lundi 27 février 2012

Délice et volup"thé"

Quand je suis revenue à la maison en fin d'après-midi, il neigeait à gros flocons. J'ai croisé une petite fille qui tenait la main de sa maman en marchant avec la langue toute grande sortie de sa bouche. Vous devinez pourquoi. Lorsqu'elles sont passées près de moi, j'ai entendu la petite fille déclarer triomphalement : "Tu sais, j'en ai attrapé plein!" J'ai souri.

Et vous, quand avez-vous tiré la langue la dernière fois? Vous ne me croirez peut-être pas mais moi je l'avais déjà fait aujourd'hui. Parfaitement. Et avant la tombée de la neige en plus. C'était ce matin au cours de yoga en exécutant la posture du lion. Il s'agit tout en même temps de lever les yeux au plafond, de tirer la langue et d'expirer bruyamment. Si vous saviez comme ça nettoie et purifie la gorge. Je dois dire aussi que j'y retrouve à la fois le plaisir défendu de l'impolitesse, l'ivresse de la traversée d'une frontière interdite, et l'extase du défoulement de laisser savoir mon je-m'en-foutisme par un geste d'une grande éloquence. Je suis assez certaine d'ailleurs que mes confrères et consoeurs yogini partagent ma rébellion passagère si j'en juge par l'enthousiasme qui accueille l'annonce de cette posture. En fait, quand la prof propose cet exercice, nous redevenons tous des enfants, et c'est en choeur et avec coeur que nous poussons bruyamment nos cris de lions en défoulement.

Entre le bruit tranquille de la neige et les rugissements de félins déchaînés, j'ai choisi de faire durer ma zénitude en prenant le temps d'une pause au salon de thé. Vous comprenez maintenant la volup"thé" du titre. Je sais que je me répète mais je n'insisterai jamais assez sur l'immense bien-être que l'on ressent d'avoir son temps à soi et sur ses effets positifs sur l'humeur. Comme je suis arrivée au salon après l'heure du dîner, j'ai pu profiter pleinement de l'atmosphère feutrée des lieux. Imaginez-moi un instant. Je suis assise devant une belle théière et une tasse remplies de thé noir odorant (j'aurais besoin ici de l'aide de l'Amie yogini pour vous dire exactement ce que je buvais car je ne me rappelle jamais des variétés que j'essaie, seulement de leur couleur). Je savoure donc cette boisson délectable en lisant un roman policier. De temps à autre, j'échange quelques mots avec A., l'un des maîtres de céans. Je jette aussi distraitement un oeil à l'horloge, pas parce que je suis attendue quelque part, mais simplement pour évaluer l'heure à laquelle je devrai finalement me résoudre à quitter. C'était un moment magique. Un autre. Et je suis assez contente de moi d'avoir pu en saisir l'instantanéité. De celui-là et de tous les autres que j'ai vécus aujourd'hui.

Vous ai-je mentionné que le thème retenu par notre prof de yoga pour notre cours de cette semaine était la gratitude? La boucle est bouclée.

jeudi 23 février 2012

De paroles et d'actes

Presque une semaine s'est écoulée depuis l'épanchement de mes derniers états d'âme. J'ai envie de vous parler de toutes sortes de choses en général, et de rien de précis en particulier.

Tenez, je commence en vous citant des paroles qui m'ont aidée à traverser les montagnes russes de l'anxiété digestive qui me ronge ces temps-ci. Je donne tout d'abord préséance à la langue de Shakespeare (une fois n'est pas coutume) : We can do it... but a little bit at a time. Cette phrase, qu'en tant que participants à une présentation donnée au Centre de santé mentale Royal d'Ottawa nous avons été invités à répéter à plusieurs reprises, m'est restée dans la tête et j'en suis bien contente. Je voudrais tellement être parfaite, tout comprendre, tout saisir, tout contrôler et, surtout, régler les choses pour toujours. Hélas! la vie n'est pas ainsi faite. Les petits pas de bonheur, comme les appelle mon amie J., sont beaucoup plus faciles à faire. Même analogie pour mon entêtement à vouloir digérer de gros morceaux d'émotions tout d'un coup. Parole de sagesse de la soeur Psy à ce sujet : "Il me vient à l'idée que tu pourrais découper en petites bouchées ce que tu trouves indigeste pour éventuellement mieux l'assimiler." Bien dit. Je me suis achetée des pots de bébé.

J'ai aimé aussi cette réflexion de Michael J. Fox dans une entrevue entendue par l'Amie yogini qui me l'a rapportée pour mettre un peu de baume sur mon âme écorchée. Le comédien, qui est atteint de la maladie de Parkinson, racontait avoir échafaudé des centaines de scénarios sur l'évolution de sa maladie jusqu'à ce qu'un jour il se dise qu'il fallait arrêter tout ça. En effet, à quoi bon imaginer des versions sans cesse différentes du pire si l'on a aucun moyen de savoir comment ni quand il se réalisera? S'il faut souffrir, et nous souffrirons tous un jour ou l'autre, aussi bien souffrir une seule fois. C'est bien assez. Maintenant je mets les freins quand le petit hamster commence à se promener dans sa roulette.

Sur une autre note complètement, je dois absolument vous parler de la belle démonstration d'entraide communautaire à laquelle j'ai assisté cette semaine. Étant donné que je bénévole à deux endroits, j'ai favorisé la création d'un pont, virtuel bien entendu, qui a permis d'unir nos ressources pour mieux desservir les bénéficiaires. J'étais vraiment émue mardi quand j'ai vu arriver les aliments fournis par la Soupière pour nous aider à compléter ce que nous recevons de Moisson Outaouais. J'avais l'impression qu'une éclaircie venait de montrer le bout de son nez dans le sombre monde de la pauvreté.

Et, aujourd'hui, j'ai conclu une entente avec le responsable de la production à la Soupière. Le 8 mars prochain, nous allons cuisiner ensemble un pouding chômeur! J'ai vraiment hâte de voir comment on fait pour multiplier une recette à une échelle que j'ai de la difficulté à imaginer. Nous voulons en effet que tous les dîneurs puissent se sucrer le bec pour l'occasion. Je vous en redonne des nouvelles.

Enfin, parlant de nouvelles, je vous informe que Pinpin, alias Fred, se porte toujours comme un charme. Quand je l'ai croisé hier, il se livrait à son activité préférée : grignoter une carotte en plein milieu d'une entrée. Et, ce matin, j'ai nourri maman chat et son bébé noiraud. Pas de trace cependant de l'autre rejeton.

Voilà pour le résumé de ma vie des derniers jours. Je suis contente car demain, c'est congé!

dimanche 19 février 2012

Ici et maintenant

"Alors l'esprit ne regarde ni en avant ni en arrière. Le présent seul est notre bonheur." - Goethe

La pleine conscience. C'est là-dessus que je travaille depuis que j'ai passé la fin de semaine à Montréal avec la soeur Psy. Nous avons acheté chacune un exemplaire du livre de Christophe André intitulé Méditer, jour après jour, et nous avons décidé d'en lire un chapitre par semaine pour en discuter. Pour le moment, j'attends l'appel de l'autre membre du club littéraire. En attendant, laissez-moi vous faire part de mes difficultés à vivre le fameux instant présent.

Rationnellement, je comprends. Mais quand je veux pratiquer par exemple de m'arrêter, même pour une minute, je me rends compte que mes pensées sont partout. Je dois constamment les ramener à l'expérience que je tente de vivre. J'essaie alors de passer en revue les parties de mon corps pour m'assurer de les détendre. Je prête l'oreille aux bruits de la maison. Je hume l'odeur de Mignonne qui ronronne à côté de moi et qui semble elle déjà rendue au Nirvana. Pas moi. Je suis en train de penser à ce que je vais faire de ma journée, ou à ce que je devrais cuisiner pour le souper, ou à ce qui va m'arriver quand je serai décrépite et prête à être jetée aux ordures. Oummm... Je me calme.

Étrangement, je réussis davantage à m'arrêter... quand je bouge. Tenez, hier matin, j'étais sur les trottoirs à 8 h. Soleil magnifique. Ciel immensément bleu. L'odeur du printemps qui se rapproche flottait partout. Je marchais les oreilles libres parce que j'avais été réveillée par les croassements des corbeaux et que je voulais m'imprégner de ces sons dont nous sommes tellement privés pendant l'hiver. De toute façon, il y avait aussi les mésanges qui s'en donnaient à coeur joie. Alors que je déambulais en remplissant mes poumons d'air frais, j'entends tout d'un coup des toc-toc qui ressemblaient à des coups de marteau. Je trouvais que le bricoleur était de bonheur sur le piton jusqu'à ce que j'arrive au bout de la rue et que je m'aperçoive qu'il s'agissait en fait du bruit fait par deux grands pics sur les branches d'un arbre. Je me suis arrêtée net, totalement émerveillée par le spectacle qui s'offrait à moi. Nullement dérangés par l'ornithologue amateur que je suis, ils poursuivaient leur manège avec acharnement. Je ne connais rien aux moeurs de ces bêtes mais, selon moi, ils creusaient des trous pour y trouver des insectes. C'est ce qu'il m'a semblé. Je suis donc restée immobile pendant plusieurs minutes tellement émue d'avoir la chance, que dis-je, le privilège de les admirer que j'avais les yeux un peu humides. Est-ce possible d'être aussi sensible? Peu importe. Je crois avoir vécu pleinement l'instant qui était alors présent.

J'ai poursuivi mon chemin et je suis arrivée dans le coin où habite Pinpin, le faux lapin de Pâques. Je n'osais pas l'appeler tout fort car il y avait des gens dehors. J'ai pensé que je pourrais monter et descendre les escaliers jusqu'à ce que ces témoins gênants partent. Hélas! ils n'en finissaient plus de s'en aller. Le souffle court, j'ai décidé de continuer ma route quitte à ne pas voir si Pinpin était là et à repartir avec les feuilles de chou que je lui avais apportées. Comme je passais devant une entrée, je l'aperçois sur une galerie en train de grignoter une carotte. J'aurais dû y penser. Pinpin est un traditionnel. Je lui ai ainsi lancé mes pauvres verdures qu'il a dédaigneusement ignorées. Et là, un des témoins gênants s'est avancé vers moi et m'a appris que Pinpin s'appelait en fait Fred. En tout cas, c'est le nom dont il l'a affublé depuis qu'il a découvert que ce lagomorphe avait élu domicile à côté de chez lui. Pour dire vrai, Pinpin, alias Fred, n'a pas vraiment choisi de devenir un lapin itinérant. Comme je m'en doutais, il semble plutôt qu'il a été abandonné par un propriétaire stupide. Un autre! Décidément, les animaux domestiques n'ont pas beaucoup de chance par chez nous. Heureusement, Pinpin, alias Fred, est nourri par deux ou trois voisins compatissants. Seule ombre au tableau, il a la mauvaise habitude de se tenir en plein milieu de la rue. Mon informateur craint le pire à cause de la couleur pâle de Pinpin, alias Fred. J'ai repris mon parcours quand même rassérénée de savoir que mon faux lapin de Pâques avait des protecteurs. Là encore, je pense avoir vécu pleinement le moment qui était alors présent.

Malgré mes limites, je ne me décourage pas d'arriver à calmer mon intérieur. Selon l'auteur du livre, le secret repose dans la pratique. À vingt fois dans ma tête, je remettrai mes pensées au présent!

vendredi 17 février 2012

De fil en aiguille

Je déteste entrer dans ce magasin. Mais je n'avais pas le choix. L'Homme a repeint la cuisine cette semaine. De la même couleur. Parfaitement. Et pourquoi cette absence de désir de changement vous demandez-vous peut-être? Parce que l'Homme et moi aimons cette couleur et aussi parce que nous n'avons jamais vraiment envie de nous casser la tête pour la décoration. Par contre, je voulais tout de même un petit quelque chose de nouveau qui indiquerait que du ménage avait été fait. J'ai donc décidé de changer la valence en dentelle qui habille la fenêtre donnant sur la cour. Je ne voulais rien de compliqué. Seulement un autre pan de tissu pour remplacer celui que je ne voulais plus voir.

Alors il a bien fallu que j'entre dans ce maudit magasin. L'antre des doigts de fée. Le refuge des habiles du dé à coudre. Le domaine des créatrices de mode. Je hais cet endroit. Je m'y sens aussi étrangère que si je me retrouvais dans une boutique érotique. Dès que j'y mets les pieds, j'ai toujours la pénible impression qu'il est écrit sur mon front que je sais à peine coudre un bouton. D'ailleurs, je ne sais même pas comment me comporter dans ce lieu honni. Je ne comprends rien, absolument rien, à la façon dont les choses sont présentées. Je ne trouve jamais ce que je cherche parce que je ne sais pas ce que je cherche. C'est toujours vague dans mon esprit. Un bout de tissu en dentelle que je pourrais enfiler sur la même pôle. Un couvre-fenêtre qui ne nécessiterait aucune couture, aucune retouche. Je le prends. Je l'installe. Me semble que c'est simple, non?

J'ai quand même été obligée de trouver de l'aide. Tout d'abord pour être dirigée à l'endroit du tissu à rideau. Ensuite pour être conduite devant des rouleaux dressés sur une table. Enfin pour être instruite sur les ceux qui pourraient convenir à mon absence de talent dans les travaux d'aiguille. Comme je posais une énième question à l'infortunée vendeuse responsable de la section des parures de fenêtres de l'odieux magasin en me croyant obligée encore une fois de faire mon mea culpa pour ne pas être capable de distinguer le tissu utilisé pour confectionner des robes de bal de celui utilisé pour coudre des mitaines pour le four, j'entends la réflexion suivante d'une cliente à côté de moi : "Moi je sais coudre depuis que je suis haute comme ça", m'a-t-elle lancé en baissant son bras au ras du plancher. "Aujourd'hui, je suis venue acheter du tissu pour faire des couvre-théières. Une amie m'a demandé si je pouvais lui en fabriquer une. Certainement que je lui ai dit. Depuis, j'ai dû en coudre une dizaine. Je les donne." "C'est formidable", que je lui ai répondu en essayant d'avoir l'air intéressé. "Est-ce que vous avez suivi un patron?", que j'ai demandé en pensant que c'était là une question intelligente. Elle m'a regardée d'un air à la fois interloqué et piqué m'a-t-il semblé. "Non, pas vraiment. J'ai regardé la théière et c'était suffisant".

À ce moment, la vendeuse, surprenant mon début d'exaspération et voulant sans doute sauver ce qui me restait d'estime de moi, a renchéri en me regardant : "Vous avez sûrement d'autres talents". Toute heureuse de démontrer que je n'étais pas une ménagère complètement finie, j'ai clamé bien haut : "C'est vrai, j'adore cuisiner". Grand bien ne me fit pas. La pimbêche répliqua aussitôt : "Moi aussi je cuisine énormément. Il faut dire que je suis restée quelques années à la maison pour élever mes deux enfants. Cela m'a permis de me pratiquer. Ensuite, je suis retournée sur le marché du travail. J'ai donc expérimenté les deux mondes". Là j'étais sur le bord de lui enfoncer la pôle à rideau dans le gorgoton quand l'Homme s'est mêlé à la conversation : "Moi aussi je me débrouille en couture. Je peux faire des bords de pantalon". Je n'en croyais pas mes oreilles. En plus, voilà que la vendeuse et la pimbêche sont émues et béates d'admiration.

J'ai immédiatement saisi une longue aiguille à chapeau et j'ai crevé leur balloune drette-là : "Utiliser une brocheuse pour raccourcir le bas de ses pantalons, cela ne s'appelle pas de la couture, mon chéri, mais une aberration". Devant leurs regards maintenant franchement courroucés, je sus que la revanche de la Bobine masquée était accomplie.
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Notes fauniques : J'ai revu cet après-midi Pinpin, le faux lapin de Pâques. C'était notre troisième rencontre. J'avais apporté des garnottes de chat pensant que je pourrais améliorer son ordinaire. Il a trottiné vers moi, a reniflé dédaigneusement les fameuses garnottes, et il est retourné farfouiller dans la neige pour finalement dénicher une feuille desséchée de l'automne passé qu'il a grignotée rapidement en me fixant de ses gros yeux ronds. Je voulais éviter les clichés. Tant pis. La prochaine fois, j'apporte une carotte.

mercredi 15 février 2012

Leur part du gâteau

Indignée à peu près en permanence. Voilà ce que je suis devenue depuis que je bénévole au Service de dépannage de la paroisse et à la Soupière de l'amitié. Bientôt quatre mois. Ce n'est rien. Certains bénéficiaires fréquentent ces endroits depuis des années. Et leur sort ne préoccupe toujours qu'une infime partie de la société. Si ça continue, je monte une tente quelque part et je campe jusqu'à ce que j'obtienne enfin l'oreille de quelqu'un qui peut faire une différence, quelqu'un qui serait intéressé à soulager cette misère qui n'en finit plus de s'étendre. Pour le moment, je considère que le gouvernement se limite à mettre des pansements sur les bobos. J'ai des petites nouvelles pour vous, chers politiciens déconnectés de la réalité : les bobos sont devenus des plaies suppurentes qui nécessiteront l'amputation si personne ne réagit.

Je voudrais bien savoir d'ailleurs à quand remonte votre dernière visite dans un service de dépannage alimentaire. Et je vous préviens tout de suite, vos apparitions télécommandées pendant les campagnes électorales ne comptent pas. J'attends... C'est bien ce que je pensais, vous n'y allez jamais. Permettez-moi donc de prendre quelques minutes de votre précieux temps pour vous donner une image de la vraie vie, de celle que vous ne voyez pas à cause de vos oeillères judicieusement installées pour ignorer la vérité et ainsi préserver votre part du gâteau.

Par exemple, sans doute trop occupé que vous étiez à frotter les médailles du jubilé de la Reine, vous n'avez pas dû, cher M. Harper, entendre les cris de la centaine de manifestants venus hier sous vos fenêtres pour vous réclamer une aide pour les itinérants. Le budget de la Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance stagne à 20 millions de dollars par année depuis dix ans. "La maison du Père a fait passer ses lits à deux étages tellement ça déborde dans les refuges à Montréal", constatait Pierre Gaudreau du Réseau solidarité itinérance du Québec. Évidemment, votre distinguée collègue la ministre fédérale des Ressources humaines, responsable du dossier, refuse de rencontrer les représentants du Réseau.

Toujours hier, cette fois de l'autre côté de la rivière, je vous apprends que le Service de dépannage a littéralement vidé ses tablettes pour être en mesure de remplir les sacs destinés à venir en aide à la soixantaine de personnes qui en avaient besoin. Vous auriez dû voir notre minuscule local envahi par tous ces gens, dont certains manifestement mal à l'aise d'en être rendu là. Comme une jeune femme me confiait : "Ce n'est pas par plaisir que l'on vient ici. C'est parce qu'on n'a pas le choix, qu'on ne peut pas faire autrement." C'est sûr. En effet, qui, sain d'esprit, opterait pour nos petites tomates défraîchies, notre vinaigrette à la framboise avec date d'expiration échue, nos pains congelés un peu desséchés par le froid ou notre minuscule paquet de jambon tranché?

Ce matin, je lis dans Le Devoir que le Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi a lancé une pétition en ligne pour dénoncer les délais indus que subissent les chômeurs dans le traitement de leurs demandes de prestations d'assurance-emploi depuis que les services sont informatisés et centralisés. Selon Gaétan Cousineau, porte-parole du Mouvement, les retards s'étendent au-delà des 27 jours habituels. En fait, au Québec, jusqu'à 40 % des demandes prendraient de deux à trois fois plus de temps que la normale à être traitées. Je me rappelle pertinemment m'être passée la réflexion suivante en prenant connaissance de cet état de fait : "C'est horrible d'avoir à attendre aussi longtemps. Comment les gens peuvent-ils faire pour vivre en attendant leur chèque?" J'ai eu ma réponse en m'occupant du dépannage alimentaire d'urgence à la Soupière aujourd'hui. J'ai parlé à un homme qui se trouvait exactement dans la situation décrite dans l'article. Ce n'était plus de la fiction. J'avais les deux pieds dans la réalité. À la question que je dois poser concernant son revenu mensuel, j'ai obtenu cette réponse laconique : "Aucun. J'attends de recevoir un premier chèque de chômage. Ça fait douze semaines et là, je n'ai plus rien à manger."

Alors, dites-moi, pourquoi ce sont toujours les mêmes qui mangent du gâteau?

« La route qui mène à la misère est plane et elle est tout près. » Hésiode

lundi 13 février 2012

Et hop!

Grrr... J'essaie ici de traduire en onomatopée la colère et la frustration qui m'ont animée une partie de la journée pendant que je jouais à Martha en faisant le ménage de mes armoires de cuisine. Eh! oui, l'Homme est en vacances pour la semaine. Je lui ai donc trouvé du boulot. "Dis-moi, chéri, tu ne trouves pas que la cuisine aurait besoin d'être repeinte? Il me semble que ça fait une éternité que nous n'avons pas lavé les murs. Tant qu'à faire, aussi bien rafraîchir et jouer du pinceau. Qu'en dis-tu?", lui avais-je lancé insidieusement pendant qu'il lisait son journal. Comme à son habitude, il écoutait distraitement mon babillage et, pour tenter d'en réduire la cadence, il a rétorqué avec un "Ouais" que j'ai immédiatement considéré comme un engagement ultime et sans appel de sa part. Voilà pourquoi il est parti cet après-midi chercher les gallons qu'il étendra d'ici les prochains jours.

J'ai cependant vite perdu l'enthousiasme de la victoire puisque je ne peux maintenant m'éviter la besogne de nettoyer l'intérieur des armoires. Aussi bien vous l'avouer, je n'avais pas joué à la ménagère depuis des lustres dans le haut des étagères. Ce matin donc, après m'y être péniblement hissée avec la grâce et la souplesse de ma jeunesse envolée, je suis arrivée à ce déprimant constat : pourquoi, oui vraiment, pourquoi est-ce que je m'entête à garder de la vaisselle que je n'utilise à peu près jamais? Je parle bien sûr de la vaisselle des grands jours, de ces morceaux en verre taillé tellement fragiles que je n'ose m'en servir, de ces tasses de porcelaine d'une délicatesse extrême qui ne correspond pas du tout au genre de réceptions que j'organise, de ces immenses assiettes de service empilées les unes sur les autres attendant le banquet qui les mettra enfin en valeur. Les pauvres!!! Si elles savaient que les pièces montées et les grosses bêtes rôties préparées pour épater la galerie ne font absolument pas partie de mes projets que ce soit dans un avenir lointain ou rapproché.

Qu'ai-je fait? Ce que toute Martha digne de ce nom accomplit dans ces situations. J'ai sorti toute la maudite vaisselle pour la laver avant de la remettre dans les armoires, armoires que j'ai dûment rincées à l'eau chaude savonneuse pour faire disparaître les traces graisseuses de ma négligence ménagère. J'ai quand même profité de l'occasion pour mettre dans une boîte les morceaux que je ne veux plus. Je compte en soumettre le contenu à la Fille lors d'une prochaine visite. Ce qu'elle ne voudra pas conserver, je vais le jeter. Mais le pire de cette journée à plumeau, c'est que je n'ai pas terminé. Mon désespoir m'a amenée à formuler à l'Homme ce voeu sincère de simplicité volontaire : "Je trouve que nous devrions nous contenter de quatre assiettes. Ce serait amplement suffisant." Il a opiné avec un "Ouais" que j'ai immédiatement interprété comme un accord sans lendemain.

Et maintenant que je vous explique le hop de mon titre. Après m'être libérée du tablier de l'esclave domestique en fin d'après-midi, je suis sortie pour parcourir les rues, et non les trottoirs glacés, de mon trajet habituel. Je venais de terminer les hauts et les bas de mon escalier quand, soudain, j'ai vu une bête passée devant moi. Un lapin! Couleur café. Avec de magnifiques gros yeux ronds. Des oreilles plutôt petites. Il me regardait, assis sur le banc de neige, en frétillant du nez. Chaque fois qu'il se déplaçait, il laissait une crotte brun chocolat derrière lui. Me semble qu'il est tôt pour le lapin de Pâques, non?

lundi 6 février 2012

Une journée libre

J'avais envoyé hier un courriel à l'Amie yogini pour l'inviter à me rejoindre à la Maison de thé après le cours de yoga. Déception en prenant connaissance de sa réponse ce matin : un vilain mal de tête la tenait clouée au lit. Je me retrouvais sans plan précis pour l'après-yoga. Qu'à cela ne tienne. J'ai décidé que ce serait une journée faite d'imprévus. Et c'est cela qui fut.

Quand je suis arrivée dans la salle de cours, j'ai demandé au prof si elle avait envie de venir prendre le thé avec moi. Elle avait un autre engagement qui ne s'était pas concrétisé et elle a donc accepté mon invitation. Finalement, nous sommes passées de deux à quatre entraînant dans notre sillon d'autres comparses yogini. Quelle agréable rencontre en compagnie de gens absolument charmants et allumés! Je sentais déjà que le vent avait tourné.

Nos chemins se sont séparés vers 13 h 30. Il était bien tôt pour rentrer à la maison. J'ai fait un petit détour par le comptoir Saint-Vincent-de-Paul au cas où j'y trouverais des bols à dessert. Ils étaient là. Ils m'attendaient. À 75 sous l'unité, j'ai pris les six. Comme le Fils me le faisait gentiment remarquer tout à l'heure après que je me sois vantée de ma chance : "Encore de la vaisselle!" Eh! oui. J'aime la vaisselle. C'est plus fort que moi. Et je me suis retenue en plus car il y avait aussi d'autres bols mignons avec des soucoupes. Mais je trouvais que je commençais à être chargée pour quelqu'un qui se déplaçait à pied.

Je me suis ensuite dirigée vers le terminus d'autobus. Il faisait un soleil radieux. Je vous le dis, ça sentait le printemps. Je n'avais pas encore envie de retourner à la maison. Je ne voulais pas non plus m'installer à l'intérieur du centre commercial pour lire et prendre un café. J'avais besoin d'oxygène. J'ai décidé d'emprunter le pont Alexandria pour me rendre sur la rive ontarienne, plus précisément au Marché By. C'était merveilleux. J'ai croisé plusieurs adeptes de la course à pied et beaucoup de touristes qui profitaient de Bal de neige. Une fois rendue sur les terres du ROC, j'ai aperçu les clochers de la basilique-cathédrale Notre-Dame.Et là il m'est venue l'idée de vérifier si, comme ça, un bon lundi après-midi, elle était ouverte aux visiteurs. J'avais de forts doutes puisqu'en raison des vols et du vandalisme, la plupart des églises sont maintenant fermées sauf lorsque des offices y sont tenus. Je m'approche du parvis pour déchiffrer la pancarte qui donne les heures d'ouverture. À mon grand étonnement, le bâtiment est disponible pour qui veut s'y recueillir. J'entre.

Je ne peux pas vous décrire vraiment ce que c'est que d'avoir une église pour soi toute seule. Mais c'est ce que j'ai eu. C'était tellement impressionnant parce que l'intérieur de la basilique est absolument superbe. D'abord, il y a des statues partout. Et, surtout, une voûte étoilée qui vous donne littéralement envie de vous envoler. Je me suis avancée vers l'autel, retenant presque mon souffle. C'était immense. Ça sentait bon les cierges qui brûlaient. Je ne sais pas pour quelle raison les larmes coulaient toutes seules sur mes joues. Je me suis assise sur un banc près de l'autel de la Vierge. J'ai encore pleuré un peu. J'étais drôlement contente de ne pas avoir de témoin, du moins pas de témoin dans le monde des mortels. C'était silencieux. J'étais complètement coupée du bruit extérieur. J'ai pris le temps de respirer. De rendre grâce aussi. De demander le courage de continuer même si je trouve parfois que je ne sers plus à rien. Je sais, je sais. Je bénévole, mais je ne materne plus, du moins pas mes enfants. Je bénévole, mais je ne fais plus partie du monde des travailleurs. Je suis sur une autre route. Un chemin que j'apprends à apprivoiser. Les émotions sont fortes depuis le début de la retraite. Il y a l'adaptation, bien sûr, mais aussi la confrontation régulière avec une misère que j'imaginais sans jamais l'avoir véritablement côtoyée. Quand je termine mes trois journées de bénévolat, je suis souvent vidée. Je vis des choses tellement vraies, tellement prenantes pendant ces journées, que j'ai besoin de me ressourcer, de refaire le plein d'énergie pour pouvoir continuer. C'est pour ça le lundi. Et le vendredi aussi quand je ne sers pas de brunch!

Je suis sortie l'âme revigorée. J'ai poursuivi ma ballade au Marché et repris mon autobus en fin d'après-midi. Demain, nous recevons la commande de Moisson au Service de dépannage. Je me demande bien ce que nous allons manger.

dimanche 5 février 2012

De la difficulté d'être cool

C'est sûr, il y a les hormones. Encore là que, dans mon cas, cela devrait plutôt m'avantager. Mais pas vraiment pour ce qui est de paraître cool. Tenez, cet après-midi, je parcourais mes trottoirs en profitant de la température clémente d'un hiver plutôt gentil. Je portais tout de même tuque et foulard. Sans oublier les pantalons de nylon. J'avais fait fi, toutefois, des combinaisons. Je trouvais que je vivais dangereusement, mais je m'assumais. En passant devant l'école, je vois venir au loin deux jeunes filles qui devisaient joyeusement. Lorsqu'elles sont arrivées à ma hauteur, quelle ne fut pas ma stupéfaction de constater que l'une d'elles, vêtue d'une jupe très, très courte, ne portait ni bas, ni collant. Plus étonnant encore, elle ne semblait pas du tout avoir froid. C'est comme si l'été était arrivé. Pendant un instant, j'y ai cru. Un peu plus et je me déshabillais sur place. C'est mon grand âge et mon bonheur, encore récent, d'être débarrassée de la toux et de l'écoulement des sinus qui m'en ont empêchée. Juste là, par ce commentaire, je viens de trahir mon état de décrépitude. C'est pas cool ça. Non, pas cool du tout.

Hier soir, le Fils, l'Homme et moi (on dirait le début de la chanson L'empereur, sa femme et le petit prince - encore une remarque de dinosaure - vraiment, je n'y échappe pas), bref, nous trois, sommes allés entendre un show de métal mettant en vedette, je vous le donne en mille, le Pusher! Pour les quelques rares lecteurs fidèles (je suis frustrée ces temps-ci par mon faible lectorat - mais ça, c'est une autre histoire), bref, pour vous trois, je souligne que nous nous trouvions au même endroit que la dernière fois, soit au chic Maverick de la rue Rideau.

Parce que nous savons comment nous comporter dans un show de métal pour passer parmi le monde, l'Homme, le Fils et moi avions revêtu nos chandails à l'effigie du groupe du Pusher. Nos voisins ontariens étant plus sévères pour ce qui est des gros mots, nous étions prévenus sur nos billets qu'il s'agissait d'un spectacle pour des personnes matures de 19 ans et plus. Ai-je besoin de préciser que l'Homme et moi, même en arborant notre air le plus cool au monde - vous savez cette mimique désabusée de ceux qui en ont vu d'autres - n'avons pas eu besoin de présenter nos cartes? Le Fils, oui. Et vlan, dans les flancs, les vieux croulants.

Nous nous faisons étamper la main et abandonnons nos manteaux au vestiaire. Fiers de notre tenue qui nous permet, croyons-nous, de passer inaperçus, l'Homme et moi nous dirigeons vers le Pusher pour le saluer. Nous essayons de rester cool en parlant de la pluie et du beau temps avec l'une des vedettes du show. Je ne suis pas certaine, toutefois, que d'embrasser la vedette en question sur les deux joues soit vraiment la façon cool de saluer un chanteur de métal. Je pense qu'il fallait plutôt frapper son poing fermé avec notre poing fermé et ensuite se taper dans les mains. Enfin, je ne sais plus. Tout ce que je sais, c'est que je suis la seule qui l'a ainsi embrassé. À part sa blonde, bien sûr. Mais ce n'était pas sur les joues.

Bon. J'envoie l'Homme au bar nous chercher des consommations. Il revient avec nos deux bouteilles d'eau et la bière du Fils. Je sais, je sais, l'eau, c'est pas cool non plus. Cessez de nous regarder et écoutez plutôt le groupe Shotgun Cure s'exécuter. Je vais en profiter pour mettre mes protecteurs d'oreilles. Et l'Homme aussi. J'en ai apporté pour le Fils, mais il refuse de les porter prétextant que la musique n'est pas si forte que ça. QUOI??? C'est ça. Il n'entend déjà plus rien. Ensuite, c'est au tour du groupe Fatality. Je les aime ceux-là. Ça fesse.

Pendant la pause au cours de laquelle le Pusher et les membres de son groupe se préparent, deux métalleux essaient d'attirer notre attention à l'Homme et moi. Tout d'abord, celui qui a des dreads lève sa bière et fait un high-five avec l'Homme. En même temps, l'autre s'approche de moi et me demande, dans la langue de Shakespeare, si nous sommes les parents d'un des musiciens qui se produisent ce soir. En voilà un commentaire blessant. Semblerait que nous n'avons pas l'air si cool que ça après tout. Je lui rétorque que j'adore la musique métal et que c'est pour cette raison que je suis là. Il déclare alors, tout en pointant mon chandail du doigt, que je suis certainement là pour Mortör. Et, sans doute parce qu'il m'a vue "saluer" le Pusher, il poursuit en me disant : "Je gage que c'est pour le chanteur que vous êtes venue." Alors là, dans un dernier effort pour préserver ma "coolitude", je lui lance : "Oui, c'est un ami."

Tiens toé, j'ai peut-être l'air d'une mère, mais j'ai des amis super cool!

vendredi 3 février 2012

En pleine face

Je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé d'être le témoin auditif de phrases qui frappent. Vous savez ce genre de formules toutes courtes qui en disent long. Ça m'est arrivé à trois reprises cette semaine. Laissez-moi vous raconter.

Il y a eu tout d'abord un jeune homme que j'ai dépanné à la Soupière. Seulement 19 ans. Quand il est arrivé pour chercher ses sacs de provisions, il a répondu à mon "Ça va bien?" que j'essaie toujours de lancer du ton le plus jovial et empathique qui soit : "Faut croire que je dois m'habituer à la pauvreté." Comme je ne savais trop quoi répondre, j'ai entamé la conversation. J'ai ainsi appris qu'il se cherche activement du travail, mais qu'il ne se fait offrir que des emplois à temps très partiel. Il joue au plongeur trois soirs par semaine. Ce n'est pas assez pour se payer un loyer et de la nourriture. Il faut choisir : un toit sur la tête ou un couvert sur la table. Il a opté pour le logement. Je lui ai donné un coup de main pour la bouffe. Et parce que je ne voulais pas qu'il s'habitue à la pauvreté, j'ai commencé à remue-méninger avec lui pour penser à d'autres endroits où il pourrait aller porter son CV. Imaginez-vous que, de fil en aiguille, nous nous sommes trouvés une passion commune : la musique métal! Et nous voilà en train d'échanger sur nos goûts respectifs. Et me voilà avec un de ses écouteurs dans l'oreille en train de découvrir le groupe The Browning. Finalement, il a laissé une copie de son CV à la Soupière et il est parti rencontrer le Pusher que j'avais réussi à rejoindre entre-temps pour lui demander s'il n'y aurait pas une possibilité que mon protégé puisse travailler au même endroit que lui. S'habituer à la pauvreté? À dix-neuf ans? Over my dead body!

Aujourd'hui, j'ai essayé quelque chose de nouveau. Avec un autre public cible. Je suis allée servir un brunch dans un CHSLD, soit un centre d'hébergement et de soins de longue durée. Juste le terme utilisé pour qualifier la durée me fait frémir. M'enfin. Je trouvais que c'était une activité à essayer. J'avais juste oublié un très léger détail : les personnes âgées mangent à l'heure où le coq n'a même pas encore chanté. Je devais être à mon poste dès 6 h ce matin. Laissez-moi vous dire que je n'ai pas croisé âme qui vive lors de ma promenade matinale. Quand je suis arrivée près de la porte principale, j'ai vu au travers des grandes baies vitrées qu'il y avait déjà de l'action à l'intérieur. Encore une fois, j'ai fait la connaissance d'une équipe de bénévoles absolument formidable. C'est justement ça le cercle vicieux du travail non rémunéré : Les gens sont tellement gentils qu'on ne peut rien leur refuser et parce qu'on ne peut rien leur refuser, on se retrouve aspirer dans la spirale de l'aide humanitaire envers et contre tout. Commencez-vous à saisir que je me suis laissée pour une énième fois entraîner dans ladite spirale? En tout cas, pour le moment, je possède encore l'étiquette de "bénévole rebelle" puisque je n'ai pas rempli les formulaires officiels. Juste pour le plaisir de rester rebelle, il se peut fort bien que je ne remplisse rien. Je verrai.

Je reviens donc à mon brunch. Je devais accueillir les bénéficiaires, leur passer un genre de bavette autour du cou, prendre leur commande et les servir. Pas trop compliqué à vue d'oeil. Un peu plus ardu toutefois à accomplir quand il faut s'adresser à des gens qui ont la mémoire défaillante. Par exemple, à la question "Voulez-vous vos oeufs tournés ou miroirs?", j'ai reçu la réponse suivante : "Mais faites-les cuire". Oui, oui, ne vous inquiétez pas. Et à la question "Qu'est-ce que vous prenez dans votre café?", j'ai obtenu cette réponse fort logique : "Du café." Il y avait toutefois encore des zestes de lucidité dans la place. Ainsi, en réponse à ma remarque "Il faut que je vous mette un tablier", une résidente m'a déclaré tout de go : "Oui, pour cacher la misère." C'est sûr qu'il y en avait de la misère dans cette salle où étaient réunies des personnes en perte d'autonomie, presque toutes en fauteuil roulant ou en marchette, avec de sérieux problèmes d'arthrite et de mobilité qui faisaient en sorte que nous devions couper en petits morceaux le bacon, les oeufs, les pommes de terre et les rôties. Mais il y avait surtout des sourires radieux et des mercis chaleureux. Des gens heureux d'avoir un changement dans leur ordinaire, de pouvoir se sentir comme au resto en prenant le temps de savourer un bon café, avec du café dedans, bien évidemment!

Et je termine avec cette remarque naïve, suave et ô combien réconfortante d'une très jeune stagiaire de la Soupière qui, en apprenant que je ne travaillais plus, me lance : "Je croyais qu'il fallait être vieux pour être à la retraite." Comme je lui répondais que j'avais tout de même atteint l'âge vénérable de 56 ans, elle me déclare : "C'est impossible. J'étais certaine que tu avais seulement 35 ans!" Je t'aime tellement chère M.
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Notes félines : Ils sont vivants! La famille au complet. J'ai vu maman et ses deux chatons ce soir dans les plats de nourriture. Adorables. Il fallait que je vous le dise.