samedi 19 septembre 2015

L'année de mes 60 ans : À prendre avec de la nourriture

La course électorale bat son plein. Les politiciens nous en mettent plein la vue. Tout d'un coup, ils s'intéressent aux vieux et aux petits enfants. Ça fait tellement de belles photos! En effet, quoi de plus attendrissant qu'un bébé dans les bras d'un candidat à la cravate rouge, bleue ou orange, je vous le demande?

Il y aussi ceux qui s'inquiètent tout d'un coup, et avec raison, du faible taux de participation des jeunes aux élections. Moi, cette semaine, j'ai réalisé que le vote des personnes pauvres ne devait guère être plus élevé que celui des jeunes. C'est sûr que ce doit être plus difficile à mesurer mais, en écoutant les conversations à la Soupière, je me suis rendue compte à quel point nos participants ont lâché prise à l'égard de ce devoir de citoyen. Et pour cause...

J'ai bien essayé de faire valoir l'importance de participer à notre vie démocratique mais ces gens sont des laissés pour compte, des quantités négligeables dont on ne se soucie pas. Ils ne sont même pas assez beaux pour se retrouver à la une du journal en compagnie d'un politicien soudainement sensible à la misère de ceux qui ne sont ni riches, ni célèbres. Avec le temps, ils sont devenus complètement indifférents aux promesses jamais tenues, aux engagements rarement réalisés et aux paroles destinées uniquement à jeter de la poudre aux yeux. Je les écoutais exprimer leur désenchantement et, franchement, je ne pouvais qu'être d'accord avec eux. J'aurais tellement aimé qu'il y ait à ce moment-là un candidat dans la salle pour entendre ce qu'ils avaient à dire, quelqu'un qui aurait été disposé à écouter avec sincérité leurs préoccupations et leurs inquiétudes parce que leur vie est un combat quotidien qu'ils mènent tout seuls la plupart du temps.

Combat quotidien, ça vous semble exagéré? D'accord, je vous partage un cas. Je vais à l'épicerie aujourd'hui pour acheter du pain. En entrant dans le magasin, je croise M. qui fréquente la Soupière régulièrement. Il venait vendre des canettes qu'il avait ramassées. Tout le monde sait qu'avec un gros 2 ou 3 $, tu peux faire toute une épicerie! En essayant de ne pas avoir l'air trop inquisitrice, j'en profite pour prendre de ses nouvelles car je sais qu'il est très malade. Je m'informe entre autres de ses vertiges qui le dérangent beaucoup et qui l'empêchent de plus en plus souvent de venir manger le midi. "Qu'est-ce que tu fais quand tu es trop étourdi pour sortir?" que je lui demande. "Bien je passe de mon lit à ma chaise. Mais je deviens vite fatigué à rester assis sur une chaise droite, cela me cause des douleurs", qu'il me répond sans vraiment se plaindre cependant. Naïvement, oui vraiment naïvement, je continue : "Mais pourquoi tu ne t'assois pas sur un fauteuil, ce serait plus confortable?". Parce qu'il est absolument gentil et poli, il m'informe qu'il n'a pas d'autres meubles à sa disposition dans sa chambre qu'un lit, une table et deux chaises droites. Je me sens tout d'un coup pas mal stupide. Même si je bénévole à la Soupière depuis près de quatre ans, je constate que je n'ai pas encore un véritable portrait de la vie que mènent les gens que j'aide tous les jours.

Je le regarde devant moi, tellement maigre dans son teeshirt. Je poursuis avec mes questions parce que je m'inquiète pour sa santé :

Moi : "Peut-être qu'on pourrait te trouver un fauteuil confortable? Au moins, ce serait mieux pour toi que de rester étendu dans ton lit."

Lui : "Impossible. Je n'ai vraiment pas de place dans ma chambre pour mettre un autre meuble."

Moi : "Qu'est-ce que tu manges les jours où tu ne peux pas venir à la Soupière?"

Lui : "Rien. Je n'ai pas pu aller au dépannage la semaine dernière parce que je me sentais trop faible. Un ami hier a trouvé de la viande hachée dans son congélateur et il me l'a donnée. C'était pas trop bon car je n'avais même pas de patates pour manger avec ça. Même pas une canne de soupe ou de légumes!"

Moi : "Ça n'a aucun sens. Tu ne pourras jamais retrouver tes forces si tu ne manges pas. Je te laisse mon numéro de téléphone et, à partir de maintenant, tu m'appelles le matin pour me dire si tu peux te rendre à la Soupière. Quand tu ne pourras pas, je vais t'apporter un repas chez toi."

Lui : "Merci, c'est sûr que ça va m'aider. Une fois que j'ai payé mon loyer au début du mois et les autres factures, il ne me reste presque rien pour la nourriture. Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas mangé de viande. C'est vraiment trop cher. Tout est cher. Le boeuf, le poulet, le steak haché."

Moi : "C'est vrai que tout augmente. Mais justement le fait que tu ne manges pas beaucoup, ça pourrait peut-être expliquer tes vertiges."

Lui : "Je sais. En plus, on me dit qu'il faut que je prenne mes médicaments en mangeant. Quand t'as rien à manger, c'est pas mal difficile à faire."

Et là je vous passe les complications avec l'aide sociale, la description de son logement insalubre et toutes les autres contraintes avec lesquelles il doit composer chaque jour. Ai-je besoin de préciser qu'il n'est pas le seul dans cette situation? Mais quel parti cela intéresse-t-il vraiment d'améliorer le sort des personnes démunies et vulnérables? Il y a eu plusieurs reportages la semaine dernière sur la situation du logement à Montréal et l'augmentation du nombre de personnes qui doivent littéralement se priver de manger pour payer leur loyer. Est-ce que cela a même soulevé un intérêt quelconque chez nos politiciens, en campagne électorale ou non? Absolument pas. Ou si peu.

C'est vrai que c'est dur d'avaler notre pilule de citoyen floué.

dimanche 13 septembre 2015

L'année de mes 60 ans : La balançoire

Voilà un autre passage qui s'amène, celui de la soixantaine. Pour dire vrai, je n'ai pas vu passer les 59 dernières années, alors je m'inquiète sérieusement pour celles à venir. J'essaie bien de profiter pleinement du moment présent mais, toujours en ébullition, mon cerveau me bombarde continuellement de messages. Heureusement, grâce à la pratique quotidienne de la méditation, j'arrive parfois à goûter, oh! pas autant que je le voudrais, mais à goûter quand même la seconde qui passe, qui est déjà passée.

Je remarque que je suis souvent plus attentive à ce qui se passe autour de moi, en-dedans de moi. Je regarde. J'observe. J'écoute. Et je m'arrête. Oui, je stoppe parfois brusquement mes pas de retraitée en mouvement quasi perpétuel pour apprécier la lumière du matin, le chant d'un oiseau, l'odeur de la pluie qui tombe ou les cris des enfants dans la cour de l'école. Je m'émerveille d'apercevoir la pleine lune au travers des stores de ma chambre et, bonheur suprême, de profiter de sa lumière qui vient se poser sur mon oreiller.

Volontairement, consciemment, je m'immobilise pour sentir la vie. Je lève parfois la tête pour mieux sentir le souffle du vent sur ma joue. Je sors en pyjama sur le balcon le matin et je respire profondément en contemplant le quartier qui se réveille. Je peux passer beaucoup de temps à regarder les poissons s'amuser dans l'étang. Ou encore à admirer mes orchidées en fleurs avec leurs belles racines qui passent par-dessus le pot.


Je fais exprès de me planter devant la fenêtre de la cuisine pour emmagasiner à tout jamais dans ma mémoire horticole les couleurs du jardin. Je m'extasie devant mes plantes aquatiques. Je tombe en pâmoison en surprenant un couple de cardinaux dans les mangeoires.

Je ne sais pas si c'est l'âge mais il me semble devenir un peu plus gaga tous les jours. Moi qui ai toujours été sensible, voilà que j'ai maintenant la larme à l'oeil pour tout et pour rien. Je trouve que c'est pas vraiment de ma faute cependant, c'est la faute à la nature. Elle est parfois tellement belle, tellement vraie, tellement parfaite qu'elle me donne envie de pleurer. Quand je pense aux efforts que je déploie pour avoir un beau jardin alors que la nature, sans conseiller horticole, est capable d'habiller un fossé en bordure de la piste cyclable d'une variété de plantes à faire rougir la pépinière la mieux fournie en y ajoutant de surcroît la palette de couleurs qui convient. C'est tout simplement magnifique.

En tout cas, ce cerveau ramolli me joue parfois de beaux tours. Lorsque je suis allée arpenter mes trottoirs chéris l'autre jour, je suis passée au travers d'un parc où il y avait des balançoires. Comme je me préparais à rejoindre la rue de l'autre côté, j'ai ressenti une impulsion, un élan qui m'a poussée jusque sur la balançoire. Ça faisait drôlement longtemps mais je me suis dit pourquoi pas. T'es encore capable de te balancer quand même. C'est pas parce que tu vas avoir 60 ans que tu ne peux plus te lancer vers le ciel. Alors je l'ai fait. J'ai retrouvé le désir de me balancer le plus fort possible justement pour tenter de toucher au ciel. Comme lorsque j'étais jeune, je n'ai pas réussi. Mais quelle sensation quand même d'avoir l'impression de voler... un peu. Si j'avais poussé l'audace, j'aurais sauté en mouvement pour atteindre le sol au lieu de freiner avec mes pieds. C'est là que je me suis rendue compte que je n'avais plus 10 ans. J'ai pensé que je pourrais me casser quelque chose. J'ai choisi la sagesse. N'est-ce pas ce que je dois viser maintenant que j'entre dans un âge plus vénérable?

N'empêche. Cette folie passagère m'a permis de constater que mon coeur d'enfant battait toujours, ce qui est extrêmement rassurant. Et aussi que je ne devrais pas avoir peur d'écouter la petite voix qui m'incite encore à m'amuser, à rire, à profiter de la vie au max en faisant des choses bizarres, inhabituelles, insensées.

Aujourd'hui j'ai 60 ans. Je rends grâce pour la merveilleuse vie que j'ai eue jusqu'à maintenant. Je souhaite bien évidemment qu'elle se poursuive encore longtemps. Je me souhaite surtout la paix du coeur et la sérénité qui font en sorte d'apprécier le cadeau du présent.




vendredi 24 juillet 2015

L'année de mes 60 ans : La vie à vif

"R. est mort?", ai-je répété d'un ton incrédule en espérant ainsi ne pas avoir à traiter cette information dans mon cerveau. Hélas, la personne qui venait de m'apprendre la triste nouvelle n'a fait que réitérer ses propos en me décrivant R. pour être bien certain que je savais de qui il parlait. Je ne le savais que trop. Je ne l'avais pas vu depuis quelques jours et je m'inquiétais justement pour lui qui avait repris sa vie d'itinérance.

J'ai pleuré doucement en continuant stupidement de vendre mes billets pour le repas. La coordonnatrice des bénévoles m'a proposé d'aller dans le bureau. J'ai refusé. Je voulais rester dans la salle avec ma gang. Je voulais vivre ma peine avec eux parce que je savais qu'ils ne me laisseraient pas seule. Comme prévu, j'ai eu droit dans les minutes qui suivaient à une chaleureuse accolade de S. et à une bonne tape dans le dos de K. Et que dire de J., mon ami, qui m'a demandé à plusieurs reprises dans la journée si j'allais bien.

Pour dire vrai, je suis encore sous le choc et je m'en veux. C'est comme ça toutes les fois où je perds quelqu'un de la Soupière. Et depuis trois ans maintenant, j'en ai quand même enterré quelques-uns. Vous ne le savez peut-être pas mais on ne vit pas vieux quand on est pauvre. La misère, ça use. Et pas seulement les souliers.

Je m'en veux de faire partie d'une société aussi indifférente au sort des personnes démunies. Peu importe la raison pour laquelle on devient pauvre, on ne mérite pas d'être traité moins bien qu'un animal. Faut-il encore au 21e siècle, dans une société riche comme la nôtre, que des personnes soient obligées de chercher des moyens de se nourrir décemment? Est-ce que c'est normal d'avoir à compter sur la Soupière pour manger un repas par jour pendant la semaine et de n'avoir rien dans le frigo pour la fin de semaine? Vous trouvez que j'exagère? Pourtant, j'ai entendu plus d'une personne me dire le lundi qu'elle avait hâte qu'on ouvre pour venir manger.

Je vous entends, les biens-pensants de ce monde, me crier : "Qu'ils aillent travailler et qu'ils cessent de quémander!" Ça vous paraît simple, n'est-ce pas? Mais ce ne l'est pas. Que faites-vous par exemple quand, après des semaines de recherches infructueuses, vous décrochez enfin la petite job qui va vous permettre de sortir de votre trou pour un bout et que nous n'avez même pas une cenne pour vous acheter de la bouffe pour vous faire des lunchs? Vous travaillez sur la construction. C'est dur. C'est exigeant. Vous avez besoin de manger pour être capable de donner un rendement suffisant. Mais votre boîte à lunch est vide parce que vous attendez votre première paye pour aller à l'épicerie. Vous trouvez que j'en mets trop? J'ai dépanné plus d'une personne dans cette situation afin qu'elle puisse au moins avoir les forces nécessaires pour ne pas perdre courage.

Je m'en veux parce que j'ai l'impression d'échouer dans ma mission de venir en aide aux autres. Je m'en veux quand ils meurent. Je m'en veux aussi quand ils subissent le profilage social exercé trop souvent par les policiers du coin. Vous ne comprenez pas ce que je veux dire? Avez-vous déjà reçu une amende parce que vous ne marchiez pas sur le trottoir? Moi non. Eux oui. Avez-vous déjà été interpelé parce que vous sortiez du Tim Horton à 23 h et que vous vous dirigiez à pied vers votre maison avec un café dans les mains? Moi non. Eux oui. Avez-vous déjà été questionné parce que vous étiez assis sur un banc en train d'attendre la fin de votre brassée à la buanderie? Moi non. Eux oui. Avez-vous déjà éveillé les soupçons parce que vous étiez mal habillé, mal rasé, mal coiffé, parce que vous alliez chercher votre petite bière au dépanneur du coin? Moi non. Eux oui.

Je m'en veux quand ils pleurent parce qu'ils ne peuvent pas voir leurs enfants placés dans des familles d'accueil qui habitent trop loin pour qu'ils puissent s'y rendre à pied. Je m'en veux quand ils attendent trop longtemps pour aller voir le dentiste et qu'ils ont ensuite tellement mal. Je m'en veux quand ils n'ont même pas d'argent pour s'acheter des billets d'autobus pour se présenter à des rendez-vous pour rencontrer un travailleur social ou un représentant de la justice et qu'ils décident de marcher de longues distances, par toutes les intempéries, pour éviter de perdre un privilège ou de se retrouver en-dedans.

Je m'en veux quand ils sont obligés, comme je l'ai vécu moi-même à Montréal, d'entrer dans un wagon de métro et de crier qu'ils ont faim devant l'indifférence générale. Je m'en veux quand ils suscitent la peur alors qu'ils sont simplement désemparés, découragés, au bout de leur corde.

Je m'en veux quand ils meurent parce que je les aime profondément et que je n'ai pas réussi à trouver une solution. Je m'en veux quand ils meurent parce que je ne pourrai plus leur parler et me nourrir de leur magnifique humanité. Je m'en veux quand ils meurent parce que je perds chaque fois un modèle de résilience, de courage, de ténacité, de détermination.

Je m'en veux mais j'éprouve au moins un immense sentiment de gratitude d'avoir eu la chance de les connaître. Grâce à eux, je suis une meilleure personne.

Alors merci à toi R. pour tes paroles de sagesse, ta gentillesse et ton grand coeur. Repose-toi maintenant. Tu as enfin un toit.

samedi 14 mars 2015

L'année de mes 60 ans : Contrastes

Six heures du matin. J'ai passé outre à un de mes engagements de retraitée envers mon moi-même et j'ai mis le réveil pour être certaine de pouvoir arriver à temps. Où vais-je ainsi à l'aube? Servir le petit déjeuner aux résidents du CHSLD situé près de chez moi. C'est un bénévolat que j'avais dû laisser tomber en raison de mes nombreuses activités à la Soupière mais la journée où je me suis finalement décidée à remettre pour de bon ma veste et ma carte d'identité, j'ai été repêchée in extremis par le coordonnateur des bénévoles. Bien sûr que je pouvais revenir. En autant que je puisse m'échapper vers 10 h pour me rendre à la Soupière pour le dîner, je reprends du service. Mes conditions ont évidemment été acceptées et cela fait déjà deux fois en trois semaines que je m'extirpe du lit aux aurores pour jouer à la serveuse automate.

Ce matin, c'est le petit déjeuner "cabane à sucre". Ça veut dire qu'en plus des oeufs, du bacon et des fèves au lard, il y a aussi du jambon et des crêpes avec du sirop d'érable. Tout cela est accompagné de la musique appropriée qui sort du système de son installé sur le piano, c'est-à-dire des tounes de la Bolduc et des bons vieux rigodons. Il est maintenant 7h. Mes compagnes et compagnons, plus matinaux que moi, ont déjà monté les tables et le chef s'active sur la plaque chauffante. Bientôt, nous allons commencer à aller chercher les résidents sur les étages. Un premier client se pointe. Il a conduit lui-même son fauteuil roulant jusqu'à nous. Pendant qu'il déguste son café, il prend plaisir à écouter les blagues de notre cuisinier qui en profite pour lui demander comment il veut ses oeufs. Les trois prochaines heures passent rapidement. À la fin, nous aurons servi quelque 40 déjeuners! Je trouve ça d'autant plus admirable que nos clients sont malheureusement limités dans leur capacité de bien exprimer ce qu'ils désirent manger. Le plus difficile pour moi, c'est de voir quelqu'un peiner à chercher ce que peut bien être une saucisse ou encore ce qu'il met dans son café. En même temps, cela donne souvent lieu à des répliques tout à fait cocasses comme cette déclaration lancée par une dame très digne, centenaire de surcroît ai-je appris par la suite, qui, après ma longue énumération du menu du jour, m'a tout simplement rétorqué : "Vous pouvez me servir ce que vous voulez puisque je n'habite pas ici." Voilà une belle façon de contourner les choix multiples d'un menu qui en vient à brouiller inutilement le cerveau. Je me suis plutôt contentée de retourner brouiller les oeufs.

À 10 h 30, après avoir déjeuné avec la gang, je me dirige vers la Soupière. C'est mon deuxième quart de travail bénévole qui débute. C'est une journée occupée. La salle est pleine. Ma tâche de vendeuse de billets se complique depuis le début du mois par la prise de statistiques destinées à dresser un portrait de notre clientèle. Je pose donc mes foutues questions sur le revenu, le type de logement et la situation de famille en essayant d'être la plus discrète possible. Comme ils sont patients tous ces gens qui se présentent pour venir prendre un repas, souvent le seul qu'ils mangeront au cours de la journée. Vous trouvez que j'exagère? Si vous saviez... Dans mon patelin, la misère côtoie continuellement le bien-être. Je parle de bien-être et non pas de richesse car notre quartier ne renferme pas vraiment de gens nantis. C'est la classe moyenne qui y est principalement représentée, cette catégorie de citoyens qui s'appauvrit de jour en jour grâce à la soi-disant bienveillance de nos dirigeants politiques et à l'indifférence justement de ceux qui accaparent la richesse.

Alors, en ce vendredi de mars annonciateur d'un printemps qui se fait attendre, je retourne chez moi après avoir aidé à nourrir près d'une centaine de personnes. Je marche sur le trottoir en me disant que, décidément, la vie est remplie de contrastes. La mienne en tout cas. Mes jambes me permettent de me déplacer partout dans les rues du quartier et elles me mènent où j'ai envie d'aller. Je viens de laisser combien de personnes dorénavant privées de cette liberté parce que confinées dans un fauteuil ou dans leur cerveau en cavale. Je Le remercie pour ma mobilité. En arrivant à la maison, je vais aller faire l'épicerie. Moi je vais choisir ce que j'ai envie de manger. Mieux encore, je vais acheter suffisamment d'aliments pour manger à ma faim. Je rends grâce d'avoir cette chance. Même chose pour ma maison où je me sens en sécurité, protégée du froid et des intempéries, où je peux dormir dans un bon lit, où je peux cuisiner à ma guise, où je peux faire mon lavage quand bon me semble. Oui, je suis infiniment reconnaissante de profiter de ces commodités que l'on tient trop souvent pour acquises.

Quand j'ouvre la porte, je suis accueillie par l'Homme qui s'enquiert de mon début de journée. Presque 38 ans de compagnonnage, c'est quelque chose d'important ça aussi. Avoir quelqu'un qui nous aime, qui s'inquiète de nous, qui nous gâte, qui nous encourage et qui partage sa vie avec nous, c'est un privilège inestimable, un trésor qu'il faut chérir. Comme la famille et les amis. Ne pas être seul. La lutte devient plus facile quand on s'unit. Tout redevient possible. Les contrastes même peuvent s'estomper.



samedi 14 février 2015

L'année de mes 60 ans : Et la tendresse, bordel!

Bon, ben, c'est déjà le milieu du deuxième mois versaire de l'année de mon sexagénat. Le temps passe vite quand même... comme si je ne le savais pas, moi qui obsède régulièrement sur la Faucheuse à venir.

Alors, c'est aujourd'hui le 14 février ou la fête de la Saint-Valentin. Je ne peux donc passer à côté du thème qui s'impose, soit l'amour. Quand on est en couple depuis 36 ans, qu'est-ce qu'on fait pour célébrer la journée des amoureux? Je ne sais pas pour les autres, mais je peux vous parler de l'Homme et de mon moi-même. Tout d'abord, nous avons eu une célébration pré-Saint-Valentin jeudi soir. Nous nous sommes gâtés en assistant à un concert de musique classique au Centre national des arts. Je voulais, pour les besoins du blog, prendre une photo amusante de nous, mais cela a été plus difficile que prévu. C'est que l'Homme et moi, nous n'étions pas plus photogéniques l'un que l'autre ce soir-là. Après moult essais infructueux, j'ai finalement décidé de photographier le couple assis en face de nous. Pourquoi? Parce que je les trouvais absolument mignons, lui avec son drôle de petit chapeau sur la tête et elle avec sa belle chevelure blanche. J'ai dit à l'Homme : "C'est comme ça que je nous imagine dans quelques années. Ils sont venus au concert habillés en tenue sportive, comme nous, et ils ont l'air d'avoir encore plein de choses à se raconter."


Comme l'Homme se plaît à le répéter, quand nous allons entendre l'orchestre, nous faisons baisser la moyenne d'âge. Y a pas beaucoup de personnes plus jeunes que nous qui s'intéressent à la musique classique. Des fois, je trouve ça décourageant ce défilé de marchettes, de cannes, de béquilles et de chaises roulantes. Mais, le plus souvent, je suis attendrie par le fait que des gens âgés, et parfois diminués physiquement, prennent le temps de s'habiller chic pour sortir de chez eux afin de profiter d'une belle soirée. J'aime voir ces couples s'aider l'un l'autre à gravir les marches ou à prendre place dans leur fauteuil. J'adore les observer dans le coin du comptoir-lunch en train de jaser avec des amis de leur âge tout en dégustant un petit verre de vin. Vous voyez, c'est entre autres ça vieillir en couple : partager des bonheurs simples en prenant soin l'un de l'autre.

Je voudrais bien vous laisser croire que la passion demeure comme au premier jour mais je suis certaine que vous ne me croiriez pas. Et vous auriez raison. Par contre, il y a un autre sentiment qui s'installe avec le temps qui passe et qui prend de plus en plus de place et j'ai nommé la tendresse. C'est tout chaud et tout rassurant ce cocon dans lequel on se retrouve un beau jour. Pourtant, c'est nous qui l'avons tissé, de toute évidence sans trop nous en rendre compte. Doucement, tranquillement, avec les bonheurs et les épreuves, il s'est construit, cet abri qui nous protège des tourmentes et qui nous réconforte dans la poursuite de l'aventure. Cet havre de paix et de bien-être qui nous isole du regard des autres parce qu'il est entièrement occupé par nos propres regards.

J'appréhende le jour, le plus lointain possible je l'espère, où l'un de nous va se retrouver sans l'autre. Sans ce reflet du temps qui a passé. Voici donc, pour toi, mon fidèle compagnon, mon message d'amour pour aujourd'hui. Je sais, nous avions dit que nous n'achetions pas de carte cette année, histoire de ne pas encourager inutilement la surconsommation. Mais un blog, c'est permis, non?

La Vie m'a donné la chance de connaître un homme de coeur. Un vrai. Pour moi, c'est l'Homme. Avec un grand H. Et il a été mis sur ma route pour mon plus grand bonheur. Les hauts et les bas, les petites ou grandes frictions, les difficultés de toutes sortes ne sont jamais venus à bout de notre engagement indéfectible l'un envers l'autre. Oui, on se chicane, oui, on n'est pas toujours du même avis, mais, mais, on finit par regretter nos écarts, on se parle pour mieux se comprendre, et on continue notre chemin en s'adaptant aux courbes du décor.


La Vie ne serait pas aussi belle sans toi. La Vie ne serait pas pareille sans toi. Allez, gros baisers à toi l'Homme!! xxxxx

mercredi 14 janvier 2015

L'année de mes 60 ans : La famille tout court

L'année 2015 marque pour moi le passage au sexagénariat. Je sais. Ça commence par "sexe" mais ce n'est pas aussi palpitant que cela semble en avoir l'air. Ça veut juste dire que je vais avoir 60 ans.

J'ai pensé un bref moment, en accord avec ma nature profonde et habituelle, que je devrais me morfondre toute l'année. Me languir de ma jeunesse qui fout le camp. Me plaindre de me voir transformée en "tamaloù". C'était plutôt déprimant comme programme. Heureusement, avant de l'adopter, j'ai eu un sursaut de sagesse, rendu sans doute possible à cause de mon âge qui avance, et je me suis dit que j'avais le choix de vivre comme une âme en peine ou encore d'embrasser la zénitude que j'essaie tellement d'atteindre. J'ai choisi l'option la plus différente pour moi. Alors, dans le cadre de cette nouvelle attitude, j'ai décidé de faire quelque chose d'amusant, d'intéressant, de passionnant, bref quelque chose de spécial, tous les treize du mois pendant l'année qui vient. Pourquoi aux environs du treizième jour? Tout simplement parce que mon anniversaire tombe le 13 septembre. Et j'ai pensé également relater mes expériences dans mon blog. Voilà donc posées les bases de ce message... et de ceux qui suivront.

Qu'ai-je fait hier pour commencer à souligner le début de mon sexagénariat? Je suis allée à l'aéroport récupérer la Fille partie depuis cinq mois. Elle avait quitté le sol québécois au mois d'août dernier pour étudier à l'Université de Hong Kong pendant la session d'automne, mais elle voulait également découvrir la ville où nous étions allés la chercher il y a déjà 25 ans. Un retour aux sources quoi. Son expédition s'est rapidement transformée en véritable épopée. Grâce à l'aide de plusieurs personnes, dont les médias chinois, elle a d'abord repris contact avec la famille d'accueil que nous avions rencontrée lors de notre séjour à Changsha. Par la suite, elle a découvert qu'elle avait été sous les soins d'une famille qui la considérait comme leur propre fille pendant près d'un an. Enfin, coup de théâtre, elle retrouve sa famille bio. Elle passe ainsi deux jours en compagnie de ses parents et rencontre aussi ses deux soeurs. Je vous passe sous silence les détails de ces retrouvailles car cela regarde uniquement la Fille. Par contre, je peux vous parler en long et en large du bouleversement émotionnel que j'ai ressenti pendant toute la durée de cette aventure.

Ce que j'ai trouvé le plus difficile à gérer, ce sont les sentiments contradictoires qui m'assaillaient constamment. J'étais tout le temps tiraillée entre mon désir de laisser à la Fille l'espace voulu pour vivre cette aventure extraordinaire et ma peur de la voir me délaisser et de perdre ma place dans son coeur. Pourtant, les démarches qu'elles entreprenaient, je les comprenais et je les souhaitais même. Ce casse-tête dont elle cherchait à réunir les morceaux, c'était l'histoire de sa vie qu'elle voulait reconstituer. Comment m'opposer à cette quête? En même temps, je ne voulais pas qu'elle souffre, ni qu'elle soit victime d'abus. Et la distance. J'étais drôlement loin pour l'accompagner. Mais c'était sans doute mieux ainsi. Pas besoin pour elle de vivre ces grandes émotions sous l'oeil parfois trop vigilant de la mère.

Maintenant, comment en suis-je venue à apaiser mon bouillonnement maternel intérieur? Je sais que certains peuvent trouver ça un peu ésotérique mais je crois que la méditation que je pratique quotidiennement depuis plus d'un mois m'a aidée à accepter et à accueillir. Je crois aussi que le fait pour la Fille et moi d'avoir été en mesure d'en parler franchement a permis de clarifier les choses. Ainsi, quand la Fille m'a dit un jour : "Tu sais, maman, je pense beaucoup à toi dans tout ça", j'ai immédiatement senti un baume sur mon coeur inquiet. Et, une autre fois, alors que je faisais remarquer à la Fille que l'on commençait à manquer de qualificatifs pour désigner toutes les personnes qui avaient pris le relais dans sa vie, soit la famille d'accueil, la famille adoptive de Chine, la famille bio, et que je lui demandais comment on devrait désigner notre famille, elle m'a simplement répondu : "la famille tout court". Elle a ajouté : "Quand je parle de ma famille, c'est vous, je n'ai pas besoin de préciser autre chose." Ça me va parfaitement, moi, d'être la mère tout court. Elle est revenue. Hier. Et je suis heureuse. Tout court.