jeudi 10 mars 2016

Flaques-là je vois le monde autrement

Trois semaines aujourd'hui que je suis stoppée dans mon élan de retraitée active. Trois semaines que j'ai la hanche souffrante et la patience manquante. Trois semaines que je me torture les méninges à me demander ce que je vais faire si l'élan ne revient pas.

Oui mon élan a été coupé. D'un coup franc. Et pas seulement physiquement. Mentalement aussi. En même temps que j'éprouve de la difficulté à me mouvoir, voilà que mon esprit, lui, vagabonde, cabriole, court à toute vitesse pour fuir. Fuir quoi? Fuir qui? En tout cas, fuir tout engagement bénévole, ça c'est sûr. Ma jambe amochée m'a donné l'excuse mais j'avais déjà l'âme atteinte. Me fallait juste un coup de pouce pour m'arrêter et c'est un croc-en-jambe qui m'a fait trébucher.

Pourtant, j'en mangeais de l'aide aux autres. Je bénévolais quatre jours par semaine à la Soupière de l'amitié, trois jours par mois au CHSLD et quelques soirées ici et là pour assister à des rencontres citoyennes notamment pour la Maison de quartier. J'aimais ça. J'aimais le monde. Je me sentais remplie. Je me trouvais utile. J'avais l'impression de faire ma petite part pour améliorer le milieu de vie de ma communauté. Et tout cela était sans doute vrai.

Mais pourquoi alors ce grand écoeurement au-dedans de moi? Pourquoi cette immense fatigue? Pourquoi ces larmes qui sont toujours sur le bord de déborder? Je suis épuisée. J'ai perdu mes repères. J'ai surtout perdu le petit coin que j'avais réussi à ménager dans mon dedans pour aller puiser l'énergie, la force, la bonté, la tolérance nécessaires pour continuer encore et toujours à combattre, telle une Don Quichotte sexagénaire, les moulins à vent de l'indifférence généralisée.

Je n'ai pas les pouvoirs de faire de grands changements. Empêcher les pipelines remplis de pétrole sale de circuler sous nos rivières ou nos terres agricoles n'est pas de mon ressort. Je m'insurge. Je suis révoltée. Je me tiens informée mais je n'ai que mon impuissance à opposer aux grandes entreprises de ce monde. Trouver un médecin de famille pour tous les gens de l'Outaouais qui en cherchent un désespérément, inculquer un semblant de compassion à notre ministre de la Santé, donner aux femmes le résultat de leur test PAP en moins de sept mois sont tous des défis en dehors de mes compétences. Je suis excédée. J'ai peur d'être malade et de devoir me rendre dans une clinique ou un hôpital de la région mais je ne peux rien changer à la situation. Je suis prisonnière des décisions insensibles prises par ceux qui supposément veulent notre bien. Conscientiser nos élus à la détresse quotidienne des personnes les plus vulnérables de notre société, leur faire comprendre que ces gens sont des citoyens à part entière et qu'ils ont eux aussi un rôle important à jouer, leur expliquer que les programmes de réinsertion à l'emploi ne sont souvent que des moyens déguisés d'améliorer les statistiques tout en continuant d'exploiter des gens en les faisant travailler dans des sous-emplois, pour des salaires ridicules avec, en prime, la lueur d'espoir d'enfin pouvoir s'en sortir jusqu'au moment où la subvention salariale se termine et que l'employeur se débarrasse de toi comme un déchet pour reprendre un autre de tes congénères qu'il va exploiter jusqu'à ce qu'il soit lui aussi bon pour la poubelle sont des situations absurdes et révoltantes dont j'étais régulièrement témoin. J'ai vu le désespoir dans les yeux de trop de personnes qui fréquentent les soupes populaires et les services de dépannage. Je suis dépassée.

Alors, que faire? Pour le moment, je ne fais rien. Je soigne ma jambe mais surtout mon âme. Je sens l'appel de céder à la tentation de devenir plus égoïste et de prendre juste soin de moi. Ce matin, j'ai plutôt répondu à l'appel du printemps et je suis sortie marcher tôt. Pendant que tout le monde courait, moi je flânais tranquillement au rythme ralenti de mes pas de convalescente. J'avoue avoir pris un certain plaisir à me sentir en dehors de la course folle de l'école ou du travail. J'ai pris le temps de regarder. De sentir. D'observer. D'être consciente. Et je me suis mirée dans les flaques d'eau qui sont partout à cause du dégel. Dans chacune, j'ai retrouvé un petit ou un gros tableau du monde. Mais le monde vu à l'envers. Ou brouillé. Ou sale. En tout cas, le monde vu autrement.


Ça m'a fait du bien de regarder la réalité sous un autre angle. Je n'ai pas encore de réponse. J'ai encore mal. Je continue à chercher. J'apprends à apprécier le bon côté de la paresse et du flânage, deux activités beaucoup trop négligées dans ma vie. Flaques-là... je vous laisse pour tout de suite!