mercredi 29 mai 2013

Ma meilleure évaluation de rendement

J'ai travaillé trente-quatre ans comme fonctionnaire. Je n'ai jamais occupé de poste de gestion. Je ne suis donc à peu près jamais repartie à la maison en pensant aux dossiers sur lesquels j'avais planché pendant la journée. Faut dire que je n'ai jamais voulu grimper les échelons non plus. J'aimais trop ma liberté que je retrouvais chaque soir avec un immense plaisir dès que je mettais les pieds en dehors de l'édifice.

Au cours des années, je dirais qu'il m'est arrivé à deux ou trois reprises seulement de penser que je pouvais vraiment faire une différence. Toutes les fois que je me laissais prendre au jeu, j'en sortais plus amère et déçue. J'en suis venue à la conclusion que la machine servait avant tout à broyer la créativité, le professionnalisme, les idées neuves et le goût de changer les choses. J'ai arrêté de croire aux fausses promesses et aux belles paroles creuses. Je suis devenue une fonctionnaire juste assez cynique pour être encore capable de faire preuve de retenue devant les patrons.

Heureusement, j'ai eu droit à une deuxième vie. Depuis que je suis à la retraite, je fais une différence. Je le sais. Je le vois. Je me suis trouvée une mission. Je veux briser les inégalités. Je veux soulager la pauvreté et la misère. Je veux nourrir les corps et les âmes.

Contrairement au temps où j'étais sur le marché du travail, je repars presque tous les jours à la maison avec en tête une parole, une image, une personne. Moi qui ai tellement écrit sur mes états d'âme (et qui le fais encore parfois), je ne prends plus que rarement le clavier pour m'exprimer à ce sujet. Et pour cause. Je suis tellement remplie d'émotions, de rires, de larmes, de succès et d'échecs quand je reviens de bénévoler que je n'éprouve que l'envie de me reposer et de retrouver mes forces pour la prochaine journée. J'ai vécu au boutte de 9 à 5. Faut que j'arrête pour souffler un peu.

Moi qui détestais faire des heures supplémentaires au bureau, je suis toujours prête à m'ajouter des tâches en sus. Placer les tables pour le souper-spaghetti? Pourquoi pas. Vendre des soupes et des hot-dogs à Bal de neige? Pourquoi pas. Ranger la banque alimentaire pour savoir quoi donner dans les dépannages? Pourquoi pas. Je bénévole quatre jours par semaine à la Soupière de l'Amitié. C'est ma nouvelle famille. Elle est dysfonctionnelle à souhait et c'est la raison pour laquelle je m'y sens si bien. Tout le monde pète sa coche à un moment donné. Pas grave. On se réconcilie vite. On pleure. On rit. Des fois, on se retrouve à attendre Godot. Littéralement.

Dans mon ancienne vie, ça prenait des mois pour faire accepter un nouveau projet. Fallait demander l'opinion de tout le monde. Et, bien évidemment, tout le monde en avait une. À la fin, tu ne reconnaissais plus ton projet. De toute façon, il n'était plus le tien. La machine l'avait mis à sa main. Quand elle l'avait modelé, c'était bon signe au moins. Ça voulait dire que quelque chose allait se passer. Mais la plupart du temps, il ne se passait rien. C'est comme ces innombrables commissions que les gouvernements de tout acabit ne cessent de mettre sur pied pour soi-disant régler des problèmes importants. Elles accouchent de recommandations fort intelligentes qui se retrouvent toutes à la même place : sur les tablettes!!

C'est pas nécessairement le même processus dans ma nouvelle vie. Je ne dis pas que tous les projets se réalisent. Loin de là. Quand on parle de projets qui coûtent des sous, laissez-moi vous dire qu'il faut travailler fort pour aboutir là où on veut. Par contre, c'est possible de mettre sur pied des projets plus modestes. C'est ce qui est arrivé avec le Petit Marché. Je trouvais que nous avions des surplus de fruits et de légumes que nous perdions parfois faute d'avoir pu tous les utiliser dans la cuisine ou dans les dépannages. J'avais aussi des denrées dans la Banque alimentaire que je pouvais plus difficilement passer comme des légumineuses, des sardines, des sauces et vinaigrettes bizarroïdes, des tonnes de biscuits salés et sucrés. J'en ai parlé aux responsables de la Soupière qui ont appuyé très rapidement mon idée de les offrir à notre clientèle une fois par semaine, soit le vendredi. Le Petit Marché était né. Je reçois de 35 à 40 personnes par semaine. Je trouve ça formidable car, en plus de les aider de façon régulière, je peux les connaître davantage. J'ai le temps de jaser avec eux, de leur proposer des recettes, de leur offrir la possibilité de goûter des fruits ou des légumes qu'ils ne connaissent pas et, surtout, de leur permettre de se rendre à la fin du mois avec, peut-être, quelques sous de plus dans les poches.

Ce soir, en me rendant à la pharmacie près de chez moi, j'ai croisé une dame que je vois fréquemment à la Soupière. Nous avons fantasmé ensemble sur la possibilité de gagner la loterie. Vous savez c'était quoi ses rêves à elle? Payer ses dettes et remplir son frigo. J'en ai profité pour lui parler du Petit Marché et je l'ai invitée à venir me voir vendredi. C'est alors qu'elle m'a dit : "J'te r'garde aller, toé, pis t'es ben correct." Je lui ai dit merci, j'ai ajouté que je les aimais tous et toutes, et je suis repartie le coeur léger, léger. Là le doute n'est plus permis : je fais une bonne job!

lundi 6 mai 2013

Sauvée par le métal

J'ouvre les yeux. Elle est là. Déjà. Elle me regarde. Ou plutôt elle entre en moi et je sais que ma journée vient de mal commencer. J'ai le coeur qui se serre. Je sens un immense poids sur ma poitrine. Le découragement m'envahit. Mon ennemie ne me lâche pas et pourquoi diable le ferait-elle? Je suis une proie tellement facile. Nul besoin pour elle de déployer des trésors d'imagination pour m'embarquer dans ses délires les plus abracadabrants puisqu'il lui suffit d'exercer une légère pression sur ma gorge pour que je cesse de fonctionner normalement. Parfois même elle joue à s'emparer de mon esprit et elle m'envoie alors des messages à une vitesse si affolante que je ne sais plus où donner de la tête.

En ce beau lundi matin ensoleillé, elle a choisi de me couper la respiration. Il est encore tôt. À peine six heures. J'essaie bien de me rendormir mais je n'y arrive pas. Je suis prise dans les filets de l'anxiété. Elle m'occupe pas mal trop ces temps-ci ne me laissant que peu de répit pour retrouver mes moyens. Évidemment c'est sa force de s'installer, de s'incruster, de coller à la peau du monde! Au bout d'un moment, je me rends à l'évidence que je ne retrouverai pas le sommeil. J'ai le choix : je reste là à sentir la bête prendre toute la place en moi ou je me secoue et me précipite sur mes trottoirs chéris. Justement une amie me disait hier qu'elle était tombée sur un poste de radio qui faisait jouer du métal et qu'elle avait pensé à moi en faisant sa vaisselle et son ménage sur les rythmes endiablés des headbangers. Ça fait une mèche que je n'ai pas marché en écoutant ma musique préférée. Me semble que cela me ferait le plus grand bien de marteler mon désarroi en me faisant brasser les tripes! C'est décidé, je sors prendre l'air.

Je dois maintenant prendre le temps de choisir judicieusement mon remède. J'opte pour le groupe Times of Grace. Ça fait déjà un bout que le Pusher de métal me l'a fait découvrir mais les vieux classiques, ça ne se démode pas. Après la première chanson, je sais que je ne me suis pas trompée. J'entends les paroles dont j'ai besoin et j'entre dans ma bulle. Le rythme rapide me permet de dépenser dès le début de mon parcours la mauvaise énergie qui m'habite. Je me donne à fond. Je grimpe et descends les escaliers une dizaine de fois. J'ai tellement l'air déterminée qu'un monsieur décide même de grimper dans l'herbe plutôt que de se frotter à moi dans les marches. Tant pis! Je demeure totalement concentrée sur la musique. Je me permets un petit jogging sur la pente de l'église. Je sens l'étau qui se relâche. Finalement, le miracle arrive comme toujours quand j'écoute du métal.

J'ai expliqué plusieurs fois dans ce blog l'extraordinaire richesse de cette musique qui me touche toute entière. Elle vient chercher en moi la rage, la révolte, le désespoir, mais elle ranime surtout ma petite flamme de rebelle, cette lumière qui ne veut pas mourir et que j'oublie trop souvent d'alimenter parce que je cesse de croire qu'elle est là. J'ai pleuré quand je suis arrivée à la dernière chanson. Aujourd'hui, c'est comme si elle avait été écrite pour moi. Lisez ou écoutez :

Fall from Grace

At the end of your rope
Hanging by a thread
He'd give anything for this to just go away
This grip is only so strong

I try to hold on tightly
But it's all slipping through my fingers
And I feel a moment, aspirations betray
Eyes that once beamed with hope now only stare in remorse

Even through this pain
I will feel again
Even through these tears
I will love again
Even through this pain
I will feel again
Even through these tears
I will love again

There will be no pity
There will be no sorrow
For today these hands may tremble
But this heart will never give in

Even through this pain
I will feel again
Even through these tears
I will love again
Even through this pain
I will feel again
Even through these tears
I will love again

And I will not fall
Fall from grace
And I will not fall

I will feel again
You're at the end of your rope
I will love again

Vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=N8gi2eQMLJU

J'ai terminé ma marche les bras ouverts pour accueillir la vie. Me semble que c'est là que j'ai laissé échapper la boule noire. Va te faire foutre, je ne tomberai pas!