mardi 10 mai 2016

L'âme remuée

Depuis près de deux mois maintenant, je suis sur un bateau et je n'ai toujours pas envie d'accoster. Je peux dire cependant que ma situation s'est améliorée puisque j'ai troqué le frêle esquif du début pour un rafiot plus confortable. La mer, aussi, s'est calmée. La tempête a fini par finir et j'ai enfin pu commencer à avoir envie de m'asseoir sur le pont pour admirer le paysage. Bon, faut dire que dans ma coquille de noix du début, je ne pouvais pas contempler grand-chose toute occupée que j'étais à ne pas chavirer.

Comment je me sens en-dedans? Encore fragile. Et fatiguée. Je n'ai rien vu venir. Pour moi, le vent s'est levé tout d'un coup. C'est sûr que, des fois, j'avais le bagage lourd. Mais je me sentais bien. J'avais de l'énergie à revendre. J'avais toujours hâte d'entreprendre un nouveau voyage. Jusqu'à ce que je sombre. Heureusement, je ne me suis pas noyée. Je me suis agrippée à ce que j'ai trouvé. C'était pas fort. Et pas trop solide. Mais j'avais rien d'autre à portée de la main.

J'ai pensé chaviré plusieurs fois. Je gardais le cap sur rien. Je m'étais perdue sans boussole. Je ne pouvais plus vraiment rien faire à part surnager. Je n'arrivais même pas à ramer. Je flottais. Quelque part. Et je sentais que, malgré les vagues et les intempéries, je devais rester sur mon rafiot. Seul rayon de soleil dans ces nuages sombres : un gentil chien (je sais, c'est pas un chat!) qui m'accompagne depuis quelques mois quand je médite. Je ne sais pas d'où il vient ni pourquoi il est là. Parfois il pose sa tête sur mes genoux mais, la plupart du temps, il se contente de me regarder avec ses beaux yeux doux. Il a beaucoup de patience. Beaucoup plus que moi mais faut dire que c'est pas difficile. En tout cas, il me rassure. Quand je plonge dans ses yeux, je vois tout. Tout ce qui me touche, tout ce qui m'attriste, tout ce qui me révolte, tout ce qui m'habite. Une sorte de miroir. Que je dois regarder. Et que j'arrive à regarder. Mieux qu'avant.

Ça fait donc quelques jours que je vois le rivage. Qui ne m'inspire pas outre-mesure. Par contre, ce matin, je me suis dit qu'advenant que je retrouve le goût de toucher la terre ferme, je pourrais commencer par débarquer dans un endroit désert. Parce que je veux faire seulement ce qui me tente. Sans avoir d'horaire. Et, avec le printemps qui s'annonce doucement, j'ai hâte de retrouver le contact avec la terre.

***********************************

Le temps a passé. Mon gentil chien est parti mais il m'a laissé un bébé chien avant de s'éloigner. Je ne sais pas encore ce que cela signifie. Il n'est pas aussi fidèle que le grand. Des fois, il médite avec moi mais, le plus souvent, il est absent. Je ne peux même pas vous dire si j'ai abandonné mon bateau pour finalement accoster quelque part. Mais le printemps, lui, est arrivé. J'ai même trouvé la force et l'énergie pour jardiner tout un après-midi où il faisait une température idéale. J'étais heureuse, présente et reconnaissante.

Ce que j'explore ces temps-ci c'est mon sentiment d'inutilité provoqué sans doute par mon inactivité forcée. J'ai l'impression de n'avoir plus rien à faire sur cette terre. Les enfants sont grands et partis de la maison pour de bon. J'ai tellement bien réussi ma mission maternelle qu'ils se débrouillent parfaitement sans moi. Bon, je sais que je suis autre chose qu'une mère mais je n'ai pas exploré la Femme depuis très longtemps. Je l'ai littéralement perdue de vue. Je me suis totalement identifiée à mon rôle de maman parce que j'avais entre autres tellement besoin de sentir l'amour qui m'avait souvent manqué. Alors je me suis donnée au max. Et, quand le nid a été vide, je m'en suis trouvée un autre pour continuer à donner sans compter et sans faire attention à mes limites.

Alors, voilà. Bonjour la Femme. Qu'est-ce que tu veux faire du reste de ta vie? À part sauver des chats. Je ne sais pas. J'ai encore mal partout. Quand je veux m'activer, mon corps semble toujours vouloir me ralentir. Peut-être qu'il faut que je commence lentement. J'ai encore la larme à l'oeil. C'est pas évident de retrouver la Femme vieillie. Je ne suis pas ajustée. Et je ne suis pas certaine d'avoir envie de la regarder entreprendre la route. Mais je n'ai pas le choix. Il faut avancer. Jusqu'à la fin.