samedi 19 septembre 2015

L'année de mes 60 ans : À prendre avec de la nourriture

La course électorale bat son plein. Les politiciens nous en mettent plein la vue. Tout d'un coup, ils s'intéressent aux vieux et aux petits enfants. Ça fait tellement de belles photos! En effet, quoi de plus attendrissant qu'un bébé dans les bras d'un candidat à la cravate rouge, bleue ou orange, je vous le demande?

Il y aussi ceux qui s'inquiètent tout d'un coup, et avec raison, du faible taux de participation des jeunes aux élections. Moi, cette semaine, j'ai réalisé que le vote des personnes pauvres ne devait guère être plus élevé que celui des jeunes. C'est sûr que ce doit être plus difficile à mesurer mais, en écoutant les conversations à la Soupière, je me suis rendue compte à quel point nos participants ont lâché prise à l'égard de ce devoir de citoyen. Et pour cause...

J'ai bien essayé de faire valoir l'importance de participer à notre vie démocratique mais ces gens sont des laissés pour compte, des quantités négligeables dont on ne se soucie pas. Ils ne sont même pas assez beaux pour se retrouver à la une du journal en compagnie d'un politicien soudainement sensible à la misère de ceux qui ne sont ni riches, ni célèbres. Avec le temps, ils sont devenus complètement indifférents aux promesses jamais tenues, aux engagements rarement réalisés et aux paroles destinées uniquement à jeter de la poudre aux yeux. Je les écoutais exprimer leur désenchantement et, franchement, je ne pouvais qu'être d'accord avec eux. J'aurais tellement aimé qu'il y ait à ce moment-là un candidat dans la salle pour entendre ce qu'ils avaient à dire, quelqu'un qui aurait été disposé à écouter avec sincérité leurs préoccupations et leurs inquiétudes parce que leur vie est un combat quotidien qu'ils mènent tout seuls la plupart du temps.

Combat quotidien, ça vous semble exagéré? D'accord, je vous partage un cas. Je vais à l'épicerie aujourd'hui pour acheter du pain. En entrant dans le magasin, je croise M. qui fréquente la Soupière régulièrement. Il venait vendre des canettes qu'il avait ramassées. Tout le monde sait qu'avec un gros 2 ou 3 $, tu peux faire toute une épicerie! En essayant de ne pas avoir l'air trop inquisitrice, j'en profite pour prendre de ses nouvelles car je sais qu'il est très malade. Je m'informe entre autres de ses vertiges qui le dérangent beaucoup et qui l'empêchent de plus en plus souvent de venir manger le midi. "Qu'est-ce que tu fais quand tu es trop étourdi pour sortir?" que je lui demande. "Bien je passe de mon lit à ma chaise. Mais je deviens vite fatigué à rester assis sur une chaise droite, cela me cause des douleurs", qu'il me répond sans vraiment se plaindre cependant. Naïvement, oui vraiment naïvement, je continue : "Mais pourquoi tu ne t'assois pas sur un fauteuil, ce serait plus confortable?". Parce qu'il est absolument gentil et poli, il m'informe qu'il n'a pas d'autres meubles à sa disposition dans sa chambre qu'un lit, une table et deux chaises droites. Je me sens tout d'un coup pas mal stupide. Même si je bénévole à la Soupière depuis près de quatre ans, je constate que je n'ai pas encore un véritable portrait de la vie que mènent les gens que j'aide tous les jours.

Je le regarde devant moi, tellement maigre dans son teeshirt. Je poursuis avec mes questions parce que je m'inquiète pour sa santé :

Moi : "Peut-être qu'on pourrait te trouver un fauteuil confortable? Au moins, ce serait mieux pour toi que de rester étendu dans ton lit."

Lui : "Impossible. Je n'ai vraiment pas de place dans ma chambre pour mettre un autre meuble."

Moi : "Qu'est-ce que tu manges les jours où tu ne peux pas venir à la Soupière?"

Lui : "Rien. Je n'ai pas pu aller au dépannage la semaine dernière parce que je me sentais trop faible. Un ami hier a trouvé de la viande hachée dans son congélateur et il me l'a donnée. C'était pas trop bon car je n'avais même pas de patates pour manger avec ça. Même pas une canne de soupe ou de légumes!"

Moi : "Ça n'a aucun sens. Tu ne pourras jamais retrouver tes forces si tu ne manges pas. Je te laisse mon numéro de téléphone et, à partir de maintenant, tu m'appelles le matin pour me dire si tu peux te rendre à la Soupière. Quand tu ne pourras pas, je vais t'apporter un repas chez toi."

Lui : "Merci, c'est sûr que ça va m'aider. Une fois que j'ai payé mon loyer au début du mois et les autres factures, il ne me reste presque rien pour la nourriture. Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas mangé de viande. C'est vraiment trop cher. Tout est cher. Le boeuf, le poulet, le steak haché."

Moi : "C'est vrai que tout augmente. Mais justement le fait que tu ne manges pas beaucoup, ça pourrait peut-être expliquer tes vertiges."

Lui : "Je sais. En plus, on me dit qu'il faut que je prenne mes médicaments en mangeant. Quand t'as rien à manger, c'est pas mal difficile à faire."

Et là je vous passe les complications avec l'aide sociale, la description de son logement insalubre et toutes les autres contraintes avec lesquelles il doit composer chaque jour. Ai-je besoin de préciser qu'il n'est pas le seul dans cette situation? Mais quel parti cela intéresse-t-il vraiment d'améliorer le sort des personnes démunies et vulnérables? Il y a eu plusieurs reportages la semaine dernière sur la situation du logement à Montréal et l'augmentation du nombre de personnes qui doivent littéralement se priver de manger pour payer leur loyer. Est-ce que cela a même soulevé un intérêt quelconque chez nos politiciens, en campagne électorale ou non? Absolument pas. Ou si peu.

C'est vrai que c'est dur d'avaler notre pilule de citoyen floué.

dimanche 13 septembre 2015

L'année de mes 60 ans : La balançoire

Voilà un autre passage qui s'amène, celui de la soixantaine. Pour dire vrai, je n'ai pas vu passer les 59 dernières années, alors je m'inquiète sérieusement pour celles à venir. J'essaie bien de profiter pleinement du moment présent mais, toujours en ébullition, mon cerveau me bombarde continuellement de messages. Heureusement, grâce à la pratique quotidienne de la méditation, j'arrive parfois à goûter, oh! pas autant que je le voudrais, mais à goûter quand même la seconde qui passe, qui est déjà passée.

Je remarque que je suis souvent plus attentive à ce qui se passe autour de moi, en-dedans de moi. Je regarde. J'observe. J'écoute. Et je m'arrête. Oui, je stoppe parfois brusquement mes pas de retraitée en mouvement quasi perpétuel pour apprécier la lumière du matin, le chant d'un oiseau, l'odeur de la pluie qui tombe ou les cris des enfants dans la cour de l'école. Je m'émerveille d'apercevoir la pleine lune au travers des stores de ma chambre et, bonheur suprême, de profiter de sa lumière qui vient se poser sur mon oreiller.

Volontairement, consciemment, je m'immobilise pour sentir la vie. Je lève parfois la tête pour mieux sentir le souffle du vent sur ma joue. Je sors en pyjama sur le balcon le matin et je respire profondément en contemplant le quartier qui se réveille. Je peux passer beaucoup de temps à regarder les poissons s'amuser dans l'étang. Ou encore à admirer mes orchidées en fleurs avec leurs belles racines qui passent par-dessus le pot.


Je fais exprès de me planter devant la fenêtre de la cuisine pour emmagasiner à tout jamais dans ma mémoire horticole les couleurs du jardin. Je m'extasie devant mes plantes aquatiques. Je tombe en pâmoison en surprenant un couple de cardinaux dans les mangeoires.

Je ne sais pas si c'est l'âge mais il me semble devenir un peu plus gaga tous les jours. Moi qui ai toujours été sensible, voilà que j'ai maintenant la larme à l'oeil pour tout et pour rien. Je trouve que c'est pas vraiment de ma faute cependant, c'est la faute à la nature. Elle est parfois tellement belle, tellement vraie, tellement parfaite qu'elle me donne envie de pleurer. Quand je pense aux efforts que je déploie pour avoir un beau jardin alors que la nature, sans conseiller horticole, est capable d'habiller un fossé en bordure de la piste cyclable d'une variété de plantes à faire rougir la pépinière la mieux fournie en y ajoutant de surcroît la palette de couleurs qui convient. C'est tout simplement magnifique.

En tout cas, ce cerveau ramolli me joue parfois de beaux tours. Lorsque je suis allée arpenter mes trottoirs chéris l'autre jour, je suis passée au travers d'un parc où il y avait des balançoires. Comme je me préparais à rejoindre la rue de l'autre côté, j'ai ressenti une impulsion, un élan qui m'a poussée jusque sur la balançoire. Ça faisait drôlement longtemps mais je me suis dit pourquoi pas. T'es encore capable de te balancer quand même. C'est pas parce que tu vas avoir 60 ans que tu ne peux plus te lancer vers le ciel. Alors je l'ai fait. J'ai retrouvé le désir de me balancer le plus fort possible justement pour tenter de toucher au ciel. Comme lorsque j'étais jeune, je n'ai pas réussi. Mais quelle sensation quand même d'avoir l'impression de voler... un peu. Si j'avais poussé l'audace, j'aurais sauté en mouvement pour atteindre le sol au lieu de freiner avec mes pieds. C'est là que je me suis rendue compte que je n'avais plus 10 ans. J'ai pensé que je pourrais me casser quelque chose. J'ai choisi la sagesse. N'est-ce pas ce que je dois viser maintenant que j'entre dans un âge plus vénérable?

N'empêche. Cette folie passagère m'a permis de constater que mon coeur d'enfant battait toujours, ce qui est extrêmement rassurant. Et aussi que je ne devrais pas avoir peur d'écouter la petite voix qui m'incite encore à m'amuser, à rire, à profiter de la vie au max en faisant des choses bizarres, inhabituelles, insensées.

Aujourd'hui j'ai 60 ans. Je rends grâce pour la merveilleuse vie que j'ai eue jusqu'à maintenant. Je souhaite bien évidemment qu'elle se poursuive encore longtemps. Je me souhaite surtout la paix du coeur et la sérénité qui font en sorte d'apprécier le cadeau du présent.