mardi 31 mai 2011

Dans une galaxie trop près de chez nous

Ouf! il fait chaud. Je suis tellement contente d'être enfin sortie du wagon à bestiaux. Le trottoir s'étire à n'en plus finir. C'est que j'ai hâte d'arriver à la maison pour profiter de l'ombre de la cour. Aujourd'hui, tirant quand même une leçon du passé, j'ai décidé que la session de yoga constituait un exercice suffisant pour la Marcheuse abuseuse. En plus, ce midi, j'ai sué comme ce n'est certainement pas accepté dans le monde zen. J'ai besoin du repos bien mérité de l'athlète, hum, accomplie.

Je trottine donc en direction de mon chez moi quand, au loin, j'aperçois les feux clignotants d'une ambulance stationnée, me semble-t-il, tout près de notre entrée. J'espère en mon for intérieur qu'il ne s'agit pas d'un accident survenu à la sortie de l'école. Les enfants n'écoutent pas toujours les brigadiers chargés de les protéger et comme notre maison est située à deux pas de la cour de récréation, je me croise les doigts pour que le pire ne soit pas survenu.

Mon autre hypothèse, c'était notre voisine. J'aurais dû me douter qu'il s'agissait là d'une situation plus réaliste. Cette pauvre dame est très malade, branchée continuellement à une bonbonne d'oxygène. Confinée à son fauteuil, elle mange trop. C'est en fait sa seule occupation. Elle a donc pris beaucoup de poids ces dernières années. J'ai pensé que la chaleur l'avait incommodée. En tout cas, l'ambulance avait été appelée pour elle.

Je suis arrivée à la maison en même temps que l'Homme. Soucieux tous les deux de ce qui se passait à côté ou, plutôt, de l'état d'esprit de notre voisin que nous aimons bien et qui joue le rôle d'aidant naturel au péril de sa propre santé, nous nous tenions aux aguets. Nous ne voulions pas non plus nous transformer en écornifleux comme les deux filles qui s'étaient carrément assises sur la pelouse de notre voisine d'en face pour être aux premières loges de la vie-réalité. Mais il faisait beau. Les fenêtres étaient ouvertes. La porte vitrée d'en avant aussi. Bref, c'était pratiquement impossible de ne rien voir. J'aurais préféré quand même éviter le spectacle de la sortie de ma voisine, vêtue uniquement d'une blouse à manches courtes et d'une petite culotte. Les ambulanciers tentaient bien de remonter les draps mais ils devaient aussi transférer leur patiente dans la civière qui se trouvait directement sur le trottoir. Se déplaçant à grand-peine, toujours branchée à l'oxygène, ma voisine a réussi à passer de l'espèce de chaise roulante sur laquelle les ambulanciers l'avait assise à la civière comme telle. Et l'ambulance s'en est allée.

Pendant un bon moment, je suis restée obsédée par cette image de ma voisine et de son énorme ventre que le sous-vêtement cachait à peine. Je suis encore bouleversée par le manque de dignité de toute la situation. Non seulement tu es très malade, mais en plus tu donnes un spectacle de ta malheureuse personne à tout un quartier. Malade et pratiquement toute nue sur le trottoir. C'est désolant.

L'Homme a traversé pour parler un peu avec notre voisin. Il a appris que la situation, depuis quelques semaines, avait empiré. En plus de tous ses problèmes de santé, notre voisine était maintenant incontinente. Refusant d'être placée, elle passait ses journées toute seule, sauf pour l'heure du dîner où notre voisin partait de son travail pour lui préparer son repas. C'est triste, non? Mais ça le devient encore plus. Les couches jetables, ça coûte cher. Notre voisin gagne peu. Quand elle ne portait pas de couches, notre voisine pissait par terre. Il paraît, selon son mari, que l'odeur est imprégnée dans la maison. Les gens ne veulent plus les visiter. Lui, il fait de son mieux mais il ne peut pas désinfecter avec n'importe quel produit à cause de la santé de sa femme. C'est pathétique.

Je ne vous parle pas de ça pour sombrer dans le jaunisme des journaux à potins. Je ne fais que m'interroger sur notre système de santé qui ne peut apparemment que fournir une aide quelques jours par semaine dans ce genre de situation. Je me demande dans quelle société on vit quand je constate que mon voisin s'inquiète de ne plus pouvoir louer sa maison si sa femme est placée. En effet, privé du revenu de la malade qui sera entièrement consacré à payer sa place dans un centre de soins de longue durée, il ne pourra s'acquitter de toutes ses obligations avec son maigre salaire de journalier. J'imagine qu'ils tombent dans les "trous" du système. Juste assez d'argent pour n'avoir droit à rien. Mais pas assez pour s'offrir les services nécessaires. Et tout ça ne se passe pas dans un pays pauvre, non. Ça se passe ici, à côté de chez nous.

lundi 30 mai 2011

Trop, c'est trop

Il m'arrive parfois de ne pas savoir quand trop, c'est trop. Et je m'en mords toujours amèrement les doigts. Cela se produit quand je décide d'entreprendre mers et mondes, et ce, dans un délai où une personne sensée n'arriverait que péniblement à traverser une mare d'eau. Ce fut le cas ce soir.

En revenant du bureau, les neurones parfaitement au repos, je me suis dit que j'allais au moins faire travailler mes muscles. Il faisait très chaud et très humide. Qu'importe. Je suis en forme et je peux certainement profiter d'une perte de liquide salé. Je pars donc sous un soleil qui fait encore sentir sa présence même s'il est passé 16 h. Tout se passe assez bien jusqu'à mi-parcours. Là, j'ai subitement un goût de sable dans la bouche. Je suis dans le désert et je m'imagine, comme Tintin, avec un mouchoir noué aux quatre coins posé sur ma tête pour me protéger des rayons brûlants du soleil, peinant à avancer, portant ma main à la gorge tellement j'ai soif. Oui, j'ai soif. Je veux être un chameau et jouir d'une provision d'eau quelque part dans mon corps. Ce n'est évidemment pas le cas. Je pourrais rebrousser chemin mais, aujourd'hui, je n'ai pas le jugement éclairé. Je termine donc mon parcours non plus en étant consciente de mes muscles endoloris par trop de jardinage, mais plutôt en rêvant de l'ombre de mon jardin et de la bouteille d'eau couverte de frimas qui m'attend dans le frigo du sous-sol. Enfin, j'y suis. Je dois m'éponger le visage avec une débarbouillette tellement je dégoutte et je m'assois pour me désaltérer. Premier trop.

Je suis fatiguée. J'entreprends tout de même de cuisiner le souper en compagnie de l'Homme, revenu lui du gym et non pas de la rue comme moi. Il n'a donc pas de mouchoir blanc posé sur la tête, le chanceux. Malgré que c'est un soir de semaine, j'ai trouvé une petite recette pour apprêter les filets de doré. J'ai aussi décidé de finalement utiliser le céleri-rave avant qu'il ne retourne pour de bon à l'état de racine. Et je concocte une salade verte après le vidage du lave-vaisselle. Deuxième trop.

Je ramasse rapidement les restes du souper car j'ai prévu, pour terminer ma journée en beauté, planter les trois caissettes d'impatientes qui traînent encore sur le patio. L'Homme, toujours sans mouchoir sur la tête, m'annonce qu'il va faire un tour de reconnaissance du quartier, c'est-à-dire se promener tranquillement à vélo. Fort bien. Moi je n'ai pas de temps à perdre et je me dirige dans le fond de la cour avec mes fleurs, mes outils de jardinage, une poubelle et le petit coussin pour mes genoux qui ne me quitte plus depuis deux semaines car, sans lui, je ne peux absolument plus m'agenouiller. Je m'interroge d'ailleurs sur ma séance de yoga de demain midi. Faire la table, soit se retrouver à quatre pattes sur le tapis, risque de présenter un gros défi. Mais je digresse comme à mon habitude. Je suis donc agenouillée dans la plate-bande et je me fais dévorer par les maringouins. Eh! oui, la brunante, ils adorent ça. Je tente de les chasser tout en creusant péniblement dans le foutu sol du sous-bois constitué principalement de racines, de glaise, de bibittes et de presque pas de terre. Je me passe d'ailleurs la réflexion suivante : "Ça fait trente ans que tu t'échines à planter des végétaux sous un immense érable qui occupe complètement la place. Quand vas-tu comprendre qu'il s'agit là d'une mission impossible?" Je m'entête. La sueur me coule sur le front. Pour me permettre de changer de position avant que mes genoux lâchent complètement, je décide de m'occuper des poissons.

Je retourne dans le garage pour aller chercher la nourriture et les produits pour l'entretien de l'eau du bassin. L'Homme a placé le gros bac de recyclage bleu en plein devant l'armoire où je range mes affaires de poisson. Je pourrais le déplacer mais il n'y a pas un pouce carré de libre autour. En m'étirant énormément le bras, je parviens à ouvrir la porte et à prendre ce dont j'ai besoin tout en constatant que je n'ai pas amélioré ma douleur à l'épaule. Après la courte pause piscivore, je retourne au garage chercher le chat-en-fer-forgé-muni-d'un-pot-de-fleur pour y planter une des impatientes. L'Homme a déplacé le-chat-en-fer-etc., ou, plutôt, il a mis les trois morceaux qui le composent à trois endroits différents. La noirceur commence à tomber. Je cherche la lumière à tâtons et les morceaux du chat aussi. Cette fois, je ne peux m'approcher des tablettes à cause de tous les pots en terre cuite éparpillés sur le sol. Je choisis de tendre, non pas l'autre joue, mais l'autre main et je trouve les morceaux du chat-en-fer-etc. Je plante l'impatiente et je me rends compte qu'elle n'est pas la seule de son espèce. C'est à ce moment que, tout guilleret, l'Homme revient de son tour de reconnaissance. Il ne pouvait plus mal tomber. J'hésitais justement entre les pleurs et la rage. J'ai choisi de l'enguirlander comme du poisson pourri (pardon mes chers espiègles du bassin) sur le désordre éternel qu'il fait régner dans le garage. Tant qu'à y être, j'ai aussi noté celui de son établi au sous-sol. Troisième trop.

Il est rentré faire la vaisselle pendant que je terminais mes corvées (oui, ce n'était plus le plaisir bucolique de la jardinière jouissant du retour à la terre mais bien le dur labeur du colon défricheur). J'ai donc rempli l'arrosoir un nombre incalculable de fois pour faire le tour des plantes que j'avais mises en terre samedi et dimanche. Quatrième trop.

Je suis finalement rentrée. Pendant que j'étais sous la douche, j'ai presque pris la décision de ne plus entretenir mon jardin. Je sais bien que je ne le ferai pas mais, encore à cette heure où je vous écris, j'ai toujours l'impression d'avoir un mouchoir sur la tête et d'être aveuglée par la lumière du soleil. Peut-être que demain matin, je vais entendre un formidable "Mille millions de mille sabords, ressaisis-toi moussaillon!" Ah! le capitaine Haddock, lui il savait comment étancher la soif. Et faire de belles colères. Un autre qui ignorait que moins, c'est mieux que trop.

samedi 28 mai 2011

De hauts et de bas

Je m'étais pourtant jurée de ne pas pleurer et j'avais tenu promesse jusqu'à aujourd'hui. Qu'est-ce qui a causé le déclenchement des chutes du Niagara? Le simple fait d'avoir décidé de laver le lit de la Fille et de ranger les deux ou trois choses qui restaient encore dans sa chambre. Ça m'a foutu une telle déprime de me retrouver là, dans sa chambre qui n'est déjà plus la sienne mais qui l'était encore il y a quelques jours à peine. Je sais, ça rime, mais ça s'arrête là. J'avais vraiment pas le coeur à rire.

M'enfin. Comme j'étais toute seule dans la maison avec les deux félines, qui n'étaient absolument d'aucun secours pour éponger mes larmes, j'ai décidé d'aller dehors jouer dans mes plantes. Hier soir, j'avais justement obligé l'Homme à retourner aux Serres Lafleur pour faire provision de quelques caissettes pour m'occuper d'ici à ce que je refasse le plein au marché dimanche. J'ai donc passé l'après-midi à transplanter les cléomes (identifiées comme des "cléomés" par une experte-vendeuse!! de la pépinière) et les impatientes. J'ai pu jouir à fond de mon passe-temps-thérapie puisque les nuages ne me sont pas tombés sur la tête. De toute façon, je n'avais nul besoin d'eau étant donné que je fournissais moi-même l'arrosage.

Heureusement, l'arrivée de l'Homme et la dégustation d'un bon souper (accompagné d'une bouteille de vin rouge) m'ont réconciliée avec la vie. Peut-être, après tout, que je n'ai pas échoué dans mon rôle de mère. Peut-être que je devrais être fière de la facilité avec laquelle la Fille a pu pratiquer une coupure franche et définitive avec l'Homme et moi. N'empêche. Je préfère la manière du Fils. Il est parti en laissant derrière lui plein de traces de son passage. Impossible de l'oublier. Et, pour lui, impossible de ne pas revenir à la maison sans se retremper un peu dans les heures de son enfance. C'est sûr, ça prend plus de temps avant que le cordon soit entièrement coupé, mais me semble que ça respecte davantage la nature. Le cordon ombilical ne prend-il pas plusieurs semaines avant d'être complètement sec et de finalement tomber? Je le concède, quatre ans, ça peut sembler excessif. Disons simplement que j'ai droit aux deux extrémités du spectre et que c'est très bien comme ça.

Avant de vous laisser pour aller reposer mes vieux muscles et mes yeux rougis, je veux partager avec vous une réflexion fort intéressante livrée par Jacques Languirand pendant son émission ce soir. Il parlait d'un livre où l'auteur, à la fois philosophe et réparateur de motos(!), s'interrogeait sur le caractère éphémère des objets que l'on fabrique de nos jours. C'est vrai. On ne répare plus rien. On achète, on jette et on remplace. L'Homme me faisait d'ailleurs remarquer qu'il avait eu récemment cette conversation avec le réparateur d'électroménagers avec qui nous faisons affaire depuis maintenant trente-quatre ans. Ce dernier lui confiait que les appareils en question sont conçus dorénavant pour avoir une durée de vie "raisonnable" de cinq ans. Après, ils vivent sur du temps emprunté. Je me suis alors rappelée de cette époque où l'on faisait venir à la maison le réparateur de télé pour remplacer les lampes qui brûlaient. Et j'ai pensé aussi à ma mère qui allait porter les souliers chez le cordonnier et à ma grand-mère qui reprisait les bas. C'est même un reproche "moqueur" que l'Homme m'adresse chaque fois qu'il doit jeter des bas parce qu'ils sont troués : "C'est vrai, tu ne raccommodes pas, toi. Je dois aller m'acheter des bas neufs."

Au-delà des objets, je me suis surprise à penser à nos relations interpersonnelles que je trouve bien éphémères elles aussi depuis quelques années. C'est sûr que les gros trous, comme ceux qui se retrouvent la plupart du temps à l'extrémité des bas de l'Homme, c'est impossible à réparer. Par contre, je dois avouer que, si je prenais la peine de sortir aiguille et fil, je pourrais raccommoder les petits trous. S'il s'agit en plus d'une paire de bas que l'on aime beaucoup, le choix devrait s'imposer de lui-même. Pourquoi alors on ne sort pas le panier à repriser? Est-ce que c'est uniquement une question de temps qui nous manque? Ou est-ce que c'est plus vite et plus facile de simplement tout jeter et de recommencer? Je n'ai pas de réponse. Il y a tellement de sortes de trous. Et tellement de sortes de bas. Je suis juste contente que ma grand-mère m'ait appris à repriser. Au moins, j'ai le choix de raccommoder ou pas.

jeudi 26 mai 2011

Et c'est reparti mon kiki!

C'est arrivé ce matin. La Fille a encore déserté. En compagnie de deux de ses amies, elle arpentera cette fois le Pérou, la Bolivie et l'Argentine pendant les mois de juin et juillet et peut-être même un peu août nous a-t-elle annoncé en marmonnant presque à l'Homme et à moi qui l'avions invitée au resto pour le dernier souper avant le nouveau grand départ. Bien sûr nous l'avons encouragée à prolonger son séjour si cela était possible pour elle de le faire et avons ravalé, comme tout bon parent désireux d'appuyer sa progéniture dans ses projets, notre désir de la revoir parmi nous plus tôt que plus tard. De toute façon, nous commençons à avoir de l'expérience avec la Fille et nous savons fort bien l'inutilité de tenter de la faire changer d'idée.

Tard hier soir, elle s'affairait toujours à terminer ses bagages. Jamais trop en avance, mais jamais en retard non plus. C'est le rythme de la Fille. Je commence à m'y faire à ça aussi. Je ne sais pas combien pèse son sac à dos. Je sais seulement que moi je ne suis pas capable de le lever. Quand je regarde la Fille, bâtie sur un "frame" de chat comme dit l'Homme, je n'arrive pas à imaginer comment elle s'y prend pour ne pas s'infliger un lumbago. J'ai toujours peur qu'elle tombe à la renverse et qu'elle reste là, les quatre fers en l'air, incapable de se redresser telle une tortue sur le bord de la route. En même temps, je la connais trop bien la Fille pour ne pas être convaincue qu'elle trouverait un moyen pour se retourner si cela se produisait. Elle a du nerf. Elle possède des muscles d'acier et une force de caractère assez exceptionnelle. Bref, tout le contraire de sa mère.

Ce que je trouve difficile cette fois-ci c'est que la Fille n'a pas préparé que ses bagages. Elle a aussi fait ses boîtes pour son déménagement imminent avec le Fils à Montréal, c'est-à-dire dès son retour de voyage. Ce n'est donc pas chez nous qu'elle déposera son attirail après son aventure, mais plutôt chez elle. Pour ne pas nous laisser le moindre doute sur son envol définitif, elle n'y est pas allée de main morte. Elle a littéralement vidé sa chambre. Les tiroirs de la commode, plutôt que d'être ouverts et d'exposer dans un fouillis total les vêtements de la Fille, sont étrangement fermés. Sur la tablette où elle "rangeait" pinces à cheveux, élastiques, peignes, brosses et autres colifichets ne reste que la poussière témoin du peu d'intérêt que la Fille y accordait. Et les murs sur lesquels elle avait accroché ses oeuvres d'art
des trois dernières années me crient qu'il faudra sans doute repeindre éventuellement. Ce sera plus propre mais pas culturellement intéressant.

Je me suis donc réveillée ce matin en me disant que je voulais la serrer dans mes bras une dernière fois avant qu'elle parte. Elle était toute endormie et encore chaude d'avoir été sous les couvertures. Je l'ai embrassée. Je lui ai souhaité d'en profiter au max. Je lui ai dit "je t'aime" en lui rappelant qu'elle pouvait toujours nous appeler si elle avait besoin de quoi que ce soit. Et je l'ai laissée là. Avec son gros sac à dos. Et moi je suis partie travailler. Avec mon coeur gros.

mardi 24 mai 2011

En attendant la fin

Puisque nous sommes des laissés-pour-compte de la fin du monde, des parias du Paradis, nous nous devons au moins de jouir de toutes les parcelles de bonheur qui se présentent à nous avant que le Jugement dernier ne s'abatte définitivement sur nos têtes. Voici donc mes petits bonheurs d'aujourd'hui. Fermez les yeux pour mieux les déguster.

J'ai d'abord cru que je serais trahie par mon corps pendant le cours de yoga. C'est qu'accablée de courbatures comme je l'étais à la suite de mes récents abus de jardinière, j'étais certaine que chaque étirement, chaque position m'arracherait des cris de douleur. Comble de malaise, il y avait parmi les élèves ce midi un prof de yoga venu inspecter la salle pour peut-être éventuellement lui aussi s'en servir pour dispenser son savoir. J'avais assisté à un de ses cours il y a quelques semaines et j'avais été à même de contempler la musculature impressionnante dudit prof. Son tapis était tout juste derrière moi. Je me suis dit : "Ma vieille, c'est pas le moment d'avoir l'air d'une future retraitée rouillée." En même temps, je savais trop bien que je ne pourrais rien forcer. S'il y a un endroit où il faut respecter ses limites, c'est bien au cours de yoga. J'ai heureusement été témoin d'un petit miracle : la machine répondait au quart de tour. J'ai été agréablement surprise et j'ai décoché un sourire intérieur pour me remercier comme il se doit.

Ensuite, il y a eu une série de belles images à mon retour à la maison. Les espiègles qui se couraient après dans le bassin en tournant en rond à toute vitesse autour de la pompe. La tente de la Fille plantée dans la pelouse attendant d'être roulée et emportée en Amérique du Sud. Un petit garçon haut comme trois pommes qui apprenait à faire de la trottinette dans le parc. Les jeunes joueurs de soccer qui s'ébattaient sur un terrain sentant bon le gazon fraîchement tondu. Le vent qui soufflait juste assez pour me rafraîchir pendant que j'arpentais mes trottoirs. L'Homme qui terminait la cuisson du souper à l'instant où je posais les espadrilles dans l'entrée. Mignonne vautrée sur son pouf préféré qui offrait son ventre noir et blanc à mes caresses. La douche chaude sur les muscles endoloris. Le soir qui tombe doucement. La fraîcheur de la nuit qui se laisse déjà deviner.

Je suis prête cette fois. Prête pour une autre journée.

lundi 23 mai 2011

Êtes-vous prêts?

Tout comme le Lapin Blanc d'Alice au Pays des Merveilles, je suis en retard. J'ai manqué la fin du monde. Non seulement je n'ai pas été jugée suffisamment digne pour être emportée au ciel samedi avec tous les bons chrétiens comme il était prévu, mais je n'ai pas pris le temps de vous en parler le jour fatidique. Pas étonnant que je sois encore sur Terre.

Revenons donc en arrière puisque, de toute façon, le devant ne nous réserve qu'horreurs et calamités comme vous allez bientôt le constater. Cette annonce extraordinaire provient d'un prédicateur fondamentaliste chrétien, presque nonagénaire et américain de surcroît, du nom de Harold Camping. Celui-ci a en effet calculé ce que certains textes nomment "Ravissement" en partant du Déluge, soit 4990 ans avant la naissance du Christ, en y ajoutant d'abord 7000 ans parce que dans la Bible "Dieu nous rappelle qu'un jour est comme mille années" et ensuite en enlevant une année à cause des différences de calendrier entre l'Ancien et le Nouveau Testament. J'imagine qu'à un certain moment il a dû diviser le tout par deux. Je plaisante mais je ne devrais pas. C'est du sérieux tout ça. Pas mal plus que vous ne le croyez.

Ainsi, si vous lisez ce texte, c'est que, tout comme moi, vous ne faites pas partie des bons chrétiens qui ont été enlevés samedi à compter de 18 h pour aller rejoindre Jésus et Dieu le Père. Savez-vous ce que cela signifie pour nous, pécheurs devant l'éternel? Eh! bien, toujours selon l'illustre illuminé, je veux dire prophète de malheur, cela veut dire que ceux qui n'ont pas franchi les portes du paradis samedi sont condamnés à vivre l'enfer sur Terre jusqu'au 21 octobre, date à laquelle Dieu mettra fin pour toujours à notre existence en détruisant tout être et toute chose. J'espère que vous tremblez quand même un peu.

Moi ce qui me dérange c'est le court laps de temps qui nous est laissé pour nous préparer. Pensez-y deux minutes. Le 21 octobre, c'est très bientôt. Vous savez comment l'été passe vite. On a juste droit à quelques semaines de chaleur qu'il faut déjà se préparer à s'encabaner pour plusieurs mois de froidure. M'est d'avis cependant que, cette année, on va plutôt avoir chaud quand les feuilles vont commencer à tomber. Peut-être même qu'on aura pas à les ramasser pantoute. Alors, un bon conseil, profitez au max de la saison estivale. N'hésitez plus à bouffer des gros steaks sur le barbecue puisque, artères bloquées ou pas, on va tous y passer! Oubliez par la même occasion l'application de crème solaire et obtenez le bronzage dont vous avez toujours rêvé. Aussi bien s'habituer tout de suite à endurer la chaleur et les brûlures du troisième degré. Enfin, enivrez-vous comme s'il n'y avait plus de lendemain étant donné que, oui vous l'avez deviné, y en aura pu de lendemain!

Je badine, je badine, mais je suis fortement contrariée. Je prends ma retraite au mois de septembre. Je vais donc jouir de cette merveilleuse période de ma vie seulement quelques semaines avant que l'herbe me soit définitivement coupée sous les pieds et que je sois obligée de manger les pissenlits par la racine. Non, je ne suis absolument et indéniablement pas prête!

jeudi 19 mai 2011

La pâmoison, c'est pu de saison?!

Je voulais vous faire part de mes deux coups de coeur de la journée et je n'avais trouvé mieux pour rendre mes sentiments que l'expression "être en pâmoison". Comme je tiens absolument à utiliser les bons mots dans les bonnes circonstances, j'ai rapidement cherché une définition sur la fameuse Toile. Qu'apprends-je? L'expression serait surtout utilisée ironiquement et laisse supposer que la personne peut être victime d'un évanouissement, d'une faiblesse, pire, d'une syncope.

Ce n'était pas mon cas. Pourtant, c'est encore à cette heure la seule expression qui me semble convenir pour décrire la façon dont je me suis sentie en découvrant les Serres Lafleur (je sais, le nom, mais je n'invente rien). J'en avais entendu parler. C'est la première fois que je m'y rendais. Imaginez-vous qu'à environ vingt minutes de chez moi, dans le secteur "campagnard" de la ville, se trouve un endroit idyllique où l'on cultive les végétaux avec passion. J'étais en voiture avec l'Homme et la Fille. Lorsque nous avons emprunté le petit chemin qui menait à la terre promise, je ne me pouvais plus. Tout ça pour moi! Je n'arrêtais pas de m'exclamer : "Regardez, comme c'est beau! C'est absolument magnifique. Regardez, il y en a partout." J'exagérais évidemment un peu mais j'avais quand même devant moi quatre immenses serres remplies à craquer de vivaces et d'annuelles sans compter les potées qui avaient été sorties à l'extérieur pour prendre l'air. En plus, j'étais la seule cliente en cette fin d'après-midi. La jeune fille de la jardinière a d'ailleurs dû annoncer bruyamment notre présence en sortant à pleine course d'une des serres en criant : "Il y a des personnes! Il y a des personnes!"

Effectivement. Il y avait nous. Bientôt, la jardinière est venue à notre rencontre. J'étais encore tellement énervée et sous le choc de cette admirable vision que j'ai posé cette très intelligente question : "Est-ce que, est-ce que vous avez tout?" Je voulais savoir en fait si elle avait reçu toutes les plantes qu'elle aurait à vendre pour la saison de jardinage. Elle m'a regardée d'un drôle d'air comme si elle ne comprenait pas trop ma question : "Que voulez-vous dire? Je n'attends rien. Je produis tout moi-même." Stupide citadine, me suis-je qualifiée en me frappant le front intérieurement avant de m'excuser et d'expliquer que je fais habituellement affaire avec des pépinières et les producteurs du Marché By. Elle m'a dit qu'elle comprenait en me dirigeant vers l'une des serres. Plantée sur le seuil, j'étais totalement en pâmoison car je me suis presque évanouie d'émerveillement. Les couleurs. Les parfums. Les multitudes de fleurs alignées en rangées bien sages. La jardinière avait véritablement produit tout. Je lui demandais une espèce, elle m'indiquait où mettre la main dessus. Je n'en revenais pas.

Parce que j'ai été incapable de contenir ma presque syncope, je n'ai pas résisté et j'ai acheté hosta, pulmonaire, et quelques fleurs éphémères dont j'ai déjà oublié le nom. Moi qui n'ai même pas encore nettoyé les plates-bandes, me voilà avec une dizaine de plantes à mettre en terre. C'est ridicule, je le sais bien. Mais je vais avoir beaucoup de plaisir demain si le soleil est au rendez-vous.

Ma deuxième pâmoison, c'est pour mes poissons. Quand je les ai nourris pendant que l'Homme s'activait aux fourneaux pour "barbecuer" le souper, je les trouvais si mignons que je suis allée chercher mon petit banc de jardinage pour m'asseoir près de l'étang afin de mieux les contempler. Surtout les bébés. Ils viennent en groupe pour réclamer leur pitance et, à cause de leur couleur noire, ils sont surtout visibles quand le hasard les place au-dessus d'un des gros espiègles rouges. J'aime tellement les voir lorsqu'ils remontent lentement à la surface pour s'approcher des granules. Ils les bouffent, bloup, tout d'un coup et en avalent parfois deux ou trois en même temps. Pas les petits, bien sûr, mais les gros ne se gênent pas pour s'empiffrer. Ils le font cependant avec une telle grâce que je leur pardonne leur goinfrerie.

En tout cas, j'étais bien, assise sur mon petit banc. J'entendais les oiseaux. Je sentais le soleil car j'étais placée juste à l'angle d'un de ses rayons qui traversait mon érable, roi de la cour. L'Homme, un peu plus loin, s'est tout à coup penché sur le bord de la clôture pour me dire : "Tu sais à qui tu me fais penser, là, installée devant ton étang, béate d'admiration? À un enfant, un enfant devant un étalage de bonbons." Je ne sais pas pour les bonbons, mais pour l'enfant, je suis d'accord. J'étais un enfant en pâmoison.

mardi 17 mai 2011

Ancrage terre à terre

Me semble que ça fait un bout que je ne vous ai pas entretenu de mes parcours pédestres. C'est qu'ils sont pour le moins chaotiques ces temps-ci. D'abord, lorsque je suis à l'extérieur de la maison, je dois improviser. Pas un problème quand je séjourne à Montréal puisque j'ai pu, au cours des quatre dernières années, m'établir un trajet que j'aime vraiment beaucoup le long de la rivière. Le Fils habitait en effet dans un secteur formidable situé à deux pas de la Route verte. J'emploie ici l'imparfait à dessein car, le 1er juillet, il transportera ses pénates dans le même quartier mais dans un appartement hélas plus éloigné de la nature. M'enfin. Cela me donnera l'occasion de faire preuve de créativité en explorant de nouveaux trottoirs. D'après ce que j'ai vu, c'est plutôt résidentiel dans le coin. Je devrais donc y trouver mon compte.

La semaine dernière, j'étais à Québec où les beaux endroits à parcourir ne manquent pas. Ainsi, jeudi matin, après un bon déjeuner au Café Krieghoff, la Fille et moi nous sommes dirigées vers le Vieux-Québec. Il faisait froid. Un froid de canard. Mais le soleil luisait et le plaisir de faire l'école buissonnière l'emportait sur tout. Dans l'après-midi, la température s'était suffisamment réchauffée pour que nous puissions emprunter un banc de parc en face du Palais Montcalm. C'était vraiment formidable d'être assises là à contempler les remparts et passablement inquiétant d'observer les touristes téméraires qui s'étaient aventurés à leur sommet. Les autres jours, j'ai davantage fait de la marche intérieure... dans les magasins.

Et c'était aujourd'hui le retour à la routine. Le yoga aidant, puisque nous avions appelé la lumière pendant le cours ce midi, j'ai pu retrouver mes trottoirs familiers en fin de journée sans la pluie pourtant annoncée. J'ai même osé le capri moulant sans le regretter. Et j'ai ouvert les glissières sous les bras de mon blouson tout neuf qui viendra avec moi en Europe au mois de septembre. C'était bon. Le vent m'ébouriffait les pensées à mon grand contentement. C'est que j'avais déjà eu de la difficulté à rester sur mon tapis pendant le yoga et je ne voulais pas que les idées recommencent à se bousculer dans ma tête. Le métal est venu compléter le tableau qui a retrouvé ses teintes parfaites. J'ai aperçu plusieurs merles qui se pavanaient sur les pelouses, compté trois chats et un chien perdu avec photo sur un poteau, respiré (pas trop fort quand même à cause des allergies) le parfum de différents arbustes en fleurs et le gazon fraîchement tondu.

Un petit tour au bassin avant de rentrer pour le souper. Les bébés poissons se sont présentés en masse pour avaler les granules. Il y en a déjà deux ou trois qui commencent à avoir une taille d'ado! Après avoir nettoyé le filtre et réinstallé la pompe, j'ai eu droit à un spectacle de nage synchronisée offert par les espiègles. Ils sont tellement drôles. Ils adorent tourner en rond sous le jet dans une course folle. J'ai hâte de réinstaller les plantes et de voir l'eau retrouver une couleur disons... moins foncée.

Ahhhhh... je sais que je vais profiter de mes prochains jours de congé, beau temps, mauvais temps!

lundi 16 mai 2011

Lamentations ménagères

"Je suis submergée sous les tâches à faire et je déteste ça. Même avec Martha qui vient nettoyer la maison une fois aux deux semaines, je n'y arrive pas. C'est ça qui se produit quand on choisit de s'amuser plutôt que de vaquer aux tâches domestiques."

Voilà le message que j'avais commencé à écrire avant de quitter mercredi dernier pour la Ville de Québec. Je suis revenue seulement hier soir. Mon séjour à l'extérieur de la maison, même s'il fut fort agréable, n'a toutefois rien changé à l'état déplorable des choses, ni au découragement qui m'envahit quand j'en prends conscience de façon trop aigüe.

Du côté cour, c'est la pagaille. Les vêtements d'hiver sont toujours accrochés dans le placard de l'entrée. J'ai eu le temps à un moment donné de laver des foulards et des mitaines que j'ai ensuite mis sur la planche à repasser au sous-sol en me disant que j'allais attendre d'avoir rassemblé l'ensemble des fringues hivernales avant de ranger le tout dans les boîtes prévues à cet effet. Plus de trois semaines se sont écoulées. Le petit tas de lainage prend maintenant la poussière et le reste de l'attirail se trouve un peu partout dans la maison. Je devrai me lancer dans une course aux trésors effrénée pour finalement procéder à l'hibernation de la garde-robe qui tient chaud.

Il y a aussi les innombrables bottes, bottillons, espadrilles et souliers qui jonchent le vestibule. La température ayant été un peu plus clémente au début du mois de mai, j'avais réussi à remiser certaines de ces pièces qui sont revenues malheureusement au goût du jour quand le froid s'est de nouveau pointé le nez. Maintenant, pour pénétrer dans la maison, je dois d'abord me frayer un chemin au travers du salmigondis de sandales d'été et de bottes d'hiver qui encombrent le tapis de l'entrée et s'étendent jusqu'au salon. Une véritable expédition et un exploit digne de mention quand j'arrive à me rendre dans la cuisine sans m'être tordue la cheville en marchant sur une botte renversée ou m'être écrasée face contre terre en m'accrochant les pieds dans un lacet! Mignonne et la Reine-Marguerite, qui sont immanquablement installées bien confortablement sur les accoudoirs du divan quand je reviens à la fin de la journée, n'en reviennent pas. Bouffe et divertissement inclus! Que demander de mieux!

S'il n'y avait que ça. J'ai des tiroirs aussi dans lesquels j'ai pigé pour trouver des chandails à manches courtes parce que je croyais l'été arrivé. Grave erreur. Mal m'en prit. J'ai depuis tout mêlé parce que, bien évidemment, quand vient le temps de ranger mes vêtements, je confonds allégrement les saisons. Un capharnaüm que je devrai éventuellement mater si je veux m'habiller plus rapidement le matin.

C'est pas mal ça pour le côté cour. Et le côté jardin, lui? En mauvais état, je le crains, car là aussi j'accuse un retard dans les travaux à réaliser. Si la tendance se maintient, l'Homme va probablement tondre la pelouse avant même que j'aie pu la rateler pour la débarrasser des saletés du printemps!

En raison de la prolifération d'algues dans le bassin, j'ai dû effectuer certaines tâches en mode rapido. Ainsi, un soir de la semaine dernière, au lieu de m'attaquer aux plates-bandes comme prévu, j'ai plutôt repêché les plantes aquatiques dans le fond du bassin et transplanté quelques-unes d'entre elles. J'ai aussi "tenté" de passer l'aspirateur que j'avais acheté pour nettoyer les bords de l'étang. J'utilise ici les guillemets puisque mon rôle de Martha aquatique en a pris pour son rhume quand j'ai constaté que le filet destiné à recueillir les débris avait sombré corps et âme dans les profondeurs de l'aquarium extérieur. Je suis certaine d'avoir entendu rire les poissons rouges quand ils ont vu ma déconfiture. Si les barracudas étaient voraces, leurs confrères survivants du froid, eux, sont espiègles. Dans tous les cas, le fameux filet est à ce jour encore porté disparu.

Cette semaine, j'ai cinq jours de congé. Je veux faire tout. J'ai écouté les prévisions pour la météo : pluie, pluie et repluie. Au pire me restent les tiroirs en désordre. Au mieux m'attendent les végétaux du jardin. C'est quoi le proverbe déjà? Vous chantiez, j'en suis fort aise, eh! bien nettoyez maintenant!

lundi 9 mai 2011

Lévitation culturelle ou l'art de flotter sous le tapis

J'essaie... j'essaie fort de stimuler mes neurones culturels. Je veux les développer, les enrichir. Je les expose donc le plus régulièrement possible à différentes situations où ils sont amenés à rencontrer toutes sortes de personnages ou d'oeuvres, et ce, dans le but de les stimuler au max. Je crains fort, toutefois, que la fin de semaine qui vient de se terminer les ait davantage pertuber qu'élever à un nouveau degré de connaissance zartistique.

J'étais à Montréal avec l'Homme et la Fille. Nous avons assisté samedi à la performance éphémère donnée par Pierre Lapointe à la Galerie de l'UQAM. Intitulée Conte crépusculaire, cette manifestation artistique a été conçue pour permettre le croisement entre plusieurs médiums (musique, sculpture, éclairage, photographie). Mais j'arrête là ma description car je n'ai pas le bagage artistique nécessaire pour bien vous expliquer la démarche suivie par les concepteurs. Je peux juste vous dire que, pour moi, c'était étrange et fascinant. En fait, je ne savais trop quoi penser (sans doute en raison de l'affolement de mes neurones exacerbés). Il y avait des "pièces musicales" interprétées par une chanteuse contemporaine et un jeune garçon. Les sons qu'ils poussaient, ensemble ou séparément, me tapaient parfois souverainement sur les nerfs. À ces moments-là, une seule image me venait en tête : celle de Mignonne en train de descendre ses griffes le long d'un mur en guise de protestation auditive. Mais, mais je me suis retenue et, comme les autres personnes présentes, je suis restée sagement debout pendant la quarantaine de minutes qu'a duré la performance. J'aurais pu aussi déambuler autour de l'oeuvre pour l'admirer sous ses multiples angles. C'était une possibilité offerte à tous les spectateurs. La Fille l'a fait. L'Homme et moi sommes plutôt restés de marbre. Figés, sans doute, dans nos conventions et nos points de vue de Néandertal.

Si j'ai aimé? En partie. Surtout vers la fin. Non, je plaisante. J'ai vraiment admiré l'installation de l'artiste plasticien David Altmejd. Des libellules en plexiglass. Des fleurs vraies et fausses plantées dans de la cire. Les liquides colorés qui parcouraient de longs canaux au-dessus de nos têtes. Et l'espèce de machine-oiseau dans laquelle le Roi, personnifié par Pierre, prenait place pour trouver la mort. C'est la première fois que je vivais l'expérience de me trouver en plein coeur d'une création. Ai-je tout compris? Assurément pas. Et ce n'est pas important. Ce qui compte, c'est la stimulation des neurones. De la boucane s'échappait de mes oreilles quand je suis sortie de la salle. C'est vous dire.

Dimanche après-midi. D'abord un petit tour au Musée d'art contemporain pour réchauffer la musculature cérébrale encore endolorie de son expérience de la veille. Et me voilà avec la Fille au Théâtre d'Aujourd'hui pour la présentation de Temps, dernière création de Wajdi Mouawad. Oui, c'est lui qui a fait couler beaucoup d'encre récemment avec son désir de solliciter la participation de Bertrand Cantat pour le spectacle Le Cycle des femmes.

Nous n'étions plus dans cette controverse. Toutefois, Bertrand était quand même présent dans la pièce que j'ai vue par l'entremise d'une chanson de Noir Désir. Ce n'est toutefois pas à cause des notes de La Rage que mes neurones ont tiqué et sont devenus soudainement moins malléables. C'est l'ensemble de l'oeuvre qui a fait qu'au bout du compte (deux heures bien sonnées), j'ai complètement décroché.

J'ai vraiment tenté le plus honnêtement possible de rester connectée. J'ai fait fi de l'arrivée régulière sur scène d'une amazone lançant des flèches sur une cible. Et je suis arrivée à contenir mon impatience devant l'interprète gestuelle chargée de traduire les paroles de la fille victime d'inceste devenue muette après que sa mère, ayant appris l'horrible drame, ait décidé de s'immoler dans une forêt de sel non sans lui avoir ordonné de s'occuper de ses frères. J'ai accepté qu'une petite fille de six ans puisse s'enfuir d'une ville comme Fermont et se rendre à Québec pour donner ses frères jumeaux en adoption. J'ai avalé qu'elle ait été en mesure de savoir où ils étaient pendant des années jusqu'à cette rencontre fatale où elle les convie à participer au meurtre du père. Je m'accommodais de l'invasion des rats et de sa symbolique. Je crois que c'est l'arrivée du deuxième frère, directement de Russie, en compagnie lui aussi d'une interprète - celle-là ayant perdu sa valise - qui a mis fin abruptement à mes accommodements raisonnables.

Mon cerveau refusant de prendre davantage d'images mythiques et de messages subliminaux, j'ai été condamnée à me rendre jusqu'au bout de cette histoire ancrée dans la réalité la plus terre à terre qui soit. Dès lors, la balle provenant d'une arme russe toujours logée dans l'épaule du premier frère qui sera extirpée à froid par la soeur pour être cachée dans des poupées russes avant d'être utilisée pour tuer le père m'a semblé d'une totale absurdité. Et les dialogues qui, par la présence des interprètes, étaient traduits du gestuel au français au russe et du russe au français au gestuel m'étourdissaient totalement. Finalement, lorsque le père est tué d'une balle dans la tête par sa fille qui lui offre une dernière jouissance avant de le conduire dans sa chaise roulante dans la forêt pour le donner en pâture aux rats affamés, j'avais atteint le point de non retour.

Les dernières minutes, je n'y croyais tellement plus que j'avais peine à ne pas rire. Je sais, ce n'est pas une histoire drôle. N'empêche. L'interprète russe retrouve sa valise rose et les deux expertes langagières annoncent à la famille dysfonctionnelle qu'elles quittent Fermont pour "Tatooine". C'est ce que j'ai compris. Pour moi c'était logique qu'elles s'en aillent sur une planète de la Guerre des étoiles. J'étais moi-même pas très loin de là. La pièce se termine sur la façon dont on va maquiller le crime : le père s'est perdu en forêt et il a été surpris par les rats. Bien pensé, non? Tout le monde sait qu'il est très facile de circuler en forêt lorsqu'on déambule en fauteuil roulant. Les sentiers pour personnes handicapées foisonnent, surtout à Fermont. La balle, dites-vous? Ah! mais, c'est que vous avez suivi l'histoire. Figurez-vous que l'adjointe du maire a passé la nuit à fouiller le cadavre pour pouvoir confier la balle aux enfants qui vont à nouveau la cacher dans les satanées poupées russes remises très, très, très lentement les unes dans les autres. Rideau.

J'ai comme une odeur de roussi qui me colle à la peau depuis hier. Vous croyez que des neurones surchauffés ça peut encore léviter?

vendredi 6 mai 2011

Quand le train déraille

Qui d'entre nous ne s'est pas fait dire un jour : "Donne-toi un bon coup de pied au derrière et prends-toi en main!". Un peu difficile à réaliser quand on y pense bien. Faut-il prendre notre pied en main avant qu'il ait touché à notre derrière ou est-il préférable de réagir en se retournant très rapidement pour éviter le coup?

Moi ce que je n'aime pas de cette phrase-là, c'est qu'on nous la sert toujours lorsqu'on est déprimé, lorsqu'on passe une période difficile, lorsqu'on se remet en question, bref, lorsqu'on est particulièrement vulnérable. C'est vrai que lorsqu'on est à notre plus bas, c'est plus facile de se rejoindre le derrière pour le botter.

(Citation de Moi tirée du bulletin Info Extra de janvier 1995)

Pourquoi je vous ressors mes vieilles affaires? Because la Semaine de la santé mentale et rebecause une émission de télé que je viens de regarder sur le sujet en question. Émission où j'ai été surprise de constater, en écoutant les commentaires des invités, que la thérapie du coup de pied constitue apparemment un conseil toujours d'actualité à servir aux faibles du cerveau. Quinze années ayant coulé sous le pont en-dessous duquel je me débattais dans des eaux tumultueuses, je croyais que les "malades mentaux" faisaient maintenant l'objet d'une empathie assez généralisée. Mauvaise réponse. Ces personnes se font encore dire des niaiseries et sont parfois regardées comme des bêtes de cirque ou des chevaux sauvages aux réactions imprévisibles.

À la radio aujourd'hui, une députée de l'Assemblée nationale expliquait la croisade qu'elle entreprend pour amener la création d'une commission parlementaire sur les drames familiaux dans le but de trouver des façons de les détecter avant que le malheur ne frappe. À l'animateur qui se demandait si cette commission pourrait vraiment être utile, un psychiatre tenait ces propos que je résume de mon mieux. Selon lui, pour les drames mettant en cause les mères qui tuent leurs bébés, nous possédons suffisamment de données déjà sur la dépression post-partum et le risque associé d'infanticide et de suicide pour mettre en place les suivis appropriés. Pour les autres cas, notre bassin de données n'est pas assez grand pour tirer des conclusions probantes. Et même si nous décidions d'investir pour mener des recherches sur une base internationale, il semble que nous ne serions pas plus en mesure de prédire tous ces actes irréparables. Que faire alors? Le doc était catégorique : continuer à sensibiliser la population aux problèmes de santé mentale pour cesser une fois pour toutes d'associer la demande d'aide à un signe de faiblesse.

Ce qui me ramène à mon coup de pied du départ. La faiblesse. N'est-ce pas ce que cette phrase insinue? Quand on la jette à la figure de quelqu'un qui n'arrive plus à fonctionner normalement, est-ce qu'on n'est pas en train de lui dire que, si ça va aussi mal, c'est parce qu'il s'écoute trop. Qu'il se plaint trop. Qu'il pleure trop. Ou, des fois, qu'il rit trop et pas aux bons moments. C'est quoi cette foutue manie de la performance, du contrôle de soi en toutes occasions, de la projection d'une image parfaite et posée peu importe que l'on soit en train de vivre une maladie, un deuil ou une séparation? Et que penser du moment où l'on perd pied, où l'on ne se reconnaît plus, où l'on entend des voix, où l'on passe de l'euphorie au découragement, parfois dans la même journée? Croyez-vous sincèrement qu'un coup de pied peut changer quoi que ce soit? Pourquoi pas un coup de main à la place? Une tape sur l'épaule. Une oreille attentive. Et l'engagement d'être là pour réagir rapidement quand le besoin s'en fait sentir.

Quinze ans plus tard, je crois toujours qu'il y a un nombre incalculable de coups de pied au derrière qui se perdent. Il n'y a rien que j'aimerais davantage que de botter le derrière de tous ceux qui m'ont conseillé de botter le mien.

mercredi 4 mai 2011

Choc post-traumatique

J'ai mis du temps à vous faire part de ma réaction au tsunami orange. C'est que j'ai l'impression d'avoir reçu le toit sur la tête. Je suis encore abasourdie, hébétée, étonnée, désespérée, déprimée, souffrante. Je vis comme un automate depuis que j'ai vu lundi soir sur l'écran de télé apparaître le chiffre 155 à côté du logo honni. Le cauchemar qui devient réalité.

Pour tout vous dire, entourée d'autres vaillants bénévoles du Bloc qui avaient la mine aussi basse que moi en constatant l'ampleur du désastre, je me suis revue lors du dernier référendum. Vous savez celui où nous avons eu un pays pendant une heure environ, en fait jusqu'à ce que les résultats de la région de Québec viennent confirmer notre défaite. Jamais je n'ai oublié le visage lumineux de Richard Séguin qui, les larmes aux yeux, déclarait avant que l'affreux verdict nous rattrape : "Enfin, nous l'avons notre pays!" Hélas, hélas, notre bonheur fut de courte durée.

Devant l'immense écran électronique du bar sportif où nous étions rassemblés lundi, je ne savais plus si je devais crier ou pleurer. J'ai donc fait un peu les deux. Décontenancée, penaude, je suis retournée à la maison avec l'Homme qui, tout aussi découragé que moi, n'a pu que me dire pour tenter d'atténuer ma peine : "Tu sais, le désir d'indépendance, le combat pour la souveraineté, c'est notre génération. Cet idéal va mourir avec nous". Moi je ne veux pas accepter ce constat. D'autant plus qu'il y avait beaucoup de jeunes qui ont travaillé avec nous et qui pleuraient et rageaient autant que nous en prenant connaissance des résultats du désastre. C'est l'un d'entre eux, d'ailleurs, qui m'a donné le courage de me relever : "T'en fais pas. On va se revoir, c'est sûr, parce qu'on a un pays à construire". C'est vrai. Alors, toutes les fois où je me surprends à vouloir abandonner le combat pour de bon, je me rappelle ces mots remplis d'espoir.

En attendant, pour un petit moment, j'ai choisi de me retirer dans mes quartiers pour panser mes blessures. J'ai besoin de prendre soin de mon jardin et de mon bassin, de respirer l'air frais, de toucher la terre qui se réveille. La nature possède un grand pouvoir de guérison. J'ai confiance qu'elle saura me donner l'énergie dont j'ai besoin pour poursuivre ma route.

Et pour la suite des choses...

À tous ceux qui voulaient des changements, je vous souhaite seulement de ne pas avoir à vivre des lendemains trop amers. Déjà, ce matin, plusieurs groupes et organismes faisaient part de leurs vives inquiétudes envers le programme que M. Harper pourra dorénavant, sans plus d'entrave aucune, mettre de l'avant allégrement en faisant fi des valeurs fondamentales d'une grande partie de la population, de la majorité en fait. Suffit de penser aux secteurs pour lesquels il n'éprouve aucun désir d'améliorer les choses, notamment les arts et la culture, l'environnement et les langues officielles. Il y aura certes des avions de combat, des prisons plus grandes et davantage d'armes à feu en circulation. Sans compter que l'on pourra s'enliser à volonté dans les sables bitumineux. Mais il faudra chercher en vain les logements sociaux, les mesures pour abolir la pauvreté, entre autres chez les Autochtones, l'allègement du fardeau des aidants naturels et le souci de venir en aide à nos aînés démunis.

Je crains malheureusement que les cris de protestation de Jack, aussi forts et véhéments soient-ils, n'empêchent aucunement notre ciel d'être envahi de gros nuages noirs pour les quatre prochaines années.