mardi 27 mars 2012

Je le savais!

Oui, je m'en doutais bien que cet anachronisme climatique ne durerait pas. Alors, j'ai fait fi des gougounes, des shorts et des camisoles portés allégrement par les débonnaires congénères de mes environs. Seule, envers contre tous et toutes, j'ai continué à porter vaillamment un manteau, un foulard, un chapeau et des souliers avec des bas dedans. Parfaitement. J'ai refusé de croire au miracle jusqu'au déni de l'évidence. Même lorsque j'ai assisté contre ma volonté aux bains de soleil de nymphettes pressées d'avoir la peau ratatinée, je ne me suis pas débarrassée pour autant de ma petite laine. Même lorsque j'ai vu de soi-disant éphèbes se promener en bedaine, j'ai refusé d'abandonner mon chandail à manches longues.

Pourquoi cet entêtement, me demandez-vous? Parce que je savais que les bonnes choses ne durent jamais. À cadeau empoisonné donné, il ne faut pas par l'emballage se laisser berner. Je n'ai pas cinquante-six ans pour rien. Si j'ai appris une chose au cours du temps, c'est que Dame Nature nous fait souvent payer fort cher les largesses impromptues qu'elle nous balance à la tête sans crier gare. Et la voilà toute contente de nous voir nous prêter au jeu de l'été-est-déjà-arrivé-youppi. Mais pas moi. Non, Madelon! J'ai préféré suer à grosses gouttes plutôt que de me dévêtir imprudemment.

Et là, vous voyez bien que j'avais raison. Ça fait deux jours qu'il gèle à pierre fendre. Grelottant dans des vestes de coton trop minces et des pantalons capris trop courts, les nymphettes ont les lèvres bleuies par le froid. Plutôt que d'avoir le teint hâlé, elles ont la face toute rouge et ce n'est pas à cause du soleil. Les éphèbes, quant à eux, ont la pilosité de la poitrine couverte de frimas. C'est un spectacle assez désolant, merci. Tout ça n'est rien, cependant, quand on pense aux rhumes, grippes et bronchites qui attaqueront les estivaliers précoces. Rien de tout cela ne serait arrivé si on m'avait écoutée. Je le savais, moi, que les giboulées de mars n'étaient pas écartées. Je le savais, moi, qu'une hirondelle seule ne fait pas le printemps.

Allez, ne vous découragez pas. Pendant que vous allez passer les prochains jours à vous moucher, je suis certaine que Dame Nature va retrouver ses sens et son baromètre pour nous remettre à la température du jour : beau, mais frais. Rappelez-vous-en de grâce la prochaine fois où vous serez tentés de vous déshabiller inconsidérément pour vous laisser séduire par le mirage d'un faux été.
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Notes fauniques : J'ai eu des nouvelles de Pinpin, alias Fred. Comme je vous le disais dans mes derniers messages, je ne l'avais pas revu depuis un certain temps. Et pour cause. J'ai appris que sa propriétaire avait été retracée par les voisins compatissants qui le nourrissaient. Il semble que la dame en question, qui travaille de nuit (une information qui m'a été donnée sans que je ne sache trop ce à quoi elle sert dans toute cette histoire), avait perdu Pinpin et qu'elle avait abandonné la possibilité de le retrouver. Comment on arrive à perdre un lapin? Je me pose encore la question. Est-ce que Pinpin aurait été assez téméraire pour ouvrir lui-même la porte de sa cage et tenter une incursion dans le froid sibérien? J'en doute. Et pourquoi la propriétaire n'a pas poussé ses recherches quand elle a constaté l'amoncellement inhabituel de feuilles de laitue et de morceaux de carottes sur le balcon de ses voisins? J'en reste bouche bée. Me semble que cela m'aurait mis la puce à l'oreille. M'enfin. L'important, c'est que Pinpin a réintégré son foyer sain et sauf. Tout est bien qui finit bien.

dimanche 18 mars 2012

Poisson de mars

C'est l'Homme qui m'a suggéré ce titre pour illustrer l'aberration climatique dont nous sommes victimes ces jours-ci. En me relisant, je m'aperçois du mauvais choix de verbe utilisé dans ma dernière phrase. Je devrais plutôt dire "dont nous jouissons ces jours-ci". Car c'est bien de cela qu'il s'agit lorsqu'on peut déjà goûter à l'été qui s'en vient. Pas de printemps ici. Non, on saute directement au maillot de bain et aux gougounes.

N'empêche. J'entendais hier à la radio qu'il faut remonter à l'année 1946 pour enregistrer une température semblable. Dire que je n'étais même pas née! Par contre, les parents de l'Homme, eux, convolaient en justes noces. Se marier une année où l'on enregistre des records de chaleur, me semble que c'est de bon augure. En tout cas, cela n'a pas nui à mes beaux-parents qui sont restés unis pendant soixante ans pour le meilleur et pour le pire. Dur record à battre que celui-là, non?

Mais que je revienne au réveil de la nature. Comme c'est merveilleux de sentir le soleil nous chauffer les os! C'est là que l'on se rend compte à quel point l'hiver nous magane le "canayen". Pour ma part, j'ai l'impression d'avoir vécu avec les muscles tendus comme des cordes de violon depuis que le froid s'est installé. Pouvoir mettre le nez dehors sans sentir le blizzard m'a vraiment ragaillardie. Et je n'étais pas la seule! On aurait dit que tous, hommes et bêtes confondus, s'étaient donné le mot pour sortir de leur tanière en même temps.

Les hommes en grand nombre l'ont fait avec tambours et trompettes. Eh! oui, le retour du beau temps est aussi synonyme du retour de la musique qui joue à tue-tête pour l'ensemble du voisinage, de l'occupation du milieu de la rue par les véliplanchistes, du bricoleur du dimanche et de sa scie à chaîne, et, bien sûr, des motards de tout acabit qui pétaradent allégrement, fiers de défiler sur leurs bolides avant d'aller se stationner en bande au Tim Horton le plus près. J'ai en effet noté que ce resto, où l'on sert prétendument du café, constitue un lieu de rassemblement par excellence pour ces "sportifs" de cuir entièrement vêtus.

J'ai nettement préféré la sortie des représentants de la faune. Elle offrait beaucoup plus d'émotions fortes. Tout d'abord, Pinpin, dit Fred, a disparu. Il semble avoir pris la sortie rapide côté cour. En tout cas, ça fait quelques jours que je marche avec des branches de céleri et des feuilles de salade dans mes poches sans pouvoir les offrir à mon lagomorphe préféré.

Par ailleurs, les nouvelles sont meilleures côté bassin. Oui, oui, je vous le donne en mille : les espiègles sont revenus à la vie. Ma gang de dix-sept a survécu à sa période d'hibernation. Aujourd'hui, il restait un petit rond de glace au milieu de l'étang, mais cela n'empêchait pas mes poissons de s'aventurer au-delà de leurs quartiers d'hiver. Ils ont même tenté une pointe vers la partie médiane. En plus, je ne sais pas ce qu'ils ont mangé pendant leur soi-disant période de dormance, mais ils ont engraissé comme ce n'est pas possible. Mon bébé koï, seul représentant de son espèce, et que j'ai baptisé Tarzan-les-bobettes en raison de sa petitesse, est devenu un gros monstre blanc. Je sais, ce n'est pas la plus belle couleur pour une carpe japonaise. Il a la queue rouge, par contre, ce qui lui donne meilleure apparence.

Coup de théâtre en fin d'après-midi. Comme je m'approchais du bassin pour regarder avec attendrissement les premiers ébats de ma faune piscivore, qui est-ce que j'aperçois en train d'essayer de s'agripper à la toile gluante? OUIIIIII! C'était Gertrude! Ahlalala, je pensais bien qu'elle avait dû trouver refuge auprès de la bande d'espiègles mais je n'étais sûre de rien. En tout cas, elle n'a pas souffert d'inanition elle non plus. De jolie et mignonne batracienne, elle est pratiquement devenue une ouaouaronne! Je ne sais pas si c'est possible. Va falloir que je me renseigne sur les moeurs de ces bibittes pour lesquelles mes connaissances se limitaient jusqu'ici à la façon d'apprêter leurs cuisses!

Pendant que je devisais sur la nécessité ou non de trouver de la nourriture pour Gertrude, je me suis aperçue qu'il neigeait des plumes. C'est l'Homme encore une fois qui m'a refilé cette belle image pour désigner la chute subite de duvet virevoltant autour de nous. En levant les yeux pour voir de quoi il en retournait, nous avons eu droit au spectacle sordide de Lady Croquette, perchée sur une branche de notre érable, en train de dépecer le cadavre de ce que nous avons vainement tenté d'identifier. Cela semblait être un pigeon. Lady Croquette est une buse à queue rousse qui nous rend visite de temps à autre. La dernière fois, elle avait dégusté son repas, constitué d'un rongeur quelconque, sur le haut du poteau de téléphone au fond de la cour. Le problème avec Lady Croquette, outre le fait qu'elle soit un rapace, c'est qu'elle a de très mauvaises habitudes à table. Ainsi, elle s'attaque toujours violemment à son repas. Avec son bec crochu, elle a tôt fait de se débarrasser des poils ou des plumes en les précipitant avec vigueur du perchoir qu'elle a choisi pour se sustenter. Ensuite, elle tient fermement sa proie au moyen de ses serres et elle commence à se régaler. C'est là, habituellement, que nous avons des haut-le-coeur. En effet, voir la victime empalée se faire dévorer les entrailles par Lady Croquette ne devient pas un souvenir qu'on a ensuite envie de chérir pour le reste de sa vie. Cela constitue davantage un cauchemar qu'on voudrait oublier.

M'enfin. Devant mon inquiétude qu'un jour Lady Croquette s'attaque aux espiègles, l'Homme a rétorqué que je ne pouvais rien y faire. "C'est la loi de la nature", a-t-il affirmé d'un ton sentencieux. Un peu dépitée tout de même, je suis rentrée dans la maison pour apercevoir Mignonne postée devant la porte vitrée du balcon avant et très intéressée par ce qui se passait devant elle. Pensant que c'était l'un de mes bébés-ados minets qui venait chercher sa pitance, je me suis précipitée avec un plat rempli de bouffe à chats pour constater qu'il s'agissait plutôt d'un gros raton-laveur! Sans doute le même que l'année dernière. Celui à cause de qui nous avons dû acheter l'effaroucheur. Je vous l'ai dit : tous s'étaient donné le mot pour sortir de leur tanière.

Et c'est reparti. Le parc faunique est rouvert pour une autre saison.

mardi 13 mars 2012

Être hors de soi

Vous le savez peut-être ou pas, mais je suis à Montréal pour la semaine en compagnie de la soeur Psy. Ce que nous y faisons notamment, c'est d'assister à un spectacle tous les jours. Jusqu'à maintenant, nous avons ri avec un clown jongleur et équilibriste, avons réfléchi au sens de la vie avec un chirurgien en train de perdre la mémoire, avons vibré aux fins mots de deux auteurs-compositeurs-interprètes encore inconnus du grand public et avons frissonné sur les notes de trois oeuvres intensément émotionnelles. C'est notre premier ministre indifférent aux arts et à la culture qui serait médusé par notre désir jamais assouvi d'ouvrir nos horizons.

Ainsi, ce soir, musique et littérature se tenaient la main. De sa voix magnifique, le comédien Guy Nadon récitait des textes de Milan Kundera avant l'exécution de pièces par des musiciens de l'Orchestre symphonique de Montréal. J'aimerais vous partager cet extrait qui parle de l'extase :

L'extase signifie être "hors de soi", comme le dit l'étymologie du mot grec - action de sortir de sa position (stasis). Être "hors de soi" ne signifie pas qu'on est hors du moment présent à la manière d'un rêveur qui s'évade vers le passé ou vers l'avenir. Exactement le contraire : l'extase est l'identification absolue à l'instant présent, oubli total du passé et de l'avenir. Si on efface l'avenir ainsi que le passé, la seconde présente se trouve dans l'espace vide, en dehors de la vie et de sa chronologie, en dehors du temps et indépendante de lui. (...)

On est habitués à lier la notion d'extase aux grands moments mystiques. Mais il y a l'extase quotidienne, banale, vulgaire : l'extase de la colère, l'extase de la vitesse au volant, l'extase de l'assourdissement par le bruit, l'extase dans les stades de football. Vivre, c'est un lourd effort perpétuel pour ne pas se perdre soi-même de vue, pour être toujours solidement présent dans soi-même, dans sa stasis. - Les Testaments trahis, 1993.


Je retiens deux choses : l'importance de la conscience totale du moment présent et la possibilité de vivre l'extase sans avoir nécessairement à se transformer en Marie de l'Incarnation. Alors, à quand remonte votre dernière extase? Moi, ce soir, en écoutant certains passages du trio avec piano de Bedrich Smetana, j'ai senti monter la force de l'émotion et j'ai pleinement savouré mes tremblements intérieurs. Faut dire que j'avais lu dans le programme que Smetana avait composé ce morceau à la suite de la mort de sa fille de quatre ans. Disons que mon attention était déjà prédisposée.

Je pense qu'il faut avoir au moins une extase par jour. Me semble que ce n'est pas trop demander que de se sentir régulièrement transporter hors de soi. Vous trouvez que j'exagère? Pourtant, c'est à votre portée, j'en suis certaine. Commencez seulement par respirer le fond de l'air et repérez l'odeur du printemps qui s'annonce. Vous souriez? C'est l'extase.

Vous vous promenez dans un parc. Il fait soleil. Un banc vous tend les bras. Vous cédez à la tentation et vous y passez un bon bout de temps à ne rien faire. Ou plutôt à y faire la paresse comme le lézard. C'est l'extase.

Vous marchez longtemps dans les rues de la ville. Vous errez pour le pur plaisir de sentir la vie autour de vous. Vous vous arrêtez à un resto pour déguster un café moka. Il est fait avec du vrai bon chocolat. Vous léchez la mousse du lait qui s'est déposée tout autour de votre bouche. Comme c'est bon. C'est l'extase.

Il suffit de se connecter à soi. D'être bien ancré dans le moment présent. D'ouvrir grand les yeux et les oreilles. Sans oublier de respirer, bien sûr, longuement et doucement. Vous verrez alors comme c'est facile de se laisser toucher, puis transporter hors de soi pour ce bref, mais intense moment qu'on appelle l'extase. Puissiez-vous être extatique tous les jours de votre vie!

jeudi 8 mars 2012

Le meilleur pouding chômeur

Vous connaissez sans doute ce délicieux gâteau dont le nom seul fait saliver l'Homme. Eh! oui, c'est son dessert préféré. Curieux êtes-vous peut-être d'en savoir plus sur ses origines? Voici ce que j'ai trouvé dans un article tiré du journal Le Devoir :

Selon la légende, ce dessert aurait vu le jour au cours de la crise économique des années 30. À l'époque, Georgette Falardeau, femme de Camilien Houde, maire de Montréal, aurait imaginé cette gâterie afin de permettre aux femmes d'ouvriers de réconforter, avec une bonne dose de cassonade, leur mari touché par les mises à pied. D'où son nom : pouding chômeur, ou pouding au chômeur, selon l'humeur.

Composé d'ingrédients bon marché (farine, graisse, lait et cassonade), le plat aurait alors connu une popularité fulgurante dans les quartiers populaires de la métropole avant de se répandre, avec du sirop d'érable quand les beaux jours seraient alors revenus, sur l'ensemble du territoire et dans toutes les strates de la société.


Pourquoi je vous parle de ça? Parce que c'était aujourd'hui que nous cuisinions ce gâteau pour la clientèle de la Soupière. Depuis hier que j'étais énervée. C'était ma recette qu'on allait utiliser, recette qu'il fallait bien évidemment multiplier pour être en mesure de servir tout le monde. Ce n'est pas moi qui étais responsable des calculs, fort heureusement. J., notre chef responsable de la production, avait déterminé que nous devions faire neuf fois la recette. Je n'arrivais pas à imaginer comment nous allions brasser une telle quantité de pâte!

Je devais être au poste à 8 h ce matin. Quand je suis arrivée, J., en compagnie d'une autre bénévole, avait déjà mis le sirop sur le feu. Après m'être coiffée de mon nouveau chapeau d'apprentie cuisinière (il faut comprendre ici que le chapeau, à la Soupière, c'est comme une sorte d'intronisation) et nouée un tablier autour de la taille, je suis allée rejoindre mes compagnons. Nous avions trois gros plats à remplir. Nous avons dû casser 18 oeufs et mesurer entre autres 9 tasses de sucre, 13 tasses de farine, 22 cuillères à thé de poudre à pâte et 6 tasses de lait. Imaginez seulement l'immense bol dans lequel nous avons préparé notre mélange! Et ce n'est rien. Oubliez ici le petit malaxeur de maison. Quand J. est arrivé avec la machine industrielle, je n'en croyais pas mes yeux. Je vous le dis, il faut un permis pour avoir le droit d'opérer ce monstre!

Une fois la préparation divisée dans les plats, J. les a mis tous en même temps dans le four où l'on fait cuire les muffins pour les petits déjeuners. Une autre révélation pour l'apprentie que je suis : ce four cuit à une vitesse vertigineuse. À la mi-cuisson, il faut tourner les plats. J'étais comme une enfant tellement j'étais excitée. Quand J. a sorti les gâteaux du four, je n'avais qu'une envie : y goûter tout de suite. J'avais d'ailleurs la cuillère à la main. Mais je n'ai pas eu le droit. Je devais patienter jusqu'à midi.

Ah! ce que ça sentait bon dans la salle à manger, surtout que S. avait préparé de la lasagne pour le dîner. Avec ma compagne cuisinière, nous avons été mandatées par J. pour servir le dessert aux bénéficiaires. Quelle excellente idée! Il me semble que j'ai encore plus profité du plaisir d'avoir cuisiné un dessert maison en le distribuant aux dîneurs.

Le meilleur pouding chômeur? C'est celui que l'on fait dans une grande cuisine en s'amusant. C'est celui que l'on partage ensuite pour offrir une petite douceur. Enfin, c'est celui que l'on mange en se faisant taquiner et traiter de tartes!!! C'est le surnom dont F. et moi avons été affublées par S. : les deux tartes. À ce jour, il prétend que nous avons mal interprété ses paroles. Ouais, ouais, ils disent tous ça!

vendredi 2 mars 2012

Faim de la fin ou Fin de la faim?

Pas de Pinpin, alias Fred, aujourd'hui. Pas de bébés minets non plus. Seulement la maman. Et pas de dépannage alimentaire. Sauf pour bibi.

Je suis debout depuis 5 h ce matin. Je suis retournée au centre Bonséjour (quel nom ironique tout de même, mais j'imagine que c'est mieux que Dernierséjour!) pour servir le brunch. J'ai aimé plus que la dernière fois. Serait-ce parce que je m'habitue à la détresse humaine? Je préfère plutôt croire que je trouve agréable de reconnaître les visages et de commencer à me rappeler des petits caprices culinaires de chacun. En tout cas, c'est sûr que je ne pourrais pas travailler dans un resto. J'oublie à la vitesse de l'éclair les commandes que je prends. Ainsi, après avoir demandé à une vieille dame fort sympathique et pas du tout confuse si elle voulait un jus d'orange ou de pruneau, un café et avec quoi dedans, des oeufs brouillés, au miroir ou tournés, et des rôties au pain blanc ou au pain brun, je me suis retournée vers le cuisinier pour passer ma commande et là, pouf, tout s'était envolé. Je le regardais béatement, pour ne pas dire bêtement, perdue dans mon trou de mémoire. J'ai été obligée de recommencer mon questionnaire au complet. Si ça continue, c'est moi qui vais me retrouver sur une chaise avec une bavette au cou en train de me faire servir le déjeuner par des bénévoles compatissants. Je devrais d'ailleurs peut-être songer à me mettre sur la liste d'attente au cas où...

Plus tard dans l'après-midi, j'avais rendez-vous avec le Sondeur d'âme. Cela m'a fourni l'occasion de réfléchir sur la poursuite inlassable que j'ai entreprise de la faim et de la fin. J'ai en effet été frappée cette semaine par l'attention que je porte à la bouffe depuis que je suis à la retraite. Quand je ne suis pas en train de cuisiner, je nourris tout ce qui bouge, du lapin aux chats et des bénéficiaires aux bénévoles. Paradoxalement, j'arrive difficilement à digérer. Les morceaux sont trop gros : le nid vide et la retraite vers le centre Bonséjour. C'est LA chose que je n'arrive pas encore à accepter dans ce tournant de vie. J'adore avoir mon temps à moi pour le savourer à mon rythme en faisant des choses que j'aime. Cela a toutefois un prix fort élevé : la constatation que je m'achemine vers l'urne fatale.

Déprimée, vous pensez que je suis? Pas toujours. La plupart du temps, en fait, je suis rayonnante comme on me l'a fait remarquer d'ailleurs pas plus tard que la semaine dernière. Faut croire que j'arrive à transcender les sombres pensées de destruction massive que j'entretiens. Tenez là, par exemple, je tape sur Zola avec la Reine-Marguerite qui s'est installée confortablement à côté de moi et qui ronronne très très fort. Elle a réussi à voler la place à Mignonne. Est-ce que je songe en cet instant à ma fin dernière? Pas vraiment. Je pense plutôt aux trois bons fromages que j'ai achetés chez Philouze et au petit festin que je m'offrirai demain matin. Oui, j'ai un creux. Dans l'estomac cette fois et pas dans le coeur. L'un se comble, l'autre s'apprivoise.

jeudi 1 mars 2012

S'occuper à tout et à rien

Hier, entre deux appels pour le dépannage, je parcourais une petite revue qui présente différentes ressources mises à la disposition des gens de la région pour assurer le bien-être dans toutes ses dimensions. J'aime bien y jeter un oeil de temps à autre pour me garder à l'affût de nouveaux projets ou services. Je suis souvent étonnée de constater l'éventail des activités et des techniques proposées, dont certaines me semblent particulièrement étranges. Loin de moi cependant l'idée de me prononcer sur leur efficacité. Après tout, je suis moi-même plutôt partisane des approches douces.

Ainsi, la Méthode de libération des cuirasses a retenu mon attention. C'est le nom bien sûr qui m'a intriguée. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai tout de suite imaginé des chevaliers ensevelis sous leurs armures faisant la file pour qu'on les soulage du poids de leur attirail. Je n'étais pas si éloignée de la vérité. Il s'agit en fait d'une approche visant à libérer le corps des tensions musculaires qu'il a accumulées au fil des ans et qui l'empêchent de s'exprimer librement. Cela correspond bien à l'image des cuirasses. Curieuse, j'ai fait une recherche sur la Toile pour constater que la Méthode est répertoriée dans le site de Passeport Santé sous la rubrique des approches complémentaires. J'y ai appris que c'est au moyen de l'imagerie mentale et d'exercices inspirés de l'anti-gymnastique qu'on prend conscience des tensions et qu'on travaille à s'en départir. Pas si étrange que ça finalement.

En poursuivant ma lecture, j'ai appris qu'il existait un club de rire habilement baptisé AHA. Je ris déjà. Plus loin, je constate que je pourrais aussi avec le Cercle des fermières me lancer dans l'apprentissage de techniques me semble-t-il en voie de disparition comme la broderie de Beauvais, la carte en quilling (création de motifs à l'aide de petites bandes de papier enroulées), la broderie sur le tissu Monk (je n'ai pas réussi à trouver ce que c'était exactement à part le fait que le tissu se vend chez Walmart!!!), la peinture sur bois, la lavette en chutes de métier et la fameuse dentelle de Bruges. Comme je m'interrogeais tout haut sur l'à-propos de me lancer dans la broderie ou la dentelle, S., une autre bénévole, m'a répondu tout de go : "Tu devrais continuer avec les biscuits au beurre d'arachide." C'est noté. Je ne prends pas l'aiguille et je garde la cuillère en bois.
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Notes pédestres : J'ai marché en fin d'après-midi pendant que le mauvais temps se préparait. Le vent soufflait fort dans les arbres. Je retrouvais presque ma peur d'enfant quand je l'entendais passer près de moi en sifflant. J'ai repéré Pinpin, alias Fred, près de la remise qui lui sert de refuge. Sans doute qu'il sentait la tempête dans l'air et qu'il ne voulait pas trop s'éloigner. Je lui ai lancé les branches de céleri que j'avais apportées. Il les a englouties à pleine vitesse. Décidément, il aime le vert. Je suis revenue à la maison juste à temps pour nourrir maman et ses bébés chats qui, eux aussi, surveillaient nerveusement la tension monter dans l'air. Le vent, non content de leur hérisser le poil sur le dos, créait des bruits qui les apeuraient. Ils regardaient partout se demandant si le ciel n'était pas en train de leur tomber sur la tête. La vie dehors, sans abri, ce n'est vraiment pas de tout repos.