vif avec un coeur brun foncé, durent jusqu'aux gelées. Elles sont aussi très résistantes aux maladies et au froid de l'hiver. Je trouve que le devant prend du mieux avec le temps. Je persiste toutefois à trouver que ce n'est pas encore très réussi et je continue de réfléchir aux améliorations que je devrai éventuellement apporter.





Après la boîte à fleurs du balcon d'en avant et le monarque croqué sur le vif par le Fils, nous arrivons devant le garage. Vous ne voyez qu'une partie de la végétation que j'y installe, entre autres des plants de tomates. La table bistro s'avère bien pratique quand l'Homme s'active au BBQ. C'est là que nous nous installons pour prendre l'apéro. Vous avez également un aperçu de la terrasse et de l'entrée de la cour.




Ensuite, on se rapproche de l'étang. J'aime beaucoup la vieille porte de côté du garage. Avouez qu'elle a un charme certain!



Et on continue. On se trouve maintenant complètement au fond de la cour devant le Chat de Wakefield. Je l'ai acheté dans un magasin de souvenirs lors d'une ballade dans le coin. J'ai craqué. Il me le fallait! J'essaie quand même de ne pas trop abuser des objets décoratifs dans la cour mais, parfois, je ne déteste pas la surprise que cela peut donner au détour d'un bosquet.





On poursuit avec la faune piscivore. Si vous êtes fin observateur, vous pourrez apercevoir les bébés-ados poissons rouges à l'avant-plan et à gauche. À droite complètement, c'est Tarzan, un bébé-koï de l'année dernière. Il y a ensuite plusieurs vues de l'étang Michel-Chartrand. À ce propos, si cela vous intéresse, vous pouvez consulter le message du 4 juillet dernier où vous verrez d'autres photos qui vous donneront une idée de l'étang à sa première année d'existence.




Finalement, c'est la Reine-Marguerite elle-même qui vous amène vers l'immense plate-bande d'ombre (vous n'en voyez que la moitié en fait) qui constitue l'essentiel de mon jardin. À noter avec émotion que la dernière photo donne une idée de la majesté de l'érable centenaire que je considère comme le roi de ma cour. J'aime parfois entourer son tronc pour sentir son énergie et m'imprégner du calme qu'il dégage.

La nature est généreuse, comme l'Homme se plaît à le répéter, pour m'enlever mes doutes quand je m'inquiète d'une plante qui ne pousse pas comme elle le devrait. J'ajouterais qu'elle est source de guérison et d'apaisement. Il faut donc en prendre soin et la contempler tout son soûl!

mercredi 22 juin 2011

Les bestiaux en balade

Comme je l'ai déjà illustré dans ce blog, le transport en wagons à bestiaux peut donner lieu à d'incroyables anecdotes. Tenez, hier soir, d'autres bêtes et moi-même avons été prises en otage par un conducteur enragé. Je vous raconte.

J'étais assise dans les stalles arrières. Il faisait chaud. Toutes les fenêtres étaient fermées. Après un petit moment, je décide d'ouvrir malgré l'avertissement lancé par une compagne voisine. Quelle ne fut pas ma surprise d'entendre un hurlement en provenance de celui chargé de mener le troupeau à destination : "Fârmez la f'nêtre! Y'a l'air climatisé!" Depuis le temps que je voyage en transport commun, j'ai appris à décoder le langage très au-ras-des-pâquerettes utilisé par les "as du volant". J'ai donc bien vite refermé la fenêtre. Les minutes passent. La soi-disant climatisation se laisse désirer. On sent à peine un léger souffle froid, et ce, seulement à condition de se pencher sur le bord de la fenêtre pour se coller littéralement à l'arrivée d'air. C'est pénible.

Je commence à percevoir chez mes compagnons d'infortune les signes d'un certain inconfort. La bête de droite se plaint de la sueur qui dégouline sur son nez. Une autre, complètement au fond de l'habitacle, soupire et s'évente à l'aide d'un journal. Un militaire, stoïque comme il se doit dans l'adversité, se trémousse quand même sur son siège en essuyant discrètement une gouttelette qui perle au bord de son béret kaki. Mais personne n'ose commettre le geste fatidique d'ouvrir de nouveau une fenêtre. Je suis abasourdie et je m'inquiète sérieusement de la bête humaine. Je comprends mieux maintenant pourquoi les vaches se laissent conduire aussi facilement à l'abattoir. Nous ne sommes pas si différents des bovins. Quelqu'un nous crie après et nous voilà prêts à offrir notre gorge au couperet. Navrant, vraiment navrant!

Ce soir, le wagon était en retard. Quand il s'est finalement présenté, nous nous sommes engouffrés pour remplir à capacité tout l'espace disponible. Une bête impolie a réussi à me doubler dans la file trop docile. Elle a donc pu s'asseoir. Moi j'étais debout. Et à l'arrière encore une fois. Dans la stalle du fond, qui peut contenir jusqu'à cinq bêtes minces, il y avait quatre bêtes mâles moyennement obèses. On peut dire qu'il restait une demi-place que je n'avais pas vraiment l'intention de réquisitionner. Soudain, il y a un mouvement de foule à côté de moi et une bête femelle pas grande mais vigoureuse donne du coude pour se diriger tout droit vers la banquette en question. "Tassez-vous", qu'elle lance, "moi je suis très petite et je peux m'asseoir entre vous deux", qu'elle dit aux mâles de la stalle qui n'en croient pas leurs oreilles. Ils s'écartent quand même un peu et la fonceuse réussit à poser le bord de ses fesses sur le siège.

Nous roulons depuis quelques minutes lorsque la bête récalcitrante se met à vitupérer contre le mâle installé près de la fenêtre : "Aye! tu pourrais pas fermer tes jambes, toé, pour que j'aye plus de place!" Interloquée, la bête interpellée rétorque : "J'peux pas, j'suis trop gros." Là, je trouvais qu'il venait de donner des détails qui n'avaient pas été sollicités. Je veux bien croire qu'il était Noir mais fallait-il fournir autant de précisions. La bête récalcitrante semble elle-même surprise de la réponse mais nullement dépourvue d'arguments : "Comment ça trop gros?" Bon, bon, que je me disais, est-ce que ce dialogue improbable va finalement arriver à son terme? "C'est que je n'ai pas de place pour mes jambes à cause du banc devant moi," finit-il par expliquer. Ouf! Mais cela n'arrête pas la bête récalcitrante : "Change de place avec moé. Je suis petite (on commence à le savoir) et je n'aurai pas de problème avec mes jambes. Je pourrai aussi avoir plus de place pour m'asseoir." "Non merci, je reste ici," a répondu la bête interpellée, maintenant franchement écoeurée.

Toujours suspendue à mon poteau, je n'ai pas pu m'empêcher de conclure que la petite bête fatigante, avec son front tout le tour de la tête, ne ferait jamais partie du troupeau conduit à l'abattoir. Fasse qu'elle soit dans le wagon la prochaine fois où nous oserons ouvrir une fenêtre avec l'air climatisé! J'en connais un qui va se faire fermer le clapet.

vendredi 17 juin 2011

Le Pusher et la Kamikaze

Aujourd'hui, j'étais branchée non pas sur du métal mais bien à un tensiomètre ambulatoire. Vous auriez dû voir l'appareillage. Digne des pays les plus pauvres de la planète! C'est là que j'admire le jugement de nos politiciens, et de nos concitoyens tant qu'à y être, qui préfèrent investir dans un aréna plutôt que dans les soins de santé. Et pourtant... au nombre de malades qui vont envahir ce haut temple du sport, je trouve qu'il faudrait consacrer des flots de billets verts aux services dont ils auront tous éventuellement besoin.

M'enfin. Revenons à cet appareil du Néanderthal. Moi je pensais naïvement porter un petit brassard noir qui prendrait des données je ne sais trop comment. Je croyais surtout que j'aurais l'air un peu cool. Comme j'étais loin de la réalité. Tout d'abord, l'hôpital n'avait pas en stock la largeur de brassard dont j'aurais eu besoin. C'est donc toute la partie entre mon coude et l'épaule qui était couverte d'un hideux brassard bleu délavé. Et il n'avait même pas l'air propre. Attaché après, un long fil brun en caoutchouc qui me passait derrière la tête, entrait dans mon chandail et se connectait à une batterie/compresseur que je devais porter à la ceinture. C'était d'un inconfort total. J'étais désespérée. Juste me voir ainsi branchée, j'avais envie de pleurer. Comme je ne cessais de passer de vilains commentaires sur le bleu malade qui entourait mon bras, le technicien a accepté de me prêter une ceinture noire qu'un patient découragé de la laideur des ceintures utilisées avait acheté lui-même et légué à l'hôpital par pitié. Je le comprends.

Je suis sortie de là avec deux recommandations : je ne pouvais pas prendre de bain ou de douche, et je devais vaquer à mes occupations comme si de rien n'était. Très drôle. J'ai quand même tenté l'expérience. En arrivant à la maison, je me suis changée en essayant de ne pas arracher l'attirail et je suis partie sur mes trottoirs chéris. Quand la machine bipait, aux trente minutes, je devais m'arrêter et attendre que le brassard gonfle pour enregistrer ma tension. À la fin de mon parcours, après avoir été obligée de stopper trois fois mon rythme de marcheuse, j'étais prête à hurler. Dire que le technicien, en constatant mon état de panique pendant ma transformation en kamikaze, m'avait suggéré de faire du yoga! Un peu plus et je m'installais dans la position du chien la tête en bas, drette là. Mais j'ai respiré un bon coup en me rappelant qu'il ne m'en restait que pour vingt-deux heures!

Heureusement, le Pusher et moi avions convenu d'aller dîner ensemble. J'espérais secrètement que cela me change les idées. J'étais quand même un peu gênée de me promener en public avec l'affaire bleue au bras, alors j'ai enfilé une veste grise en coton ouaté. C'était parfait pour une journée chaude et humide...

Le Pusher en avait vu d'autres et il n'a pas semblé incommodé par mon nouveau look. Nous sommes donc allés nous acheter de la bière et nous avons mangé et bu en jasant et en bipant. C'était formidable!!?! Enfin, nous sommes partis ensuite chez lui pour écouter du métal et là j'ai fait une découverte : le métal enterrait le bip-bip qui me tapait sur les nerfs. Si ce n'avait été du fait que le bras me gonflait à intervalles réguliers, j'aurais presque pu oublier mon état de terroriste de la tension artérielle.

Après, de retour à la maison, tout s'est gâché. J'ai osé continuer à bouger, à vaquer quoi. J'ai été à l'épicerie où j'ai acheté entre autres un immense cantaloup et un aussi immense melon au miel, puis au Marché de solidarité où j'ai transporté neuf plants de tomates (je sais, c'est trop), une caissette de fleurs (des calendulas et c'est trop, ça aussi) et du basilic pourpre, du basilic thaïlandais et de l'eucalyptus (je ne sais pas où je vais mettre tout ça). J'ai ensuite préparé une sauce pour les côtes levées. Je suis allée chercher l'Homme au travail (la machine a encore bippé pendant que je conduisais - vous ai-je dit que lorsqu'elle n'arrive pas à prendre sa lecture, elle recommence deux minutes plus tard? C'est ce qu'elle a fait). J'ai joué dans mes plantes. C'est là qu'elle s'est mise à s'emballer. Faut dire que ça faisait quelques fois que j'essayais de replacer le maudit brassard qui descendait tout le temps. Et je ne cessais de jouer avec le foutu fil qui me passait presque par-dessus la tête toutes les fois que j'avais le malheur de me pencher un tant soit peu.

Bref, nous avons explosé toutes les deux en même temps la machine et moi, comme les kamikazes. Seulement moi je suis encore en vie. Je ne sais pas cependant si je vais le rester longtemps, surtout quand le doc va apprendre que j'ai pété les plombs!

mercredi 15 juin 2011

La Loi du Talion?

J'ai oublié l'autre jour de vous parler d'une conversation de wagon à bestiaux à laquelle j'ai assisté à mes oreilles défendantes. Vous savez ce que c'est. Vous broutez paisiblement dans votre stalle en vous mêlant de vos affaires quand les bêtes d'à côté se mettent à parler de la pluie et du beau temps. C'est plate. Vous les entendez mais, heureusement, cela ne vous empêche pas de continuer à mâchouiller votre avoine.

Hélas, de temps à autre, le ton monte et les propos deviennent franchement dérangeants. Passe encore lorsqu'il s'agit de détails croustillants parce que sexuels. Inévitablement, dans ce genre de situation, vous mâchonnez plus lentement en faisant le moins de bruit possible. Vous tendez l'oreille et saisissez des bribes qui soulèvent votre intérêt. Ça peut aider à agrémenter le voyage.

Ce n'était pas le cas l'autre jour. Non. Je n'avais pas besoin de faire semblant de ne pas écouter, j'entendais tout même si je ne le voulais pas parce que l'échange se passait entre plusieurs stalles. Un véritable chassé-croisé. Le sujet : les animaux que l'on heurte quand on est en automobile. À mon grand désarroi, j'ai eu droit notamment à la description complète de l'état de deux chevreuils ayant eu la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Dois-je vous préciser que les pauvres bêtes se portaient plutôt mal? Heureusement, l'un des participants à la discussion (une femme, de surcroît) nous a fait part de sa méthode bien personnelle d'abréger les souffrances de ces victimes de la route. Eh! oui, elle garde toujours un bâton de baseball à portée de la main lorsqu'elle se déplace en voiture. C'est extrêmement pratique. Tu frappes un animal. Tu sors de ta voiture et constates qu'il n'est pas mort. Tu t'empares alors du bâton et tu donnes un bon coup. Paf! Tiens toé, crève. Selon l'amie des bêtes, c'est la façon la plus "humaine" de régler le sort de l'agonisant. J'étais sur le bord de vomir. J'ai dû mettre mes écouteurs et me plonger dans le métal.

Aujourd'hui, même wagon, d'autres bestiaux. Encore une fois, je me retrouve dans le milieu d'une conversation qui m'indispose. On discute en effet de l'histoire d'un petit garçon de quatre ans, battu à mort par sa belle-mère. J'apprends que cette dernière avait convaincu le père de l'enfant qu'il fallait le battre parce qu'il n'écoutait jamais. L'imbécile en remettait donc de son côté. Apparemment, selon les sources bien informées qui m'entouraient, le corps du petit garçon n'était qu'une immense plaie. Ses fesses, entre autres, étaient pleines de trous causés par les coups répétés de cuillère en bois qu'il recevait de sa mentalement indisposée de belle-mère. J'en frémissais.

C'est là que je me suis rappelée de la conversation de la semaine précédente sur les animaux frappés en bordure des routes. Triste fin, c'est vrai. Mais que dire du destin d'un enfant de quatre ans frappé volontairement à mort par ceux qui sont supposés en prendre soin? Cela a eu l'heur de réveiller en moi de bas instincts, comme celui de posséder un bâton de baseball et de m'en servir.

mardi 14 juin 2011

Le yoga sur l'herbe

Effectivement, ce n'est pas le déjeuner que j'ai pris sur le vert gazon. J'ai plutôt profité d'une séance de yoga donnée dans le parc en face du bureau, sur le bord de la rivière par surcroît. Rassurez-vous, toutefois, nous étions plus habillés que les pique-niqueurs du tableau de Manet qui m'a inspiré pour le titre de cette chronique. Je ne suis pas trop certaine d'ailleurs que les personnages mis en scène par le peintre se soient limités à faire bombance. La nudité des dames invitées laisse plutôt supposer que la chair fraîche faisait également partie du menu!

Mais permettez-moi de revenir à mon propos, ce qui demandera, pour certains d'entre vous, un peu de concentration. Donc, dans le cadre de la Semaine de la fonction publique, l'Amie yogini a été invitée à offrir deux cours de yoga. Comme il pleuvait hier, nous avons dû nous contenter d'une petite salle de conférence pour lâcher notre ohm. Par contre, aujourd'hui, il faisait beau et chaud. Une température idéale pour déjeuner... je veux dire faire du yoga... sur l'herbe.

Nous avons installé nos tapis sur la pelouse et avons été rejoints immédiatement par un troupeau de fourmis. Pas grave. Elles semblaient très zen et de toute façon absolument décidées à nous accompagner. C'était vraiment particulier de partager ainsi notre tapis avec plus petit que nous. Autre léger hic : les rayons du soleil plombaient suffisamment fort pour faire en sorte que lorsque nous devions déplacer nos pieds, nous ressentions sans vraiment trop nous y attendre une brûlure, un peu comme l'enfant qui touche un rond de poêle. Encore là, rien de suffisamment incommodant pour se déconcentrer et perdre les bienfaits de cette pratique inusitée.

Sans jamais l'avoir expérimenté encore, j'imagine que ce doit être aussi très agréable de faire du yoga sur le sable devant un quelconque plan d'eau. Mais peu importe l'endroit. Je crois que ce que j'aime particulièrement dans le fait d'être dehors, c'est de pouvoir sentir encore plus pleinement l'enracinement. Toucher directement la terre, c'est établir une connexion sans obstacle avec l'énergie vitale. C'est peut-être pour ça que j'ai toujours adoré me promener nu-pieds!

L'enracinement. Je me souviens à une époque plus, disons agitée, de ma vie, qu'une thérapeute m'avait dit que je n'étais pas suffisamment enracinée. J'avais apparemment tout dans la tête, mais rien dans les pieds. Et je suis bien obligée de reconnaître que, depuis que je m'ancre davantage au sol, je me sens beaucoup plus forte. D'ailleurs, le physio que je consulte pour les petites douleurs découlant de mon entraînement parfois trop intensif se plaît à me répéter : "Toi, je t'imagine sur les trottoirs. Tu dois marcher de façon très énergique en écoutant ton métal." C'est vrai.

J'y étais d'ailleurs ce soir, sur les trottoirs. De retour enfin après ma semaine de rase-motte. C'était bon, ça aussi. Même chaussée d'espadrilles, je faisais corps avec la terre. J'ai poussé l'audace à faire mon long parcours tellement j'avais besoin de bouger. Finalement, tout cet exercice m'a creusé l'appétit. C'est drôle, j'avais comme une envie de déjeuner...

dimanche 12 juin 2011

La troisième saison

L'Homme et moi formons un vieux couple. En septembre, nous fêterons notre trente-troisième anniversaire de mariage et, si l'on compte notre année d'illégalité, nous partageons notre quotidien depuis... depuis trop longtemps sans doute. C'est en tout cas sûrement l'avis de beaucoup de gens qui, de nos jours, préfèrent la variété à la stabilité. Ne vous en faites pas, nous sommes fort capables de nous mettre à leur place et de comprendre leur désir de nouveauté.

Le problème, c'est que l'Homme et moi sommes étonnamment stables et prévisibles. Prenez seulement l'exemple du logement. Quand nous sommes arrivés dans la région, nous avons d'abord habité en appartement à Ottawa, plus précisément sur la rue Chapel. Nous sommes restés un an au 203, puis nous avons déménagé nos pénates au 403. Pourquoi deux étages plus haut? Ce n'était même pas plus grand. Les planchers de bois franc étaient juste plus propres. À part ça, c'était divisé exactement pareil. Inutile de vous dire qu'il n'a pas été difficile de nous adapter à notre nouvel environnement. Nous avons tout replacé au même endroit. À notre décharge, je dois avouer que nous avions quand même pris le temps de visiter d'autres appartements dans le quartier mais aucun ne nous était tombé dans l'oeil.

Puis, nous avons décidé de laisser le ROC pour retourner dans notre pays. Cette fois, nous avons changé de ville et avons loué le haut d'une maison. Nous y sommes restés environ six ans avant de finalement dénicher la maison de nos rêves... située de l'autre côté de la rue. Nous sommes ainsi passés du 290 au 273. Nous avons simplement transporté nos choses à la main. Et nous sommes toujours à la même adresse.

Alors nous sommes stables et encore ensemble après toutes ces années. Rassurez-vous. Cela ne nous empêche pas de nous tomber parfois royalement sur les nerfs. L'une des choses qui nous irrite beaucoup entre autres, c'est notre conception fort différente de la communication. Je vous résume le tout : je parle constamment et l'Homme n'écoute jamais. Bon, bon, j'exagère. C'est que moi je suis un moulin à paroles. Et l'Homme, lui, parle toute la journée à cause de son travail de vendeur. Quand il revient à la maison, disons qu'il aspire au silence. Pauvre de lui. Moi j'ai toujours des émotions à partager, des idées à proposer, des anecdotes à raconter, bref je le sollicite au quart de seconde. Comme il me répond au quart d'heure, nous vivons un décalage qui entraîne inévitablement de constants quiproquos :

Moi : "Je pense que nous devrions manger des steaks sur le BBQ ce soir. Il va faire beau, ce sera agréable d'en profiter. Qu'est-ce que tu en dis?"

L'Homme : Pas de réponse.

Moi : "Il me semble qu'on mange trop de boeuf. Il paraît qu'il faut réduire notre consommation de viande rouge. Si on veut faire plus attention à notre santé, on devrait acheter davantage de poulet. Justement, je crois qu'il reste des poitrines dans le congélateur. Je pourrais peut-être faire des brochettes. Qu'est-ce que tu en penses?"

L'Homme : Pas de réponse.

Moi : "Dans le fond, s'il fait vraiment chaud aujourd'hui, on pourrait simplement se contenter d'une salade. Ce serait encore mieux, pas de viande du tout."

L'Homme : "Ouais, c'est une bonne idée des steaks."

AAAAAAAAAHHHHHHH! Vous voyez.

Alors, aujourd'hui n'avait pas été différent des autres jours. Au déjeuner, l'Homme m'avait déjà demandé de me calmer un peu et de le laisser respirer. Il m'avait même avoué, en essayant de boire son café tranquille, qu'il serait mieux tout seul! Tout s'était arrangé, comme à l'habitude, et nous sommes allés au Marché By pour acheter d'autres fleurs et nous asseoir à une terrasse. Il faisait beau. C'était vraiment agréable. Dans l'auto, sur le chemin du retour, je n'ai pas pu m'empêcher d'étaler mes états d'âme à mon compagnon :

Moi : "Je sais que tu ne veux pas que je parle tout le temps de mes émotions, mais j'ai réfléchi et je dois absolument te faire part de la façon dont je vois notre couple maintenant."

L'Homme : Pas de réponse.

Moi : "Tu vois, avec les enfants partis, nous retrouvons notre liberté. En plus, nous sommes tous les deux en bonne santé, ce qui n'est pas à négliger. Notre situation financière est aussi meilleure qu'il y a quelques années. Nous pouvons davantage nous permettre de nous gâter."

L'Homme : Pas de réponse.

Moi : "Alors, je trouve que nous vivons l'âge d'or de notre couple. Qu'est-ce que tu en penses?"

L'Homme : Pas vraiment de réponse mais un sourire en coin que je note immédiatement.

Moi : "Pourquoi tu ris? Tu ne trouves pas que j'ai raison?"

L'Homme : "Si tu vois les choses comme ça, je préférerais que l'on parle de la troisième saison de notre couple. Me semble que ça fait moins vieux aux couches placés dans leur centre d'accueil."

Moi, surprise de l'à-propos de son intervention : "C'est vrai. C'est beau la troisième saison. Ça me rappelle le disque d'Harmonium, La cinquième saison. Eh! pourquoi pas la cinquième saison? Ce serait sympa aussi."

L'Homme : "Tu ne trouves pas que, rendus à la cinquième saison, on ne sera pas loin du centre d'accueil?"

Moi, émerveillée par son esprit philosophique : "Je n'y avais pas pensé. Alors, c'est dit, nous vivons la troisième saison de notre couple."

Après le printemps et l'été, voici l'automne. Ma saison préférée.

samedi 11 juin 2011

Ras-la-bolle

Avis : Les propos scatologiques contenus dans ce message sont voulus. Âmes sensibles s'abstenir!

Je reviens de loin. J'ai été malade. Une gastro. Une vraie. Heureusement, seul le bas du corps a été touché. Faut croire que le monde me faisait simplement chier, pas vomir en plus. C'est déjà ça de pris. 

Je déteste être malade parce que mon côté hypocondriaque revient bien vite à la surface. Si je ne me sens pas mieux dans les vingt-quatre heures, c'est la panique qui s'installe. Et avec elle les idées noires, les scénarios de fin du monde, le découragement absolu. J'ai été comme ça toute la semaine. Je voulais presque en finir. Je sais, c'est stupide. Mais je ne raisonne plus quand je me retrouve dans cet état. Je me sens simplement démunie, vulnérable, infiniment triste. Je voudrais que ma maman soit là pour prendre soin de moi. Allez, dites-le, c'est pathétique.

Pourquoi le monde me fait chier? Pour bien des raisons. Certaines plus importantes que d'autres. Je me suis rendue compte surtout que c'est l'ensemble de la chose qui m'a donné mal au ventre. Encore ce soir, je dois me contrôler pour ne pas sentir monter en moi l'impatience, l'exaspération et l'écoeurement. Oupse. Faut que je fasse attention si je ne veux pas que tout me remonte dans la gorge. Juste au moment où j'arrive à reprendre le contrôle de mes sphincters, faudrait pas que je redégringole dans le fond d'la bolle.

Alors, vous êtes intéressés à ce que je vous énumère en vrac ce qui me contracte l'estomac? Peut-être pas mais comme je ne peux pas le savoir, je déballe mon sac. D'abord, il y a la retraite qui arrive trop vite ou qui n'arrive pas pantoute. Cette semaine, j'aurais bien voulu que tout soit enfin fini et que je sois libre de consacrer le temps voulu à me remettre sur pied sans avoir à me préoccuper du nombre de congés de maladie que j'ai en banque ni à me rapporter chaque jour à mon superviseur, tel un enfant d'école, pour l'informer que je ne rentre pas parce que j'ai été sur la bolle toute la nuit! J'ai 55 ans, bientôt 56. Ça fait 34 ans que je me lève pour aller travailler. Et depuis deux ans, je le fais pour rien. Comprenez-vous que le 25 août n'arrivera jamais assez vite!

Et il y a la paperasserie qui m'envahit. Je vous en ai déjà parlé. Rien ne s'est amélioré de ce côté. En fait, c'est pire avec la grève des postes. Faudra donc dès lundi que je cours après la fameuse trousse d'information qui m'a supposément été envoyée depuis au moins trois semaines et que je n'ai évidemment jamais reçue. Et pour la partie qui concerne les ressources inhumaines à mon bureau, pas de nouveau là non plus. Je suis curieuse de voir si on a enfin répondu à mes derniers courriels. Je crains d'être amèrement déçue.

Il y a aussi les enfants dont je m'ennuie. Ça revient périodiquement. Surtout quand je pense à la Fille et à son aventure en Amérique du Sud. Ses courriels nous parviennent quand même assez régulièrement. Les nouvelles sont bonnes. J'essaie simplement de rester cool quand je lui réponds après avoir lu sur ses ascensions en montagne et ses malaises à cause de l'altitude et ses déplacements en autobus bondés et surchauffés et ses visites à la clinique des voyageurs avec ses deux compagnes indisposées. Ouf! De son côté, tout cela n'est évidemment que de la petite bière. Tout va très bien, Madame la Marquise, tout va très bien, tout va très bien. Ouais.

Quand je me sens vraiment, mais vraiment découragée, par exemple quand je me rends compte que je suis toute énervée à la pensée de me faire une soupe Lipton poulet et nouilles avec des biscuits soda dedans, je me rappelle mes nouveaux sillons. Je suis pas mal plus à côté d'la traque qu'à l'intérieur du chemin mais je ne veux pas lâcher. Je veux vraiment apprendre à lâcher prise, à devenir plus flexible et à relativiser les choses. Beaucoup de pain sur la planche, surtout pour quelqu'un qui n'en mange que deux miettes à la fois ces temps-ci! M'enfin.

J'ai retrouvé un semblant de courage aujourd'hui. Je suis allée au Marché By avec l'Homme pour acheter des fleurs. Malgré la faiblesse que je ressentais avec ma misérable toast pas de beurre dans l'estomac et l'absence de caféine, j'ai réussi à renaître un peu devant la beauté et les couleurs des étalages. Je me suis presque emballée. Oui, oui. J'ai même versé une petite larme en contemplant les arrangements inédits que j'avais réussi à dénicher. Je n'avais qu'une hâte : me mettre vite à la tâche. Ce que j'ai fait avec l'aide de l'Homme pendant tout l'après-midi. Je dirais que j'ai pratiquement terminé. Il me reste deux caissettes à transplanter. Et un ou deux plants de tomates à acheter. Peut-être aussi que je vais me composer deux autres pots pour mettre près de la tonnelle. En tout cas, vous auriez dû voir comme les espiègles étaient contents quand j'ai jeté dans leur bassin une laitue d'eau et deux jacinthes. Ça n'a pas pris de temps pour qu'ils s'attaquent aux racines des malheureuses nouvelles venues. Ils étaient tellement drôles. On aurait dit qu'ils les utilisaient comme des manèges pour tourner en rond ou comme des flotteurs pour s'approcher du jet d'eau. Ils souriaient presque. Et moi aussi!

dimanche 5 juin 2011

À bicyclette

Oui, l'argent a une odeur. Elle pue. Elle sent mauvais parce qu'elle a le don depuis toujours de m'empoisonner l'existence. C'est sans doute parce que je n'en n'ai jamais eu suffisamment. Je dois donc constamment me battre avec elle et, à cause de cela, nos relations sont très, très tendues.

Je trouve ainsi que prendre ma retraite de la fonction publique vient aggraver mon rapport avec l'oseille. Je n'en peux plus de vérifier auprès de sources qui se contredisent les étapes que je dois suivre pour pouvoir enfin quitter mon emploi en m'assurant de toucher comme prévu la pension à laquelle j'ai droit. Vous pensez que j'exagère? Hélas, j'aimerais bien vous dire que je me laisse emporter par mes émois habituels et inutiles. Mais ce n'est pas le cas. Les conseillères se mêlent dans leurs conseils, et ce, c'est lorsqu'elles daignent répondre à mes questions. Je me tourne je ne sais trop pourquoi vers mes collègues qui sont aussi perdues que moi. Et les écrits, ceux qui restent, n'ont pas été rédigés pour éclairer qui que ce soit. Bref, d'après ce que je comprends jusqu'à maintenant, je devrais avoir en banque un pécule me permettant de survivre au moins six mois sans toucher le moindre rond. Et je suis généreuse dans mon estimation.

Comme je ne dispose pas de cette somme parce que je suis une cigale invétérée mais mal assumée, j'angoisse, j'anxiogène et j'arrive à ruiner une journée magnifique en me tracassant pour la maudite argent sale qui pue. C'est là où en j'en suis en cette fin d'après-midi douce et agréable, assise sur le patio en train de contempler la beauté qui s'offre à moi et qui devrait suffire à me remplir totalement. Au lieu de simplement apprécier le résultat de mes efforts constants et répétés des dernières semaines, je n'arrête pas de penser à mes frustrations monétaires. L'Homme n'en peut plus d'entendre ma complainte. Parce qu'il sait que dans ce genre de situation, il ne peut rien dire pour me changer les idées, il se tait. Je suis encore plus frustrée.

Finalement, nous décidons de nous rendre à pied à l'épicerie chercher les ingrédients manquants pour le souper. J'essaie de penser à autre chose. De parler d'autre chose. Au bout de la rue, nous rencontrons un jeune garçon qui marche à côté de sa bicyclette. Je ne sais pas pour quelle raison il décide de nous expliquer qu'il cherche un siège pour son vélo. C'est seulement à ce moment que nous constatons qu'effectivement son vélo ne possède pas de siège. Il paraît que quelqu'un le lui a volé. Il nous fait alors part de ses dernières recherches infructueuses et de l'espoir qu'il entretient que son beau-père pourra peut-être lui en trouver un. L'Homme et moi avions justement discuté dans la journée du ménage que nous devrons faire prochainement dans le garage (rappelez-vous de ma frustration de lundi soir) et des choses dont nous devrons nous débarrasser. Parmi celles-ci, je vous le donne en mille : un vélo à peine utilisé par la Fille. Je ne suis pas forte en maths mais j'additionne rapidement un plus un pour proposer à notre ami de venir voir le vélo en question. Ça tombe bien. Il demeure à quelques maisons de chez nous. Nous lui demandons de venir dans environ une demi-heure.

Nous avons le temps de commencer le souper avant que notre client potentiel vienne examiner la marchandise. L'Homme gonfle les pneus et ajuste le siège. Notre ami, qui s'appelle Noah, lui tourne autour et semble bien content de ce qu'il voit. Comme nous lui avions dit que nous pensions demander 20 $ pour le vélo, il nous informe qu'il va revenir le chercher la semaine prochaine quand il va avoir réussi à accumuler son argent. L'Homme me regarde et nous nous comprenons sans parler. "Noah," commence l'Homme, "nous allons te faire un bon prix pour ce vélo. Tu peux partir avec tout de suite." Noah le regarde, ne semblant pas trop comprendre. L'Homme reprend : "Oui, c'est gratuit. Si tu l'aimes, il est à toi." Noah accepte notre offre mais en nous proposant de venir nous rendre de petits services pour compenser.

Plus tard, en repensant à Noah, une question revenait constamment dans ma tête : "C'est quoi le pire? Avoir une bicyclette pas de siège ou ne pas avoir de bicyclette du tout?" Et c'est là que j'ai enfin pu remettre en perspective toute cette affaire d'argent. Depuis que nous sommes ensemble, l'Homme et moi savons que nous ne mourrons pas riches, mais ce n'est pas ça l'important. Non, l'important, c'est de pouvoir donner un siège et une bicyclette à un petit garçon.

vendredi 3 juin 2011

De rien sur tout

C'est drôle comme on peut ne rien avoir à dire sur une journée pourtant parfaite. Ce serait donc vrai que les gens heureux n'ont pas d'histoire. Comme pour les chansons ou les livres ou les tableaux, il faut souffrir un peu pour avoir envie de s'exprimer et de mettre ses tripes sur la table.Vous aurez compris que je n'ai éprouvé aucune douleur aujourd'hui et que, par conséquent, je serai brève, ou tenterai de l'être à tout le moins.

J'ai surtout beaucoup, beaucoup marché. D'abord pour me rendre chez le coiffeur, puis ensuite chez l'acupuncteure. Je dirais que tout cela doit représenter un bon deux heures de vivifiant exercice. La température était tout simplement idyllique. Beau soleil. Du vent juste assez pour garder frais. Je ne sais pas ce qui se passait en-dedans de moi, mais j'avais une énergie qui me semblait inépuisable. C'était facile de bouger. C'était agréable. C'était quelque chose dont j'avais besoin. J'ai l'impression d'avoir été au garage pour un changement d'huile. La machine avait sérieusement besoin d'être décrassée. Si vous ajoutez à cela d'heureuses rencontres, tant prévues qu'imprévues, et un séjour prolongé sur terrasse, vous aurez saisi mon bonheur quotidien.

Je termine en vous donnant des nouvelles de Mimi que je croyais morte de sa belle mort dans la plate-bande la dernière fois où elle a été expulsée manu militari de la maison. Eh! bien, ce n'était pas le cadavre de Mimi que j'ai cru avoir identifié il y a environ un mois puisque, au moment où je vous parle, l'Homme tente de capturer une jolie petite souris avec... la balayeuse. Nous avions puce à l'oreille qu'un représentant de la gent trotte-menu se trouvait à nouveau dans nos murs en raison du comportement anormalement agité de Mignonne. Celle-ci, qui se précipite toujours dans son plat le matin, préférait depuis trois jours faire le guet devant le piano, devant le frigo du sous-sol ou bedon devant le placard de l'entrée. L'Homme m'avait finalement avoué hier soir qu'il avait vu Mimi se balader dans le salon mais sans avoir été capable de l'attraper. C'est là qu'il a eu l'idée de la capturer au moyen de la balayeuse.

En revenant à la maison tout à l'heure, nous avons été accueillis par une Mignonne énervée qui courait dans la cave. Et pour cause. Mimi aussi, énervée, courait dans la cave. Elle a bien essayé de se camoufler dans un petit coin mais Mignonne ne la lâchait pas des yeux. Cela a permis à l'Homme de la faire avaler par la vilaine balayeuse.

Mimi a été d'abord relâchée sur le patio où elle semblait plutôt sonnée. L'Homme l'a ensuite déplacée à ma demande dans un endroit plus tranquille pour qu'elle reprenne ses esprits. Selon le chasseur, la proie devrait s'en tirer. Disons que j'ai mes doutes mais, en même temps, je commence sérieusement à me demander si les souris ne jouissent pas, elles aussi, de sept vies!

mercredi 1 juin 2011

Des signes qui en disent long

Mesdames, si vous faites partie de celles sur le passage desquelles on se retourne, tant mieux pour vous. Ce n'est pas mon cas. L'Homme déteste quand je parle de ça prétextant que j'en fais une obsession. Je ne trouve pas. C'est juste que je note de façon tout à fait réaliste que je ne suis pas membre du cercle des femmes qui attirent l'attention. Pour ménager sans doute ma féminité blessée, l'Homme prétend que je suis regardée plus que je ne le pense. C'est juste que, selon lui, les représentants du sexe fort qui osent jeter un oeil sur moi sont très discrets. Ouais.

Pourquoi je vous parle de ça maintenant? C'est que ce soir, en me rendant prendre l'autobus, j'avais devant moi tout un pétard. Une jeune femme, très mince, vêtue d'une jupe assez courte laissant dépasser de belles et longues jambes juchées sur des talons vraiment hauts. Même si je trouvais qu'elle semblait avoir de la difficulté à marcher avec ce genre de chaussure, je dois avouer que cela lui donnait un balancement de hanches très sexy. Pendant que j'appréciais cette vision de la beauté féminine en tentant d'éviter toute comparaison avec ma propre silhouette, j'ai remarqué que la Femme fatale et moi allions bientôt devoir passer devant un homme assis sur un banc en train de fumer. Comme j'étais derrière, j'ai eu tout le temps de noter le regard soudain allumé du mâle en question. Il n'a pas trop zieuté quand elle arrivait près de lui, mais il s'est furieusement repris dès qu'elle l'a eu dépassé. Il s'étirait le cou pour mieux apprécier et a carrément tourné la tête pour la suivre des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse à l'intérieur de l'immeuble. Évidemment, pendant qu'il perdait ainsi son temps de voyeur, il ne pouvait prêter attention à la jolie personne qui suivait la Femme fatale, c'est-à-dire Bibi portant chemisier sans intérêt parce que sans dévoilement de craque, pantalon capri non moulant et souliers plats conçus pour la marche et le confort. Je n'ai même pas eu un soupçon d'idée que je pouvais soutenir la compétition. J'ai décidé de mettre ça sur le compte de l'âge. Une nymphette ou une femme bientôt à la retraite? Le choix est facile. Je sais, je sais. C'est une piètre excuse, mais elle me permet de sauver la face.

Sur un tout autre registre, j'ai reçu hier un signe non équivoque sur le caractère opportun de mon départ imminent de la fonction publique. Si j'avais encore des doutes, là, c'est fini. Je vous raconte. Comme tous les matins depuis bientôt trente-quatre ans, je me dirige vers la cuisine pour préparer mon café. Lubrifiant par excellence du cerveau du fonctionnaire qu'on veut éveillé et réveillé, il m'accompagne chaque jour dans les premiers balbutiements de ma présence devant l'ordi. Je prépare donc l'élixir divin (parenthèse pour l'Amie yogini - je sais que je devrais réserver cette expression au thé que nous aimons tant toutes les deux, mais en l'utilisant ici je confesse mon faible pour le liquide brun à l'arôme irrésistible et surtout au goût fort éloigné du gazon fraîchement tondu - fin de la parenthèse) et je pèse sur le bouton de mise en marche de la cafetière. Je quitte la pièce quelques minutes pour aller porter mon sac de café à mon bureau et y prendre ma tasse. Mes habitudes sont tellement ancrées que je sais pratiquement à la goutte près le temps dont je dispose pour réaliser l'aller-retour entre mon bureau et la cuisine.

Je reviens donc sur les lieux dispensateurs de caféine et, machinalement, je saisis le récipient en verre censé contenir mon énergie vitale. Il est étrangement léger. Et pas chaud du tout. Voilà également que, dans un effort surhumain de prise de conscience avant prise de café, je me rends compte qu'il n'y a rien dans le récipient en question. Cela suffit pour me faire enfin réagir. Je m'exclame, dépitée, devant d'autres fonctionnaires essayant eux aussi de se mettre en train : "Qu'est-ce qui arrive? On dirait que ma cafetière a rendu l'âme. La plaque chauffante ne fonctionne pas. L'eau ne s'écoule pas du réservoir. Il y a bien le bouton rouge de mise en marche qui est allumé mais il ne se passe rien." Les observateurs témoins de ma déconvenue me suggèrent de brasser l'appareil déficient, de lui donner des coups quoi! Vous trouvez peut-être qu'il s'agit là de conseils peu intelligents. Je vous rappelle, au cas où vous n'auriez pas été attentifs à mes propos, que nous n'avions pas encore pris notre café!

Peu importe. Rien n'y fit. J'ai dû me rendre à l'évidence : ma cafetière avait décidé de prendre sa retraite avant moi. Si ça, ce n'est pas un signe, je me demande ce que ça vous prend.