samedi 20 septembre 2014

Angoisse matinale

Cinq heures du matin. Je suis réveillée à cause d'un mal-être diffus. La gorge un peu nouée. L'estomac serré. Les intestins en mode alerte. Je déteste. Mais comme je n'arrive pas à retrouver le sommeil, j'ai décidé de me réconforter en buvant une camomille. C'est ma boisson ces temps-ci. Finie la vinothérapie. Place à la nervothéraphie.

Ouais. J'ai toutes sortes de malaises digestifs depuis quelques semaines. Je suis convaincue que c'est grave. La soeur Psy dit que c'est dans ma tête. Qu'on se comprenne bien ici : oui, j'ai des symptômes physiques très réels mais ils seraient dû à mon attitude indomptable d'anxieuse finie. Bon, c'est possible après tout.

Alors, voyons. Qu'est-ce qui pourrait m'énerver à ce point? La Fille est maintenant à Hong Kong où tout semble se passer comme sur des baguettes pour le moment. Nous skypons de temps en temps. Cela me permet de la voir et de me rappeler qu'elle existe toujours mais à des milliers de milliers de kilomètres de moi. Oups. Voilà que je vois mon écran moins clairement. Et y a une petite boule là qui remonte. La Reine-Marguerite a sans doute ressenti mon malaise depuis son trône dans le salon car elle vient tout juste de s'installer à côté de moi dans le lit. Je fais place à la félinothérapie.

Quelle date sommes-nous déjà? Ah! oui, le 20. C'est la veille du départ du Fils pour sa Corée natale. La Fille va revenir à la mi-janvier. Le Fils, lui, dans un mois. C'est moins long. Mais ça fait aussi mal. Autant je me réjouis de les voir tous deux retourner aux sources, autant j'angoisse à l'idée de les perdre. Il y a bien sûr toutes les embûches du voyage lui-même. Pour une anxieuse comme moi, elles peuvent être nombreuses. S'il fallait qu'ils se fassent voler, attaquer, voire même tuer! S'il fallait que leur avion éprouve des ennuis mécaniques, qu'il reçoive la visite de pirates de l'air ou, pire, qu'il explose en plein vol! S'il fallait surtout que mes enfants adorés trouvent qu'ils sont beaucoup mieux sur le plancher asiatique des vaches plutôt que sur celui du fleurdelisé! Pourtant, dès qu'ils nous ont été confiés à l'Homme et à moi, j'ai eu pour désir qu'ils se retrempent un jour dans leurs racines. Ce jour est maintenant arrivé. Et c'est quand même extraordinaire qu'ils puissent la même année vivre ce moment privilégié qu'ils pourront partager. Une fois de plus, la vie me conseille de lâcher prise. Et je m'entête à ne pas trop couper le cordon quand même. Juste un petit coup de ciseau. Pas assez pour qu'il se détache. Juste ce qu'il faut pour qu'il pende. C'est d'une élégance. Je vais finir par m'enfarger et marcher dessus. Tant mieux. Après tout, même coupé, il va nous laisser une cicatrice à tous les trois. Un signe qui nous rappellera notre existence en vase clos avant le grand saut en bas du nid.

Mais y a pas que les pérégrinations du Fils et de la Fille que je digère mal. Y a aussi la situation de la Soupière qui ne s'améliore pas vraiment. J'ai pris un petit congé pendant l'été pour me remettre des émotions qui ont entouré sa fermeture. Après six semaines, je n'en pouvais plus d'ennui. Je rencontrais souvent des usagers et des bénévoles au gré de mes déplacements dans le quartier. C'est ainsi que j'avais des nouvelles de mon monde. Puis, au début du mois d'août, j'ai repris la louche. Je suis partie rejoindre les vaillants qui avaient réussi à offrir le service des repas pendant tout l'été. Là, je ne peux pas vous décrire à quel point j'étais heureuse de retrouver ces personnes que j'aime tellement. Vous expliquer ce qu'elles m'apportent par leur courage, leur résilience, leur combat quotidien pour assurer leur survie, ça me prendrait plusieurs messages comme celui-ci. J'y reviendrai sans doute.

Pour le moment, ce qui me dérange et me fait mal, c'est la suite des choses. L'incertitude. La difficulté de repartir sur de nouvelles bases. Je n'arrive tout simplement pas à imaginer que je pourrais être privée de l'immense plaisir que j'éprouve chaque jour à côtoyer ces gens extraordinaires qui me permettent d'en apprendre toujours plus sur moi et sur la vie. Là, c'est simple, je ne veux pas couper le cordon. Pas même l'effleurer. Pourtant. Ai-je vraiment le choix? C'est dur parce que ce cordon, il n'existait pas au départ. J'ai commencé à le tricoter de mon bord. Et mes amis de la Soupière ont tricoté le leur. Après quelque temps d'apprivoisement, les bouts de cordon se sont joints. Ça c'est quelque chose. Il est magané, il a des trous par endroits, mais il nous relie. Heureusement, je pense qu'il est aussi extensible. Cela nous permettra peut-être de continuer à nous aimer à distance si le pire devait survenir.

Ma tisane est presque froide. La Reine-Marguerite est partie. Je ne peux pas dire que je me sens vraiment mieux. Mais j'ai écrit et ça faisait longtemps que j'avais envie de le faire. Ne serait-ce que pour ça, je bénis mon angoisse matinale. Allez, faut reprendre la route. N'est-ce pas là la mission de la Marcheuse?