mardi 13 mars 2012

Être hors de soi

Vous le savez peut-être ou pas, mais je suis à Montréal pour la semaine en compagnie de la soeur Psy. Ce que nous y faisons notamment, c'est d'assister à un spectacle tous les jours. Jusqu'à maintenant, nous avons ri avec un clown jongleur et équilibriste, avons réfléchi au sens de la vie avec un chirurgien en train de perdre la mémoire, avons vibré aux fins mots de deux auteurs-compositeurs-interprètes encore inconnus du grand public et avons frissonné sur les notes de trois oeuvres intensément émotionnelles. C'est notre premier ministre indifférent aux arts et à la culture qui serait médusé par notre désir jamais assouvi d'ouvrir nos horizons.

Ainsi, ce soir, musique et littérature se tenaient la main. De sa voix magnifique, le comédien Guy Nadon récitait des textes de Milan Kundera avant l'exécution de pièces par des musiciens de l'Orchestre symphonique de Montréal. J'aimerais vous partager cet extrait qui parle de l'extase :

L'extase signifie être "hors de soi", comme le dit l'étymologie du mot grec - action de sortir de sa position (stasis). Être "hors de soi" ne signifie pas qu'on est hors du moment présent à la manière d'un rêveur qui s'évade vers le passé ou vers l'avenir. Exactement le contraire : l'extase est l'identification absolue à l'instant présent, oubli total du passé et de l'avenir. Si on efface l'avenir ainsi que le passé, la seconde présente se trouve dans l'espace vide, en dehors de la vie et de sa chronologie, en dehors du temps et indépendante de lui. (...)

On est habitués à lier la notion d'extase aux grands moments mystiques. Mais il y a l'extase quotidienne, banale, vulgaire : l'extase de la colère, l'extase de la vitesse au volant, l'extase de l'assourdissement par le bruit, l'extase dans les stades de football. Vivre, c'est un lourd effort perpétuel pour ne pas se perdre soi-même de vue, pour être toujours solidement présent dans soi-même, dans sa stasis. - Les Testaments trahis, 1993.


Je retiens deux choses : l'importance de la conscience totale du moment présent et la possibilité de vivre l'extase sans avoir nécessairement à se transformer en Marie de l'Incarnation. Alors, à quand remonte votre dernière extase? Moi, ce soir, en écoutant certains passages du trio avec piano de Bedrich Smetana, j'ai senti monter la force de l'émotion et j'ai pleinement savouré mes tremblements intérieurs. Faut dire que j'avais lu dans le programme que Smetana avait composé ce morceau à la suite de la mort de sa fille de quatre ans. Disons que mon attention était déjà prédisposée.

Je pense qu'il faut avoir au moins une extase par jour. Me semble que ce n'est pas trop demander que de se sentir régulièrement transporter hors de soi. Vous trouvez que j'exagère? Pourtant, c'est à votre portée, j'en suis certaine. Commencez seulement par respirer le fond de l'air et repérez l'odeur du printemps qui s'annonce. Vous souriez? C'est l'extase.

Vous vous promenez dans un parc. Il fait soleil. Un banc vous tend les bras. Vous cédez à la tentation et vous y passez un bon bout de temps à ne rien faire. Ou plutôt à y faire la paresse comme le lézard. C'est l'extase.

Vous marchez longtemps dans les rues de la ville. Vous errez pour le pur plaisir de sentir la vie autour de vous. Vous vous arrêtez à un resto pour déguster un café moka. Il est fait avec du vrai bon chocolat. Vous léchez la mousse du lait qui s'est déposée tout autour de votre bouche. Comme c'est bon. C'est l'extase.

Il suffit de se connecter à soi. D'être bien ancré dans le moment présent. D'ouvrir grand les yeux et les oreilles. Sans oublier de respirer, bien sûr, longuement et doucement. Vous verrez alors comme c'est facile de se laisser toucher, puis transporter hors de soi pour ce bref, mais intense moment qu'on appelle l'extase. Puissiez-vous être extatique tous les jours de votre vie!

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