mercredi 15 février 2012

Leur part du gâteau

Indignée à peu près en permanence. Voilà ce que je suis devenue depuis que je bénévole au Service de dépannage de la paroisse et à la Soupière de l'amitié. Bientôt quatre mois. Ce n'est rien. Certains bénéficiaires fréquentent ces endroits depuis des années. Et leur sort ne préoccupe toujours qu'une infime partie de la société. Si ça continue, je monte une tente quelque part et je campe jusqu'à ce que j'obtienne enfin l'oreille de quelqu'un qui peut faire une différence, quelqu'un qui serait intéressé à soulager cette misère qui n'en finit plus de s'étendre. Pour le moment, je considère que le gouvernement se limite à mettre des pansements sur les bobos. J'ai des petites nouvelles pour vous, chers politiciens déconnectés de la réalité : les bobos sont devenus des plaies suppurentes qui nécessiteront l'amputation si personne ne réagit.

Je voudrais bien savoir d'ailleurs à quand remonte votre dernière visite dans un service de dépannage alimentaire. Et je vous préviens tout de suite, vos apparitions télécommandées pendant les campagnes électorales ne comptent pas. J'attends... C'est bien ce que je pensais, vous n'y allez jamais. Permettez-moi donc de prendre quelques minutes de votre précieux temps pour vous donner une image de la vraie vie, de celle que vous ne voyez pas à cause de vos oeillères judicieusement installées pour ignorer la vérité et ainsi préserver votre part du gâteau.

Par exemple, sans doute trop occupé que vous étiez à frotter les médailles du jubilé de la Reine, vous n'avez pas dû, cher M. Harper, entendre les cris de la centaine de manifestants venus hier sous vos fenêtres pour vous réclamer une aide pour les itinérants. Le budget de la Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance stagne à 20 millions de dollars par année depuis dix ans. "La maison du Père a fait passer ses lits à deux étages tellement ça déborde dans les refuges à Montréal", constatait Pierre Gaudreau du Réseau solidarité itinérance du Québec. Évidemment, votre distinguée collègue la ministre fédérale des Ressources humaines, responsable du dossier, refuse de rencontrer les représentants du Réseau.

Toujours hier, cette fois de l'autre côté de la rivière, je vous apprends que le Service de dépannage a littéralement vidé ses tablettes pour être en mesure de remplir les sacs destinés à venir en aide à la soixantaine de personnes qui en avaient besoin. Vous auriez dû voir notre minuscule local envahi par tous ces gens, dont certains manifestement mal à l'aise d'en être rendu là. Comme une jeune femme me confiait : "Ce n'est pas par plaisir que l'on vient ici. C'est parce qu'on n'a pas le choix, qu'on ne peut pas faire autrement." C'est sûr. En effet, qui, sain d'esprit, opterait pour nos petites tomates défraîchies, notre vinaigrette à la framboise avec date d'expiration échue, nos pains congelés un peu desséchés par le froid ou notre minuscule paquet de jambon tranché?

Ce matin, je lis dans Le Devoir que le Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi a lancé une pétition en ligne pour dénoncer les délais indus que subissent les chômeurs dans le traitement de leurs demandes de prestations d'assurance-emploi depuis que les services sont informatisés et centralisés. Selon Gaétan Cousineau, porte-parole du Mouvement, les retards s'étendent au-delà des 27 jours habituels. En fait, au Québec, jusqu'à 40 % des demandes prendraient de deux à trois fois plus de temps que la normale à être traitées. Je me rappelle pertinemment m'être passée la réflexion suivante en prenant connaissance de cet état de fait : "C'est horrible d'avoir à attendre aussi longtemps. Comment les gens peuvent-ils faire pour vivre en attendant leur chèque?" J'ai eu ma réponse en m'occupant du dépannage alimentaire d'urgence à la Soupière aujourd'hui. J'ai parlé à un homme qui se trouvait exactement dans la situation décrite dans l'article. Ce n'était plus de la fiction. J'avais les deux pieds dans la réalité. À la question que je dois poser concernant son revenu mensuel, j'ai obtenu cette réponse laconique : "Aucun. J'attends de recevoir un premier chèque de chômage. Ça fait douze semaines et là, je n'ai plus rien à manger."

Alors, dites-moi, pourquoi ce sont toujours les mêmes qui mangent du gâteau?

« La route qui mène à la misère est plane et elle est tout près. » Hésiode

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