jeudi 9 mai 2019

G comme Grandiose


Ouais... mardi dernier je pensais que je mourais. Encore une fois. À cause de mon anxiété. Cette folle du logis qui habite ma tête et que je n'arrive pas à chasser. On dirait qu'elle a signé un bail perpétuel. En tout cas, c'est une locataire dont je pourrais facilement me passer. Heureusement qu'elle prend du repos parfois. Cela me permet d'en prendre aussi.

Alors, c'est ça, mardi, je pensais que je faisais une crise de coeur. Rien de moins. C'est sûr que j'ai réussi à faire monter ma tension artérielle au plafond. Mais mon coeur lui a résisté. Croyez-vous que je suis redescendue de ma montagne de panique depuis? Ben non. Et ma pression non plus.

Je ne suis pas morte. Encore une fois. Mais j'ai un grand ami qui a fait le pas lui. La fin de semaine de Pâques. Il a décidé que c'était fini la vie avec sa misère, sa souffrance, sa douleur, sa peine. Ce n'était plus une vie. Et quand il a eu pris la décision de choisir la sédation palliative, il n'est jamais revenu en arrière. Dans sa tête, c'était clair. Et il m'a offert le très beau cadeau d'être là, de lui tenir la main et de l'accompagner. Il a pris le temps de me dire merci pour tout. Et j'ai pu lui dire à quel point je l'aimais. Il ne voulait pas que je pleure. Et je l'ai écouté. Mais maintenant je peux pleurer car il n'est plus là.

Il était doux comme un agneau. Il avait un coeur immense. Mais il n'avait pas eu la vie facile. L'Homme et moi avons eu la chance de le connaître il y a déjà huit ans. À ce moment-là, il n'était pas encore en perte d'autonomie. C'est malheureusement venu trop tôt dans sa courte vie. Il nous a fait périodiquement passer à travers des séjours répétés aux soins intensifs ou à l'urgence. Chaque fois, nous pensions le perdre. Mais il nous revenait avec entres autres sa passion effrénée pour les sports. L'Homme adorait le visiter et prendre un café et un muffin aux bananes et aux pacanes avec lui en discutant de la prochaine partie de hockey. Notre fan fini écrivait tous les scores sur son calendrier des Canadiens. Et quand l'Homme lui demandait : "Comment ça a fini la partie hier soir?", invariablement il répondait : "Regarde sur le calendrier!".

Il me disait souvent que j'étais comme une mère avec lui. C'est vrai. Je m'inquiétais. Je prenais soin de lui. Je lui faisais ses desserts préférés. Il n'avait pas de téléphone mais il en empruntait toujours un pour me remercier de mes gâteries. La dernière fois où c'est arrivé c'est après avoir mangé un morceau de poudding chômeur qui, comme il me l'a avoué avec un peu de regret dans la voix était, semble-t-il "meilleur que celui de ma défunte mère".

Chaque mois, je lui achetais ses livres de sudoku, passe-temps qu'il adorait. Il participait invariablement au concours et m'appelait pour me demander d'aller vérifier en ligne s'il faisait partie de la liste des gagnants. Il n'a pas été chanceux très souvent... malheureusement.

Qu'est-ce qui me reste de toi, mon cher, mon grand ami? Le souvenir que, tant que tu as été capable de le faire, tu me protégeais, comme tu disais, quand mon bénévolat me faisait rencontrer des gens impatients. Ça arrive. Quand on est dans la misère constante, des fois, on a plus de patience. Savoir que mon ami n'était pas loin, prêt à intervenir au besoin, me rassurait. Je lui ai demandé avant de le quitter pour une dernière fois, si ce serait possible pour lui de continuer à me protéger. Il a dit oui. Et quand mon ami disait oui, le doute n'était plus permis. Je sais donc qu'il est encore à mes côtés.

Qu'est-ce que je garde de toi, mon bel ami? L'exemple d'une personne courageuse jusqu'à la fin. Quelle dignité a marqué ton départ! Tu étais tellement beau avec tes deux bras croisés sur ton ventre pendant qu'on commençait les injections. J'étais debout juste en face de ton lit. J'avais l'impression que ce n'était pas réel. Mais toi tu disais au docteur que ta décision c'était "clair, net et précis". Pas de retour en arrière possible. Je ne savais tellement plus quoi faire, quoi dire. Et je ne pouvais même pas pleurer.

Alors, je ne suis pas morte mardi. Mais j'en bave un coup depuis quelques jours. Cette après-midi, j'ai décidé de faire un exercice d'art-thérapie recommandé par ma psy. Je devais dessiner quelque chose en écoutant une chanson que j'aime. J'ai choisi "Un air d'été" de Pierre Bertrand et cela a donné l'explosion qui illustre ce blog. C'est comme ça que je me sens en-dedans. En complet bouleversement mais, mais, avec une pointe de beauté et de légèreté malgré tout. Comme la légèreté diaphane qui enveloppe dorénavant mon ami. Je t'aime. Et j'essaie de ne pas pleurer.