samedi 20 avril 2024

Quand on a faim de nourrir le monde

 


J'attends que la prochaine plaque de biscuits soit prête à sortir du four. C'est samedi biscuits! Des biscuits d'allaitement (habilement rebaptisés "biscuits énergie" pour éviter que certains pensent vivre une montée lactifère après y avoir goûté), biscuits donc que je cuisine régulièrement pour des mamans de mon entourage. Et toute autre personne que je décide de nourrir comme ça, parce que je ne peux tout simplement pas m'en empêcher.

Je ne sais plus trop quand j'ai commencé cette habitude de vouloir nourrir le monde. Peut-être quand le Fils est parti pour l'université? Oui, je pense que c'est là que tout a débuté. Je voulais tellement qu'il mange "santé" et je savais trop bien que, même s'il était un bon cuisinier, il n'aurait pas de temps à consacrer aux fourneaux. Alors, je congelais tout : soupes et potages, plats cuisinés, muffins et biscuits. Quand nous allions le visiter à Montréal, je remplissais littéralement son congélo. L'Homme se moquait gentiment de moi en me regardant accumuler avec frénésie petits et grands plats. Mais, bon, ça me faisait du bien de savoir que je contribuais à sa réussite scolaire en lui permettant d'avoir toujours un repas nourrissant à faire réchauffer.`

Même après la fin de ses études, j'ai continué à faire congeler des muffins pour le Fils. Il y en a eu aussi pour la Fille quand ce fut son tour de quitter la maison. J'aimais ça quand ils venaient nous rendre visite les voir repartir avec leurs petits sacs de muffins. Je réalise maintenant qu'ils emportaient ainsi un peu de moi. Cela m'a pris du temps mais j'ai bien dû me rendre à l'évidence à un moment donné : mes muffins ne suscitaient plus grand intérêt auprès de ma progéniture. Mais moi, j'avais toujours envie de cuisiner et de faire plaisir. Alors, le bénévolat est venu à ma rescousse.

J'ai commencé à cuisiner d'abord pour les employés et les bénévoles de la Soupière de l'amitié. Grand succès, évidemment. Mais comme j'étais dans cet organisme pour aider les personnes démunies du quartier, j'ai vite décidé que c'était là que je devais plutôt consacrer mes efforts. Pendant un bon bout de temps, j'ai fait des desserts pour Itinérance Zéro : 60 muffins toutes les deux semaines! J'avais choisi les muffins parce que je trouvais que c'était plus facile d'avoir ainsi des portions équilibrées. Couper un gâteau de belle façon, ce n'était pas dans mes talents. Pendant cette période, j'ai essayé toutes sortes de recettes ne voulant pas constamment refaire les mêmes. J'ai dû entre autres me perfectionner dans les muffins et les desserts aux bananes car Itinérance Zéro en recevait des caisses! Je mettais les fruits dans des sacs au congélo et je partais à la recherche d'une autre façon de les transformer en petits gâteaux, carrés ou biscuits. 

J'ai toujours essayé de cuisiner selon les saisons et je le fais encore. Alors, il y a des périodes où je me consacre aux fraises, aux bleuets, aux framboises, aux courgettes, aux carottes, etc. À l'automne, c'est sûr que je prépare ma purée de citrouille. Pas question d'utiliser un mélange tout fait!! De toute façon, ça ne goûte pas aussi bon. J'essaie toujours de découvrir de nouveaux ingrédients en plus des nouvelles recettes. L'année dernière, j'ai eu un coup de coeur pour le millet après avoir savouré un pain au citron qui en contenait. Je me confesse : je ne connaissais pas du tout le millet dans la cuisine. J'ai donc reproduit la recette qui m'avait séduite et j'ai rapidement trouvé une recette de biscuits aux framboises avec du millet. Un vrai délice! 

Plus récemment, grâce aux nouvelles mamans, j'ai découvert la levure de bière, ingrédient essentiel dans les biscuits d'allaitement. J'aime ça répondre à la demande. Et aussi, j'aime provoquer la demande. Rien ne me fait davantage plaisir que de trouver un nouveau client. À la Popote roulante, je gâte les bénévoles tous les mardis lesquels sont maintenant désignés comme étant les "Mardis Merveilleux Muffins" ou, plus simplement, les MMM. L'Homme me trouve parfois intense quand je recrute des adeptes. C'est que je veux tellement apporter du bonheur autour de moi. Alors, je garde l'oeil et le coeur ouverts et j'offre mes créations à des personnes moins nanties et pas équipées pour cuisiner, à d'autres qui sont seules ou malades, à certaines qui travaillent fort et ne sont pas toujours remarquées, bref, à tout le monde à qui je peux faire plaisir.

Ce que je trouve difficile c'est quand on arrive à me faire sentir coupable de cuisiner des desserts. Je sais que ce n'est pas nécessairement le meilleur aliment pour la santé bien que je m'efforce d'utiliser les ingrédients les plus naturels possibles. Je n'hésite pas à inclure de la farine de blé entier, de la farine d'avoine, des graines de lin ou de tournesol, des noix, des fruits. Mais c'est sûr que ce ne sont pas des muffins qui respectent les standards "diététiques" de la bonne alimentation. En même temps, je ne force la main (ni la bouche) de personne. Et je comprends parfaitement que l'on préfère passer outre pour éviter d'ingérer des calories inutiles. 

Je m'inquiète quand même parfois de ce désir intense de donner de la nourriture. On dirait qu'il augmente avec le temps qui passe. De fait, je constate que plus ça va mal dans le monde, plus je cuisine. Je pense que c'est ma façon de gérer l'anxiété qui me ronge devant les images horribles de la guerre et l'absence totale d'empathie de ceux qui pourraient changer le cours des choses. Je ne suis pas un travailleur humanitaire, loin de là, mais c'est ma manière de panser des blessures et d'apporter un peu de réconfort aux gens que je croise. 

Quand j'offre un muffin, je donne une partie de mon coeur et je viens témoigner de l'amour que je porte au monde. Oui j'ai faim de partage et de solidarité. Alors, comment arriver à nourrir un monde qui s'enlise toujours plus dans la violence et la cruauté? Pour moi, c'est un muffin à la fois.




samedi 20 janvier 2024

C'est assez!


Comme je le fais depuis quelques années déjà, j'ai feuilleté des magazines pour découvrir les mots ou les images qui me parlent en ce début de 2024. Je les utilise ensuite pour faire un collage en lieu et place des traditionnelles résolutions. C'est un truc de psy et je trouve que ça fonctionne super bien. C'est très révélateur en fait. Par exemple, j'ai immédiatement découpé C'est assez! Deux mots et un point d'exclamation. Ils me collent à la peau. Ils me hantent la tête. Pourquoi? Oui, assez de quoi au juste? Cela me turlupine depuis plus d'une semaine. 

Autour de ces deux mots que j'ai collés en plein milieu de mon carton rose, j'ai ajouté deux phrases : Je me renforce de l'intérieur et Je me mets sur pause. Si je comprends bien, je travaille à m'améliorer mais... en relaxant. On va dire plutôt en prenant soin de moi. En y allant mollo. Faut dire que ça prend du temps pour se construire des bases solides, pour se sentir en confiance, pour être forte dans l'adversité, pour savoir se respecter et prendre des décisions en fonction de ses valeurs. Ouais, des valeurs qui, à raison, ne sont pas nécessairement et j'ajouterais rarement celles des autres. Nos valeurs nous sont propres. Des fois, elles rejoignent l'air du temps mais vraiment pas toujours. Alors, faut se tenir debout, expliquer des fois, se justifier (je déteste), pleurer (je déteste encore plus) et se mettre sur pause pour prendre un pas de recul et réfléchir.

Sur mon carton, il y a aussi des aînés qui se tiennent par les épaules et des mains empilées les unes sur les autres en signe de solidarité et de partage. Les aînés regardent en avant, ils sont debout, tournés vers ce qui s'en vient. Parce que je fais partie du lot maintenant, je suis davantage à l'écoute de ce besoin que je ressens plus viscéralement d'être unis pour affronter le "bel âge", expression souverainement détestée par maman qui ne voyait pas ce qu'il y avait de beau à tomber en décrépitude. J'avoue que je partage souvent son point de vue. Même quand la santé est au rendez-vous, il y a quand même toujours des morceaux qui grincent. D'où l'importance de fréquenter régulièrement, mais pas exclusivement, des modèles de notre âge. En effet, cela permet notamment de vérifier la véracité du vieil adage qui prétend que quand on se compare, on se console! Je rigole un peu là. Pour dire les choses comme elles sont, cela me rassure et me fait un bien immense d'échanger avec des gens qui ont des repères semblables aux miens. Tout d'un coup, je ne suis plus cette vieille chose qui ne comprend rien à l'intelligence artificielle et je deviens une rebelle qui persiste et signe à lire un journal en papier!! Voilà que je ne suis plus une mère qui n'arrive pas à se remettre du nid vide mais plutôt une femme qui a aimé de tout son coeur et qui se languit de sa progéniture. Ben oui, je suis comprise. Je me retrouve avec des gens qui partagent le même langage que moi. Maudit que c'est trippant ce merveilleux sentiment de ne plus être considérée juste comme une fatigante mais comme une personne qui a encore des projets et qui rêve toujours d'un monde plus juste où règnent la solidarité, le partage, la douceur et la joie.

Parlant de monde, à la gauche de mon carton, j'ai collé une image de notre pauvre vieille Terre entourée de ruines avec au-dessus le mot Survivre. Voilà tout un défi pour une époque pas joyeuse du tout. J'ai un malaise persistant, né pendant la pandémie, d'assister à la fin du monde. Des fois je me sens presque soulagée à la pensée que je vais mourir avant de voir notre Terre bafouée, défigurée, détruite à tout jamais. Et puis, je suis fatiguée d'entendre les mêmes discours, les cassettes répétées à l'infini, les fausses promesses, les semblants de vérités, les explications boiteuses, les excuses pas sincères du tout et je n'en peux plus d'être prise littéralement pour une conne. Comme si je n'avais pas déjà entendu tout ça des milliers de fois en soixante-huit ans de vie. J'attends encore des résultats. Dans le fond, pourquoi vouloir à tout prix survivre à ça? Je ne sais même plus pourquoi je m'entête à me tenir au courant des actualités. J'espère vainement voir se réaliser au moins un projet, être témoin d'au moins une chose qui fonctionne bien. Hélas, cela semble peine perdue.

Alors, il devient plus clair mon cri de ras-le-bol. C'est assez d'attendre d'être acceptée pour ce que je suis. Et c'est assez d'attendre que les choses s'améliorent dans notre société égocentrique. Je me souhaite donc, pour 2024, de m'aimer inconditionnellement (qui m'aime me suive) et de continuer à prendre soin des autres. Du mieux que je peux. Tout ça en poussant, mais en poussant égal.