mardi 12 octobre 2010

La vie (ou la mort) au bureau - La réunion

(Suite du blog du 6 octobre)

Depuis que Vanessa occupe son bureau une bonne partie de la journée, sa vie au boulot s'est considérablement améliorée. Libérée de l'obligation de faire acte de présence à son corps défendant, elle profite de son temps libre pour aller lire à la bibliothèque ou prendre un café prolongé dans un boui-boui du coin. Qu'importe la qualité de la boisson ou des lieux où on la sert si on peut étirer la pause et parcourir le journal dans son entier, mots croisés y compris.

Elle tient quand même à conserver une certaine conscience professionnelle et ouvre ses courriels tous les matins pour s'assurer qu'il n'y a pas un dossier sur lequel elle devrait travailler avant de laisser la place à son amie gonflée. Ce jour-là, après avoir déplacé son bouton aimanté sur le grand tableau des assidus de l'oisiveté et ouvert l'ordi, elle laisse échapper un solide juron en parcourant le premier message. Elle est convoquée, elle et ses infortunés collègues, à assister tout l'avant-midi à l'une de ces réunions où l'on débite lieux communs après voeux pieux et où l'on s'enfarge dans les fleurs du tapis deux fois plutôt qu'une. "C'est pas vrai. J'peux pas croire que je vais être obligée de me farcir ces âneries. Et moi qui me faisais une joie d'entamer une autre aventure des Rougon-Macquart," se lamentait-elle devant les grands yeux inexpressifs de sa compagne en latex. Elle avait en effet pris la décision de s'attaquer aux vingt romans de cette série écrite par Émile Zola. Après tout, pensait-elle, l'Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire vaut certainement autant que l'Histoire longue et pénible d'une fonctionnaire sous l'empire de l'État léthargique.

Tout d'un coup, en regardant de plus près le visage figé de sa chère compagne, une idée lui vient : "Vanessa ma vieille, je crois que tu peux t'acquitter de cette mission et ce faisant me rendre un fier service. Il te manque un seul accessoire pour être en mesure de me remplacer à cette activité passionnante : tu dois être capable de te transformer en béni-oui-oui." Elle se met alors à fouiller frénétiquement dans la boîte de rangement de la poupée. "Voyons, je suis certaine que les instructions faisaient mention de cette fonction qui permet à ton propriétaire d'obtenir de ta part un acquiescement constant et indéfectible. Ah! voilà, c'est ça. Permets-moi ici de  remplacer ton cou actuel beaucoup trop raide par un autre d'une telle flexibilité qu'il te fait opiner constamment du bonnet. C'est parfait. Nous avons tout juste le temps d'aller t'installer dans la salle de conférence avant que les autres s'y pointent."

Ce qui fut fait prestement. Elle partit ensuite, son livre sous le bras, le sourire aux lèvres, sifflotant presque. À la fin de la journée, elle récupéra Vanessa restée seule dans la salle. "Est-ce que tu t'es ennuyée?", osa-t-elle lui demander connaissant d'avance la réponse de sa compagne muette à l'acquiescement sans fin. "Bon, allez, je te ramène à notre cubicule. Tu as bien travaillé et tu mérites assurément d'aller faire dodo dans ton lit de carton".

Le lendemain, en prenant connaissance de son premier courriel, elle poussa deux solides jurons et se tourna, furieuse, vers une Vanessa plus béate que jamais : "Est-ce que j'ai bien lu? Tu t'es portée volontaire pour organiser le party de Noël?" Mais la réponse, elle la connaissait déjà, non?

2 commentaires:

  1. Wow, trop génial!! J'ai bien ri dans mon cours de littérature grecque (où on se fait gazer au dioxyde de carbone... littéralement)
    Du génie! Continue! :D

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  2. Je seconde ma fille!! Vive la surprenante Vanessa!

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