lundi 20 novembre 2023

Vaut-il mieux en rire qu'en pleurer?

"T'as vu, j'ai publié un nouvel article dans mon blog?", que je dis à l'Amie A. "Non", qu'elle me répond. "Est-ce qu'il est drôle?", ajoute-t-elle. "Pas vraiment", que je suis obligée de lui avouer. "Pourquoi?" que je demande. "Parce que moi j'aime ça quand tu es drôle". Ouais. Ça s'adonne que moi aussi je m'aime mieux quand je suis drôle. Je n'ai pas osé lui dire que je me suis rendue compte depuis un bon bout que, même si j'ai toujours le sens de l'humour, je ne trouve plus grand chose pour me dilater la rate.

Ainsi, devant ce constat déprimant, avais-je déjà décidé la semaine dernière de me concocter une affiche pour tenter de retrouver et, pourquoi pas, découvrir des sources de bonne humeur et de joie de vivre. "Tu vas voir", que j'ai annoncé à l'Homme un beau matin, "ça va nous remonter le moral de prendre conscience des activités qui nous font du bien". Un peu récalcitrant quand même car il me trouve toujours  trop intense, l'Homme propose néanmoins d'ajouter au-dessus des deux bonshommes sourire que je viens de dessiner la mention "Les joyeux troubadours de Charlesbourg". J'adore ça quand il s'enthousiaste pour mes projets farfelus. 

Ça fait donc une semaine que notre baromètre du rire est installé sur le mur de la salle à manger. Nous avons l'ambition de trouver au moins 25 choses qui nous font du bien d'ici Noël. Nous en avons inscrit 4 jusqu'à maintenant. Nous sommes en panne de rigolade depuis quelques jours. Faut mentionner que, désespérés de ne rien observer de probant, nous nous sommes même résolus un matin à chercher des sites de blagues plates sur Internet. On ne riait pas trop au début mais, à force de lire des stupidités, l'éclat de rire est venu : mission accomplie! Un autre jour, j'ai proposé à l'Homme de faire de la rigolothérapie. Nous voilà tous les deux forçant nos rires dans une tentative extrême de sécréter les endorphines bienfaisantes. C'était une tentative avortée, dirais-je, aussi j'ai pris la décision de ne pas l'ajouter au tableau. Malheur aux joyeux troubadours, toujours en panne de facéties.

Je ne comprends pas trop pourquoi je ne ris pas étant donné que le monde qui m'entoure ne cesse de me fournir une abondance de matériel absolument hilarant. Par exemple, comment oublier le jour où une ministre bien connue est arrivée avec une grosse pile de cartables pour nous annoncer, sans rire elle, que le troisième lien, ben, c'est pas viable. Les études le prouvent et elle les a toutes lues. On passe enfin à un autre appel. Elle a vu la lumière au bout du tunnel! Pas si longtemps plus tard, toujours dans la même galaxie, son cheuf, qui a perdu une élection aux mains de rivaux autrefois ses alliés, nous annonce solennellement qu'il faut absolument un troisième lien et ça presse! Au diable les études, elles étaient sans doute faussées et mal interprétées. Les revirements dans ce dossier, les études innombrables réalisées, les fonds dépensés, les débats stériles et interminables, tout cela relève du plus pur vaudeville. Je devrais me tordre de rire. Pourquoi diable ai-je juste envie de crier mon écoeurantite aigue?

Comme si ce n'était pas assez, voilà que le même cheuf, toujours en train de bouder sa défaite, décide que l'autre projet de transport en commun, le fameux tramway pour ne pas le nommer, ben c'est 
peut-être pas ce qu'il faut pour Québec. Alors, on remet les compteurs à zéro. On va refaire des études. On va confier le dossier à quelqu'un d'autre et tant pis si on perd un autre six mois, les fonds promis par le fédéral et tout l'argent déjà investi dans les travaux préparatoires et autres aspects du dossier. C'est vraiment drôle ça, non? En mon for intérieur, je suis absolument convaincue que je vais être morte avant de voir un seul rail installé. 

Mais poursuivons dans l'hilarité politique et la déconnexion totale de nos représentants avec la réalité du petit peuple. Ce dernier, on le sait, se satisfait simplement de pain et de jeux. Après avoir prédit une période économique difficile, le grand argentier du cheuf frustré se reprend quelques jours plus tard en distribuant des millions de dollars à des milliardaires pour venir jouer au hockey pendant deux semaines dans l'éléphant blanc construit à grands frais pour une équipe fantôme. Vous avez déjà de la difficulté à reprendre votre souffle devant cette immense blague, que dire du fait que l'annonce a été faite devant une banque alimentaire où des personnes font la file quotidiennement pour arriver à se mettre quelque chose dans le ventre. J'ajoute à la farce en rappelant que les banques alimentaires n'ont pas eu l'argent demandé dans le dernier budget présenté par le cheuf et que le montant refusé correspond pas mal à la "subvention" accordée aux riches patineurs. Si ça, ce n'est pas tordant, je ne sais pas ce qu'il vous faut pour vous dérider!

Trois petits exemples donc qui me causent colère et découragement. J'aime mieux ne pas penser aux augmentations des députés et au refus d'offrir des conditions décentes aux profs, infirmières et employés de l'État. Cela me déprime totalement. Je me rabats sur notre système de santé où malades et personnes soignantes sont tous en train d'y laisser leur peau. Un autre beau sujet. Je passe sous silence les guerres et les images atroces qui abreuvent quotidiennement nos écrans. 

Je sais que je ne peux pas porter le sort du monde sur mes épaules. Je sais que je ne peux empêcher la maladie de frapper. Je sais aussi que mes valeurs familiales sont désuètes et qu'elles doivent être rafraîchies à la sauce de la nouvelle modernité que je ne comprends pas toujours et qui, franchement, me cause elle aussi souvent une écoeurantite aigue. Tout cela m'empêche donc parfois de rire. Oui, car il arrive trop souvent que la conscience de tout ce qui va mal s'empare de mon esprit et que la joyeuse troubadour, au lieu de s'esclaffer, s'effondre en pleurs. Qu'à cela ne tienne, je vais le remplir mon tableau et je crois que, pour arriver à mon objectif, je vais dorénavant y inscrire la bêtise humaine. En moins de temps qu'il n'en faut pour rire, j'aurai le sourire du clown... triste.


 Merci l'Amie A. qui m'a inspiré ce texte.

samedi 18 novembre 2023

La porte fermée

Je frappe plus fort. Pour la troisième fois au moins. Je commence à avoir peur de déranger les voisins. Mais il n'y a toujours pas de réponse. Je commence à m'inquiéter. Bon, ce n'est pas la première fois qu'un client de la Popote roulante ne répond pas lorsque je vais livrer. Les raisons sont multiples et, pour la plupart du temps, anodines. La personne s'est endormie devant la télé qui joue trop fort et elle n'entend ni cognement, ni sonnerie. Ou elle s'est recouchée après une mauvaise nuit. Des fois, elle a oublié qu'elle avait un rendez-vous médical et n'a pas annulé son repas. Plus simplement, il arrive aussi qu'elle ne se rappelle juste pas que c'est jour de Popote et elle a décidé de sortir à l'heure où nous livrons habituellement.

Devant la porte toujours muette, je me demande quoi faire. Dans le cas qui m'occupe, il s'agit d'une personne seule, très fragile. De plus, sa porte n'est d'ordinaire pas barrée. Mais pas aujourd'hui. J'ai essayé la poignée qui refuse obstinément de tourner et de me laisser entrer en poussant le bonjour le plus enjoué dont je suis capable. Oui, je dois souvent penser à prendre un ton gai et à m'accrocher un sourire aux lèvres. Car il y a des jours où ce n'est pas la situation précaire de plusieurs des personnes aidées qui me préoccupe mais bien mon moi intérieur anxiogène qui a pris trop de place. Dans ce temps-là, mon jovial bonjour est davantage réfléchi, moins spontané. Mais même quand je suis submergée par mes émotions, je m'efforce d'offrir un moment agréable aux personnes à qui je vais porter les repas. Souvent même leur résilience vient mettre un baume sur mon âme écorchée. Comme j'en ai encore à apprendre! Et ces belles leçons d'humanité que j'ai la chance de recevoir régulièrement me donnent encore plus d'élan pour poursuivre ma mission. Alors, bien que le moment passé avec ces magnifiques personnes soit court, je trouve important qu'il soit le plus significatif possible. Moi j'ai la chance d'avoir l'Homme, ma famille, des amis autour de moi. Je peux encore faire des activités pour me changer les idées, notamment marcher et faire du yoga. Malheureusement, ce n'est pas le lot de la majorité de nos clients. Conclusion : si je suis la seule personne dont ils verront la face dans la journée, aussi bien que je sois à la hauteur. 

Je suis toujours devant la porte. Je fixe les chiffres qui y sont apposés. Je suis bien au bon étage et au bon appartement. Pourquoi diable est-ce que je n'entends rien à l'intérieur? Devrais-je vous faire fi des scénarios catastrophes dont mon esprit créatif et prompt à la panique s'est déjà rempli? Et si la personne était tombée depuis plusieurs heures, incapable d'attraper le téléphone pour demander de l'aide? Ou bien, elle a eu un sérieux malaise et on va la retrouver inconsciente dans son lit, voire morte! Je repasse mes choix dans ma tête : je rapporte le repas à la Popote et signale aux responsables que la personne n'a pas répondu ou je retourne à l'entrée de l'immeuble pour sonner de nouveau à l'appart et espérer une réponse. C'est ce que je décide de faire.

Devant le tableau indicateur, je recompose les numéros. Ça sonne. Un coup, deux coups, trois coups. Une éternité!! Enfin, une voix toute faible répond. Je dis : "C'est Nicole, de la Popote. Je ne peux pas entrer dans l'appart, votre porte est barrée". "Donnez-moi une minute", qu'elle me répond. Une autre éternité passe. Qu'est-ce que Woody Allen déclarait à ce propos? Ah! oui, l'éternité c'est long, surtout vers la fin. Heureusement, avant que ma fin ne vienne, la porte de l'immeuble s'ouvre et je peux reprendre l'ascenseur. Arrivée à l'appart, je constate cette fois que la porte est entrouverte. Soupir et soulagement!!

Madame va bien. Elle a juste passé une mauvaise nuit et s'est rendormie. Qu'est-ce que je vous disais que ça pouvait arriver ce genre de situation! Je suis tellement heureuse de la voir se débarbouiller au lavabo de la salle de bain. Et elle, tout aussi heureuse parce qu'elle va manger du pâté au saumon. Tout est bien qui finit bien.

N'empêche. J'ai eu peur de la perdre. Devant sa porte close, je me suis dit qu'un jour, je devrai pourtant faire face à la musique. Ça fait trois ans que je la connais. Que je jase avec elle toutes les semaines. Que je l'encourage quand ça va moins bien. Je m'y suis attachée comme à la plupart de mes clients. C'est juste que, depuis vendredi, j'ai toujours dans ma tête cette image de la porte fermée et dans ma poitrine le serrement qui m'a envahi à la pensée que je l'avais peut-être perdue à tout jamais. Ben voyons, d'aucuns d'entre vous me diront, c'est une étrangère, pas un membre de la famille quand même. Ouais, pas pour moi.

D'abord, depuis que je bénévole auprès des plus démunis de notre société, je n'ai cessé de rencontrer des personnes lumineuses, extraordinaires et pleines de ressources. Elles m'ont fait grandir dans ma tête et dans mon coeur. Certaines sont devenues des amies, d'autres des personnes qui m'étaient très chères. Et oui, j'ai déjà fait face au grand départ, à plus d'une reprise malheureusement. Quand on oeuvre dans ce genre de milieu (j'ai aussi bénévolé en CHSLD), on marche souvent sur la corde raide. La vie, la mort, ça s'entrecroise continuellement. Et je ne suis jamais prête à lâcher prise parce que je les aime plus que tout. Je pensais être mieux préparée à cause des autres pertes que j'ai vécues. Force m'est d'admettre que non.

Mais avant que la porte se ferme pour de bon, je dois absolument me rappeler de profiter de toutes les parcelles de bonheur, de présence et de joie qu'il me reste à vivre jusqu'au bout du chemin. Jusqu'aux étoiles filantes.

Pour toi Karl Tremblay, homme plus grand que nature



samedi 16 septembre 2023

Full intégrée!!

C'était vendredi dernier. Fidèles à notre habitude depuis presque un an maintenant, l'Homme et moi faisons notre entrée chez Alice, petit café sympathique de notre quartier. Nous y allons religieusement deux fois par semaine, soit les jours où nous faisons la Popote roulante. C'était dans le but d'accélérer le pas le matin que nous avons décidé de prendre notre café à l'extérieur du condo quand nous faisons notre bénévolat. Sinon, en bons retraités que nous sommes, nous nous éternisons dans la lecture des journaux, dans le dédale des mots croisés et dans le brouhaha de nos conversations.

Alice est au travail derrière son comptoir discutant joyeusement avec un client. Elle est toujours comme ça Alice, souriante et super heureuse de deviser avec celles et ceux qui franchissent le pas de son commerce. Nous l'avons adoptée tout de suite. D'abord pour son absolument délicieux café, ensuite pour les douceurs qu'elle prépare de ses mains de cuisinière talentueuse et, enfin, pour toutes les attentions qu'elle démontre envers les gens, les habitués comme les autres.

Le rituel est maintenant établi. Nous entrons, nous lançons un jovial "Bon matin Alice!, ça va?" et nous attendons qu'elle verse son sublime nectar dans nos thermos. C'est sûr qu'on jette un coup d'oeil sur les gâteries du jour : scones, muffins, biscuits, barres énergétiques, etc. Difficile de résister à toutes ces tentations surtout que, de ce temps-là, Alice expérimente constamment de nouvelles recettes qu'elle n'hésite pas à nous décrire en long et en large. Comment faire pour dire non? Nous choisissons le muffin du jour aux courgettes et au chocolat.

Ensuite on se dirige dans l'autre pièce, la petite salle à manger là où la chaleur humaine remplit tout l'espace. Nos joueurs de cartes invétérés et maintenant amis sont installés à leur table habituelle. Une première partie est terminée. Comme d'habitude, A. proteste qu'il n'a jamais les bonnes cartes et qu'il ne devrait plus jouer car il perd constamment. Et, comme d'habitude, G. sourit en l'écoutant et brasse les cartes pour la deuxième partie. Ils sont absolument et totalement adorables tous les deux. Nous, on s'assoit au comptoir sur des tabourets pour regarder dehors. Du moins, c'est ce qu'on faisait au début. Plus beaucoup maintenant. On a trop de plaisir à jaser avec nos amis qui, au fil du temps, nous ont permis de connaître les autres habitués. 

Aujourd'hui, leur ami pigeon voyageur du Sud est présent. Il porte un chandail sur lequel est imprimée la face de Justin et où c'est écrit : Fuck Trudeau. Il se justifie d'être aussi brutal ce matin en nous expliquant qu'il est venu à vélo, qu'il avait eu trop chaud et qu'il était arrêté chez sa fille pour lui emprunter un chandail. Il paraît qu'elle aime contester un peu beaucoup l'ordre établi. Voilà le pourquoi du chandail! Tout le monde s'esclaffe en disant qu'on l'aime bien son chandail et cela nous donne l'occasion une fois de plus de discuter politique en insistant sur le fait que nous avons les solutions. Il suffit seulement que nos dirigeants nous écoutent enfin.

Pendant que les taquineries et les jeux de mots se multiplient, je tourne la tête vers la fenêtre et je vois J. qui se promène sur le trottoir. Il reste tout près du café. C'est un ami lui aussi. Je vais dehors et l'invite à venir nous rejoindre. Il accepte d'emblée. Et nous sommes de retour devant le comptoir d'Alice et de ses plaisirs gourmands. Je l'encourage à essayer le muffin qui était vraiment très bon. Je tente même de soudoyer Alice pour avoir sa recette. On se retrouve finalement toute une petite gang dans la pièce car M. est arrivée elle aussi. Elle demande à A. s'il a terminé de lire le journal. Celui-ci lui répond par la négative mais, comme il joue encore aux cartes, M. réclame le journal tout de go. Il obtempère finalement devant les fous rires déclenchés par la remarque de M. qui lui lance l'ultimatum de lire le journal ou de jouer aux cartes.

L'heure avance. C'est le temps de quitter pour le Patro. Nos amis savent que nous allons livrer des repas dans le quartier. Quand la température est moins clémente, ils nous encouragent de leurs bons mots. Mais là il fait beau soleil. Ils se rappellent tout de même qu'on ne sera pas là la semaine prochaine car nous partons à Gatineau. Ils nous souhaitent bon voyage, nous demandent d'être prudents et nous disent de bien en profiter. Je les remercie et réalise tout d'un coup que je vais vraiment  m'ennuyer d'eux et de nos amis du Patro. Je leur dis. C'est là que J. me déclare : "Tu vois, tu es maintenant full intégrée!".


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Anecdote anodine :

Quand je fais la Popote le vendredi, je vais dans une résidence pour personnes âgées où vit aussi un chat mascotte. Ce félin pousse le professionnalisme jusqu'à suivre des formations pour mieux accompagner les occupants de l'endroit. Je le sais, on me l'a dit. Je le crois.

Là n'est pas mon anecdote mais, comme je suis une amoureuse inconditionnelle des chats, je devais vous le mentionner. Je reprends donc mon propos. Dans l'ascenseur, se trouve toujours le calendrier des activités du mois. Comme je suis une anxieuse finie et que je ne veux rien laisser au hasard, je consulte régulièrement le tableau en me demandant ce que je trouverais à faire pour m'occuper si un jour je me retrouvais là. On ne sait jamais ce que la vieillesse et ses ravages nous réservent. Bon, mettons que j'habite ici. Qu'est-ce que je pourrais faire dans les trois jours à venir? Et là, entre les parties de bingo, le yoga chaise, la levée de fonds pour une banque alimentaire, il y a, je vous le donner en mille : le lancer de la hache! Je m'étonne. Je m'interroge. Je me demande si j'ai bien lu. Évidemment, en passant devant la réceptionniste avant de quitter les lieux, je ne peux m'empêcher d'arrêter et de lui dire : "Vous ne trouvez pas que vous avez des activités dangereuses? Vous n'avez peur de rien en tout cas." Elle me regarde sans trop comprendre évidemment. "Ben oui, le lancer de la hache, c'est pas un sport un peu extrême à pratiquer ici?". Elle sourit et me répond le plus gentiment et patiemment du monde : "Ce sont des haches en plastique". Je m'en doutais. Je voulais juste m'en assurer. Bonne fin de semaine!

jeudi 14 septembre 2023

Tout un bail!



Ben oui, j'ai eu 68 ans hier. C'est drôle car, pour la première fois de tous les anniversaires de ma vie, j'ai dit adieu à ma vieille face le soir du 13. "C'est fini, cette face-là de 67 ans, tu ne la verras plus jamais" me suis-je dit en me regardant dans le miroir. Étonnamment, ma nouvelle face ressemble à s'y méprendre à l'ancienne. J'imagine que cela va prendre plus de vingt-quatre heures avant que je puisse observer un quelconque changement du genre nouveau pli ou nouvelle ride.

Je ne peux pas dire que je trouve ça particulièrement agréable de vieillir bien que je sois reconnaissante d'être toujours là pour apprécier la vie. C'est juste que des fois c'est plus difficile de l'apprécier surtout quand je dois me mettre à genoux pour récupérer un jouet que les félins ont envoyé sous le divan du salon. Me semble qu'avant j'avais pas besoin de penser à mais comment diable vais-je faire pour me relever de cette position sans appui! Non, je me relevais, c'est tout. Même affaire quand je fais le ménage, grimpée sur un mini-tabouret pour épousseter le haut des bibliothèques. Je suis obligée de réfléchir sérieusement à la façon dont je vais descendre du foutu tabouret. Quelle jambe devrais-je reculer en premier et, encore et toujours, devrais-je prendre la peine de me trouver un appui avant de procéder à ce dangereux mouvement?

Comme me disait un de mes voisins l'autre jour : "Tous ces petits bobos et tracas viennent gratuitement avec l'âge! Pas besoin de commander!" Il a bien raison. À certains moments, les choses se présentent subtilement. Une activité qu'on faisait depuis des années sans problèmes nous cause maintenant des maux insoupçonnés. Ainsi, dans mon cas, après un squat effectué au yoga, je ressens une légère douleur sur le côté de mon genou droit. "Ça va passer," me dis-je, sans me méfier du ravage des années. Eh! bien, ça n'a pas passé et j'ai eu mal pendant des mois. Diagnostic : arthrose. Ouais. 

Mais faut pas arrêter de bouger paraît-il. Oh que non sous peine de voir notre belle machine jusque là fidèle s'encroûter à tout jamais. N'empêche, c'est pas toujours le fun de continuer. Ça demande plus d'efforts, plus de résilience. Plus de "je vis un jour à la fois", puis plus de "je vis une minute à la fois". J'ai encore perdu quelque chose, c'est pas grave, il me reste ça. C'est moins beau que la chose perdue, c'est moins agréable, en fait, c'est autre chose. Pas celle que tu voulais ou que tu aimais. Non. Autre chose.

Je peux avoir l'air pessimiste comme ça (je sais c'est à s'y méprendre) mais je ne suis pas la seule à ne pas être toujours zen. Je viens de terminer le dernier recueil de Gilles Archambault, La candeur du patriarche où, dans une trentaine de récits, il aborde sa propre vieillesse. Il ne mâche pas ses mots. Il ne joue pas à l'idéaliste. Il présente sa réalité de vieillard de 89 ans telle qu'elle est, avec ses limites, ses pertes, ses deuils. Je crois que le sujet le préoccupe fortement car il a aussi écrit ces dernières années Mes débuts dans l'éternité et Il se fait tard. Les titres font foi de tout.

"Mais pourquoi tu lis ça", vous entends-je crier? Parce que moi aussi cette question m'obsède. Moi aussi je cherche des réponses. Je me demande comment on fait pour vieillir en grâce et en sérénité. Comment on fait pour ne pas "rater sa sortie" comme M. Archambault se questionne. Je fais de l'anxiété depuis que j'ai découvert le monde. Et mon expérience des soixante-huit dernières années me confirme que rien ne va s'arranger. Mes peurs changent, mais elles demeurent. Tout comme M. Archambault, je ne crois pas que je vais acquérir plus de sagesse. On est comme on est jusqu'à la fin. On peut juste travailler à ce que ça fasse moins mal peut-être. Ou on arrive à enfin lâcher prise avant qu'il ne soit trop tard???

Alors, sur ces paroles encourageantes, je me souhaite de continuer à prendre soin de moi, de mon corps, de ma tête et de mon âme. Qui sait, peut-être que ma nouvelle tête sera pas si mal après tout. Justement je vais chez le coiffeur aujourd'hui. À plus!!


lundi 21 août 2023

"Meilleur que la vraie affaire!"



C'est le temps des récoltes. Les fruits et les légumes nous tendent littéralement les bras. Les soeurs et moi avons donc décidé de cuisiner un bouilli pour recevoir papa en fin de semaine. Je propose de m'occuper du dessert. Après avoir pensé à différentes possibilités, voilà que me vient soudainement l'envie de faire une recette découverte pour la première fois alors que je travaillais à la direction des Langues officielles du ministère des Communications, à Ottawa. C'était dans une autre vie. Pourquoi tous ces vieux détails? Parce qu'en cherchant la recette hier dans le livre intitulé Recettes préférées du MDC/DOC Favourite Recipes (on est bilingue ou on l'est pas et, dans mon temps, la fonction publique fédérale était bilingue parfois à en être ridicule), j'ai eu un petit frisson genre comme dans les films d'horreur où tu pressens quelque chose que tu n'es pas certain d'identifier. Je vous le donne en mille : c'était cette fameuse nostalgie des temps anciens, du autrefois passé à la vitesse de l'éclair!

D'abord le livre de recettes. Un pauvre recueil mis en page et spiralé par des employés du Ministère afin qu'il puisse ensuite être offert en vente pour ramasser des sous dans le cadre de la campagne annuelle de Centraide. Je me souviens de l'appel à contribuer que nous avions reçu afin de recueillir suffisamment de recettes pour avoir un produit acceptable à présenter. Je me suis donc amusée hier à parcourir les pages en cherchant dans les recettes fournies les noms d'ex-collègues de l'époque. Je me sentais toute drôle. C'est comme si tout d'un coup je retournais en arrière. Maudit que j'ai eu du fun dans mon travail de fonctionnaire! J'y ai rencontré des gens extraordinaires dont certains sont devenus des amis très chers que je fréquente toujours.

Mais revenons à cette fameuse recette et à ces années où je travaillais aux Langues officielles. C'était dans les années 80. Nous formions toute une équipe de joyeux convaincus de notre mission qui consistait principalement à faire respecter la Loi sur les langues officielles au Ministère. Combien de combats avons-nous livré pour qu'une conférence soit offerte dans les deux langues ou qu'une publication destinée aux employés sorte simultanément en français et en anglais? Combien de réceptionnistes (ça c'étaient des personnes qui répondaient au téléphone pour toi et qui te remettaient des messages sur des petits papiers jaunes - une aberration aujourd'hui à l'heure des cellulaires et des boîtes vocales) avons-nous fustigé parce qu'ils ne répondaient pas dans les deux langues lorsque nous faisions nos enquêtes "anonymes" pour démasquer les récalcitrants? Nous étions des irréductibles Gaulois et nous ne manquions pas d'audace. Mes deux patrons profitaient même de l'heure du lunch pour espionner les bureaux de Postes Canada/Canada Post situés de l'autre côté de la rue où logeaient nos pénates. Cette agence avait le don de choisir des employés unilingues pour son comptoir postal. Invariablement, à la question "Est-ce que je pourrais avoir un timbre, s.v.p.?", ils répondaient "Sorry, I don't speak French!". Bam! On faisait une plainte au commissaire aux Langues officielles. On ratissait large.

Bon, la recette. C'est sûr qu'on a dû en discuter autour de notre café le matin. C'était mon moment préféré de la journée. On arrivait tous très tôt, certains pour éviter le trafic, d'autres pour être en mesure d'aller chercher les enfants à la garderie après le boulot. Nous, aux Langues officielles, on faisait le café pour tout l'étage. Oui, oui. Mon patron, qui vivait à Orléans by the beach et arrivait aux aurores, avait décidé de lancer ce projet qui nous permettait d'amasser des fonds pour notre lunch de Noël. Il prenait donc le temps de moudre le nectar divin pour nos trois cafetières qui offraient du café noir normal, du café décaféiné et du café avec une saveur. Il faisait aussi la facturation de nos "clients" tous les lundis. On dirait comme ça qu'on perdait du temps, que nenni!! Bien des petits et gros problèmes se réglaient autour de la table à café et de façon beaucoup plus efficace que par les voies officielles. C'était l'époque du "présentiel" même si on ne savait pas que c'était ça qu'on faisait. Tous les jours, on se racontait notre soirée, notre souper, les frasques des petits. On discutait de nos émissions de télé ou on parlait politique. On se donnait des trucs de bricolage, de jardinage, de ménage, d'élevage d'enfants. On fumait aussi, les cendriers directement posés sur les tables et les bureaux. Je me demande encore comment il se fait que je n'étais pas plus incommodée par la fumée, la force de l'habitude sans doute.

Je crois que c'est à l'occasion d'une discussion sur un éventuel "potluck" comme on disait alors que j'ai entendu parler du "Sex in a pan" pour la première fois. Oui, vous avez bien lu. Quand notre collègue nous a fait part de sa contribution au repas, nous avons tous éclaté de rire. "Qu'est-ce que tu dis là? Ça n'a pas de bon sens un nom pareil. Qu'est-ce qu'il y a au juste dans ce fameux gâteau?" Et de continuer avec toutes les allusions auxquelles nous pouvions penser, allusions toutes situées au bas de la ceinture bien évidemment. "Vous allez voir comme c'est bon ce dessert-là," nous répondait-elle. "Je comprends, avec un nom pareil, on ne devrait pas être déçu" qu'on rétorquait en se bidonnant de plus belle. Il a fallu attendre une semaine avant de pouvoir nous faire une idée. Est-ce que le nom de ce dessert n'était que fumisterie ou le gâteau méritait-il vraiment un tel libellé?

Elle a déposé le gâteau sur la table et a commencé à le tailler en morceaux. Faut dire que la présentation était belle. Il y avait du chocolat et de la crème fouettée. Une fois dans notre assiette, le gâteau révélait ses différents étages avec son fond de biscuit. Il fallait goûter maintenant. C'était onctueux. C'était moelleux. C'était sucré. C'était croquant. C'était aussi rafraîchissant parce que servi froid. C'est à ce moment qu'on a tous décidé que, finalement, c'était meilleur que la vraie affaire! À vous de juger maintenant. Voici la recette.



GÂTEAU "SEX IN A PAN"

1er étage

1 tasse de farine

1 tasse de pacanes ou de noix de grenoble en morceaux

1/2 tasse de beurre mou

3 c. à table de sucre

Mélanger les ingrédients et les presser dans un moule de 13 par 9 po. Cuire à 350 F de 15 à 18 minutes.

2e étage

8 onces de fromage à la crème

1/2 tasse de sucre à glacer

1 contenant de 500 ml de Cool Whip (dégelé)

Mettre en crème le fromage avec le sucre à glacer (utiliser une mixette) et ajouter le Cool Whip. Étendre sur la croûte refroidie.

3e étage

2 tasses de lait

1 paquet de pouding instantané à la vanille (4 portions)

1 paquet de pouding instantané au chocolat (4 portions)

Mélanger le lait avec les poudings en suivant les instructions sur les paquets et étendre sur le 2e étage.

4e étage

1 contenant de 500 ml de Cool Whip (dégelé)

Étendre sur le 3e étage

5e étage

1 carré de chocolat râpé ou (ma version) des bleuets frais

Couvrir le 4e étage du chocolat ou des bleuets. Réfrigérer jusqu'au lendemain. 


samedi 19 août 2023

C'est pas grave

Bon, avant de commencer ce texte, j'ai relu certains autres blogs publiés précédemment pour me rendre compte que j'aborde un peu les mêmes thèmes depuis la pandémie. En tout cas, le moins qu'on puisse dire c'est que je ne fais pas dans la légèreté. Par ailleurs, je constate également que d'autres sujets reviennent parce qu'ils continuent de me préoccuper. Réussirais-je à dire les choses autrement cette fois, ou vais-je faire des "redites" pour reprendre une expression utilisée par une personne âgée de notre connaissance? Comme le répète l'Ami : "Tout cela a été dit des milliers de fois, encore faut-il maintenant innover". Bien d'accord, mais les sentiments humains ont-ils changé tant que ça au fil des décennies? Moi je proclame pour l'instant que c'est pas grave de revenir sur des choses qui nous importent. Voilà.



Tu vis avec deux chattes gériatriques, toutes deux malades. Les frais de vet sont, pour le moins, faramineux et réguliers. Tu sais qu'à 15 et 16 ans, leur temps est compté. Mais grâce aux pilules que tu administres quatre fois par jour et à la bonne bouffe du vet, les bidounes vont bien. Elles poursuivent leur petitebonnefemme de chemin dans la vieillesse féline. Elles mangent avec appétit. Elles courent encore et jouent un peu. Plus important, elles adorent se prélasser sur leurs coussins devant la grande fenêtre du salon et regarder dehors. Et toi tu les prends souvent, tu les caresses, tu leur donnes des milliers de baisers, tu essaies dans ta tête de te préparer à ne plus les avoir avec toi. C'est plus que difficile. C'est presque impossible. Tu souhaites seulement être à la hauteur quand le moment fatidique va se présenter.

"On va se ruiner en frais de vétérinaire. Ça n'a pas de bon sens de continuer à payer."

C'est pas grave que je me répète. Faut surtout pas que je pleure ma vie pour des chats. Je suis littéralement déchirée. Les mots sont durs, mais ils sont réalistes. Je ravale ma peine de tant aimer les chats, d'avoir ce lien si particulier avec eux. C'est pas pour rien qu'ils se perdaient toujours chez nous, comme par hasard. Je ravale parce que je n'ai pas vraiment d'argument à opposer pour justifier mes choix, sauf mon amour inconditionnel. Je ne peux rien ajouter. Gloup.


Tu reçois quand même des nouvelles de temps en temps. Tu réussis à garder un lien. Bon, pour tes textos, c'est silence radio dans la plupart des cas. C'est vrai que tu ne parles pas de choses super intéressantes, seulement de ta vie et de celle de l'Homme. Tu te fais l'illusion que, puisque tu ne les vois pas souvent, tu peux au moins les tenir au courant de ce qui vous arrive. Tu t'imagines maintenant que c'est parce que tu es devenue plate que tu suscites aussi peu d'intérêt. Tu voudrais leur dire ta peine ou au moins parler de la façon dont tu te sens, mais l'occasion ne se présente jamais car toi tu trouves que c'est le genre de conversation à avoir en face à face. Jamais ils ne te disent qu'ils s'ennuient. Seule toi semble être atteinte de cet étrange sentiment. Moins tu leur parles, et plus tu perds le fil de leur vie. Chaque fois, c'est un plus grand effort pour retrouver la page où vous vous êtes arrêtés. C'est un problème presque insoluble.

"La vie est rapide aujourd'hui. Ils sont pris dans un tourbillon. Tu vas te rendre malade si tu n'arrêtes pas de penser à ça et tu ne seras pas plus avancée."

C'est pas grave que je me dis puisque tout le monde semble trouver ma tristesse injustifiée. Je ravale donc ma peine de maman qui s'ennuie trop, qui ne peut s'empêcher de penser aux bons moments passés autrefois en famille quand c'était plus facile de se voir. Je ravale ma peine en pensant à mon dernier voeu d'anniversaire. Je voulais juste une fin de semaine, une journée ou un repas en famille. C'était bien compliqué à organiser semble-t-il. C'est pas grave. Je ravale. Des fois, je rêve à eux et je me réveille tout croche. Comme ce matin, où je ne voulais plus me lever, où je ne voulais plus parler. Et là je me trouve injuste de vouloir sans doute trop. Et je sens les larmes couler sur mes joues. C'est pas grave. Je ravale. Gloup.


Tu continues à lire les journaux et à écouter les nouvelles même si des fois tu te dis que ça ne sert à rien parce que tout va mal. En plus, ça te fout le cafard pour le reste de la journée. Mais est-ce que tu te sentiras mieux en jouant l'indifférente? Et puis, qui va continuer à se battre et à revendiquer si tout le monde abandonne, y compris toi? Tu le sais que tu vas peut-être y laisser ta peau. Oui parce que souvent ça te fait trop mal de voir ce qui se passe. Et tu te sens envahie d'une immense tristesse et d'une totale inutilité.

"Arrête de prendre le sort du monde sur tes épaules. De toute façon, tu ne peux pas sauver les gens. Tu te laisses trop envahir par la misère des autres. Il faut penser à nous d'abord."

C'est pas grave. Sans doute ils ont raison ceux qui me veulent du bien. Je ravale. Mon âme de missionnaire est blessée, mais ce n'est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. Je ne suis pas meilleure que les autres, loin de là, juste hypersensible. Ça date de mes débuts dans la vie et ça continue. J'ai toujours voulu prendre la défense des personnes seules, abusées, démunies. J'ai pas toujours eu les outils pour le faire comme j'aurais aimé le faire. Heureusement, avec les années, j'ai acquis de l'expérience et j'arrive à faire une différence qui me fait du bien à moi aussi. Je peux ainsi soulager un peu leur mal-être... et le mien. Je ravale quand même souvent mon impuissance à en faire plus. Je ravale ma révolte devant le manque de solidarité sociale, la surconsommation effrénée, le sort réservé aux plus vulnérables. C'est pas grave dit le gouvernement de ne pas avoir de médecin de famille. C'est pas grave d'avoir seulement un adulte et pas un vrai prof à planter devant une classe d'enfants. C'est pas grave de voir nos aînés se sentir de plus en plus isolés à un point tel que les demandes d'aide médicale à mourir ne cessent de progresser. C'est pas grave les feux de forêt, la pollution des usines cautionnée par nos élus, les périodes de canicule de plus en plus nombreuses. C'est pas grave les gens qui se retrouvent à la rue, incapables de dénicher un logement ou de se nourrir convenablement. C'est pas grave les migrants qui fuient des conditions de vie désastreuses et c'est pas grave ensuite de les exploiter ici dans notre beau pays. 

C'est pas grave. C'EST PAS GRAVE. C'EST PAS GRAVE.

J'ai des nouvelles pour vous. Oui, c'est grave. 

lundi 14 août 2023

Expirée une deuxième fois

 


Ouais, ma date de péremption est de nouveau atteinte. Quand ça m'est arrivé la première fois, je venais de prendre ma retraite après 34 ans de loyaux services auprès de Sa Majesté la Reine. C'était en 2011. Je me retrouvais soudainement à ne rien faire. Finie la routine du bus-boulot-dodo. J'avais soudainement beaucoup, beaucoup de temps. Voilà que je pouvais désormais faire ce que je voulais, quand je voulais, et ce sans rien n'avoir à demander à personne. C'était à la fois fantastique et totalement paniquant. Quand tu ne te poses plus de question sur la façon dont tu vas occuper ta journée depuis autant d'années, tu te retrouves devant un grand, un immense vide. Il y avait tant à faire. C'était vertigineux.

Comme les réflexes du travailleur ne disparaissent pas aussi vite, j'ai donc rapidement cherché à m'occuper. Je voulais faire du bénévolat depuis un temps immémorial. Je me suis donc engagée, "rengagée" comme disaient les Romains dans Astérix. Au bout de quelques mois seulement, j'étais occupée presque tous les jours de la semaine et j'adorais ça. C'est que je retrouvais une place dans la société, place qui m'avait été brutalement enlevée dès que j'ai franchi les portes du bureau pour la dernière fois. 

Ben oui, quand on est à la retraite, tout le monde sait qu'on devient plate. On se berce toute la journée. On reste en pyjama. On prend notre café jusqu'à midi. Les pauses s'étirent sans fin. Ce n'est tellement pas le cas pour la majorité des retraités. Mais on a beau se tenir au courant de l'actualité, faire plus d'activités physiques, s'organiser des sorties culturelles, faire du bénévolat sans compter nos heures, on n'est plus intéressant pour personne. On dirait que la question "comment ça va au travail?" est la seule qui importe. Tous les autres projets constituent, au mieux, des passe-temps pour personnes autrefois productives et utiles à la société. Faut dire aussi qu'on a été bien entraîné à se juger uniquement à partir de ce qu'on produit avec rémunération à l'appui. Le reste, ce sont des futilités. 

En tout cas, moi cette première période de ma retraite m'a permis d'accomplir des choses que je ne pensais même pas être capable de réaliser. J'ai rencontré des gens formidables, j'ai acquis de la sagesse, de la maturité, une plus grande ouverture d'esprit. Je me suis dévouée à des causes qui me tenaient à coeur. Et cela m'a remplie en-dedans. Parce que la retraite est venue avec le nid vide et les oisillons envolés bien loin. Un autre vide à remplir. Au moins, maintenant, quand on avait des réunions de famille, j'avais de nouveau des choses à dire, des projets à raconter. Je vivais encore. J'étais utile sinon pour mes enfants, du moins pour tous les autres que j'aidais avec passion. 


Puis est venue la pandémie. Elle a sonné le glas de toutes mes activités bénévoles. Et elle a marqué le début d'un autre vide. Fini le sentiment du devoir accompli, envolé le plaisir de faire une différence, parti le réseau social constitué par mes amis bénévoles. L'Homme et moi, on s'est retrouvé tout fin seuls. Une bulle? Pour nous, ça n'existait pas. Nos amis à Gatineau en avaient des bulles parce que la plupart avait leur famille dans la région. Pas nous. Alors en plus de nous retrouver complètement désoeuvrés (parce que l'Homme, à sa retraite, était venu me prêter main-forte dans mes différentes missions), on a été confinés dans la maison avec pour seuls baumes au coeur les zooms hebdomadaires avec le Fils et la Fille. On a collé notre arc-en-ciel sur la porte pour dire que c'était pour bien aller. On a regardé pousser nos cheveux (les miens sont devenus blancs) et l'Homme s'est trouvé une vocation de coiffeur qu'il a exercée dans le sous-sol, puis dans le garage. On a regardé des films où on voyait des réunions de famille et des gens qui s'embrassaient sans avoir peur. Je pleurais chaque fois. On a parcouru les trottoirs du quartier toutes les fois qu'on a pu en adressant, de très loin, de petits bonjours timides aux voisins. On a pris des apéros sur la terrasse. Tout seuls. Heureusement, notre couple d'amis de toujours a formé une bulle avec nous. Quel plaisir extraordinaire c'était de pouvoir manger ensemble en s'inondant de Purell, assis à deux tables différentes dans leur véranda! Les enfants sont finalement venus nous visiter après plusieurs mois. On se regardait comme des chiens de faïence, terrorisés à l'idée de nous toucher. J'avais identifié des verres à leur nom dans la salle de bains et les chaises dans la cour. J'étais devenue un peu parano. M'enfin. Cela n'a pas suffi à combler le vide de la longue solitude et, pour citer un grand ami, "on n'a pas eu le cul lourd" et on a tout quitté laissant derrière nous un peu plus de quarante ans de vie.

C'est mieux à Québec. On est beaucoup moins seuls avec la famille proche. On a retrouvé des activités bénévoles intéressantes. Mais la pandémie a laissé des traces. On a vieilli. On a été malades tous les deux, atteints par ce foutu cancer. On a vu toutes ces personnes âgées décédées seules dans une presque totale indifférence. Et on constate et surtout on subit le sort qu'on réserve aux personnes vieillissantes dans notre société. Je me sens donc périmée, expirée pour une deuxième fois. Le sentiment de vide, d'inutilité totale est revenu. Je suis périmée et plate. Je ne suis pas la seule à me sentir comme ça, à avoir l'impression que je dérange, que je prends une place que je devrais libérer au plus vite. Une amie me disait récemment avoir demandé de l'aide à sa fille pour une tâche qu'elle ne pouvait accomplir seule pour se faire répondre : "J'espère que tu ne commenceras pas à me déranger car je vais te placer!". Fatigue? Probablement. Ça fait mal quand même. 

Un ami qui n'a pas d'enfant me confiait que lui aussi sentait qu'il était de trop dans l'espace public, qu'on ne se gênait pas de passer devant lui dans les files d'attente, qu'on démontrait rapidement de l'impatience s'il ne répondait pas assez vite à une question ou s'il ne comprenait pas bien les instructions pour utiliser son téléphone intelligent par exemple. Les soupirs d'exaspération constituent trop souvent notre lot.

D'après ce que je constate autour de moi, et sans vouloir offenser personne, il semble que la seule façon de sortir de notre rôle de Serpuariens, c'est de devenir grands-parents. Tant pis pour mon ami. Et tant pis pour moi pour l'instant. Non mais c'est vrai. Les grands-parents aujourd'hui sont en demande exponentielle. Enfin des gens qui n'ont rien à faire et qui peuvent s'avérer utiles! En plus, ils sont consentants et désireux de retrouver une place. Oui, une place. Car leur sagesse n'est plus sollicitée. Leurs histoires interminables sur comment c'était dans leur temps n'intéressent plus personne et peuvent toutes être retrouvées grâce à une recherche sur Internet. Même constat pour leurs recettes contenant trop de gras trans. Mais qui veut encore cuisiner un ragoût de boulettes? Vraiment! Et on ne parle pas de leurs trucs de bricolage dont on n'a que faire quand on peut regarder une vidéo sur YouTube. 

Dans mon cas, ben j'écoute de vieilles séries de télé, je lis des livres et des journaux version papier, je cuisine des muffins continuellement comme si la "faim" du monde était pour demain et comme si mes enfants en voulaient encore, je me prépare trop pour des rencontres fort éphémères et j'essaie de toutes mes forces de croire que j'ai droit, comme toutes les personnes qui avancent en âge, à une place encore enviable dans ce monde en attendant l'expiration finale.

mardi 1 août 2023

"Vous savez, Madame, j'ai un cancer moi ...

 


... et on me donne deux mois à vivre". C'est avec cette phrase-choc que j'ai fait la rencontre d'un nouveau client de la Popote roulante la semaine dernière. Je voudrais vous dire que j'ai su trouver des mots apaisants et réconfortants en réponse à cette déclaration. Hélas non. Je suis plutôt restée sidérée sur le seuil de la porte ne sachant trop comment réagir à cette brutale déclaration. "Je prends des médicaments pour m'aider mais j'ai de la difficulté avec mon équilibre car je vois seulement d'un oeil", a-t-il poursuivi pendant que je lui tendais le sac contenant son repas. J'ai compris pourquoi peut-être il ne portait qu'un seul bas mais pas de soulier ou de pantoufle. J'ai finalement réussi à lui débiter des lieux communs genre "ça ne doit pas être facile" ou "il ne faut pas lâcher" et "je vous comprends d'être découragé". Vous savez ces phrases un peu vides, qui peuvent quand même être senties lorsqu'elles sont prononcées, mais qui ne consolent assurément pas la détresse exprimée.

Et je suis restée avec ses mots et son image dans ma tête. J'ai en moi gravé le visage de ce monsieur désemparé que j'aurais voulu serrer dans mes bras pour lui dire qu'il était aimé, compris et accompagné. J'imagine que s'il s'est confié ainsi à une parfaite inconnue c'est qu'il était probablement lui aussi sous le choc de cette terrible nouvelle. La fin qui devient soudainement proche, trop proche. Et la réalisation qu'on part seul comme on est arrivé.

Habituellement quand je reste accrochée sur quelque chose, y a une raison. Je la cherche depuis une semaine. J'ai d'abord pensé à ces gens touchés par le cancer qui vivent toutes et tous avec l'épée de Damoclès au-dessus de la tête dès le diagnostic prononcé. Même quand ça va bien, même quand on a réussi à échapper aux crocs de la bête, on a toujours peur qu'elle nous retrouve et nous dévore cette fois pour de bon. Ça pourrait être pourquoi j'entends la phrase tourner régulièrement dans mon cerveau. "Vous savez, Madame, moi j'ai un cancer". Ça me ramène à mon propre combat avec la bête et à celui mené par trop de personnes proches de moi.

Mais il a dit aussi "et on me donne deux mois à vivre". Ça aussi ça m'est rentré dedans. Comment on fait pour ne pas perdre espoir et continuer à faire les choses comme si de rien n'était? Je connais des sages qui arrivent à apprécier chaque petit instant qui reste, chaque petit bonheur qui se présente. Ils sont même capables de nous partager ces moments qui deviennent tellement précieux et à nous les faire ressentir comme si c'était nous qui mangions cette succulente mandarine le matin en savourant notre café. Ils nous rappellent l'importance d'apprécier ce dîner au resto ou ce repas partagé en famille. Ils ne nous font pas la leçon. Ils nous donnent un cadeau, celui d'apprendre à être reconnaissant, toujours et à jamais.

Alors, partant de tout ça, je dirais que je sais être reconnaissante et que je suis capable d'apprécier les petites, comme les plus grandes choses de la vie. Mon problème c'est que je voudrais que tout le monde travaille là-dessus, surtout les gens que j'aime. Je voudrais qu'ils réalisent l'importance de garder des liens forts pour ne pas regretter ensuite de ne pas avoir assez profité ensemble du temps qui nous est donné. Je ne sais pas comment on enseigne ça. Mais je déteste penser qu'il faut attendre d'être au pied du mur pour le réaliser. En même temps, des fois, faut se cogner sur le maudit mur pour se réveiller.

"Vous savez, Madame, j'ai un cancer moi et je vous ai réveillée".



 

vendredi 21 juillet 2023

Paraît qu'on ne peut pas sauver le monde


Aujourd'hui c'était jour de bénévolat pour la Popote roulante. Et c'est de ça dont je voulais vous entretenir. Je voulais vous parler surtout des merveilleuses rencontres que cette activité me permet de faire. Alors je réfléchissais à la manière dont je pourrais expliquer ce que ça nous apporte de douceur dans notre âme d'aider à rendre le monde un peu meilleur. Et, tranquillement, parce que je fais presque toujours de la Popote plus, je me suis mise à penser à ce que je pourrais faire pour cette personne que je venais de visiter et qui trouve les repas congelés qu'elle commande pour la fin de semaine pas vraiment bons, puisse manger quelque chose qui lui ferait vraiment plaisir. Et me voilà partie dans ma tête à passer en revue les repas que je pourrais peut-être cuisiner pour elle et que je pourrais lui livrer sur mon temps. Elle est devenue une amie avec les années qui passent, pas seulement une cliente chez qui je dépose un repas. Mais, bon, me suis-je dit, faut que je me retienne. Elle a quand même de la famille qui peut sans doute s'occuper de ça. Je n'en suis pas certaine cependant.

Vous avez accroché sur Popote plus? Que je vous explique, C'est que, depuis le début de mon engagement de baladeuse-livreuse de repas, je n'arrive pas à me limiter à dire bonjour et à déposer les plats sur la table. C'est plus fort que moi. J'aime le monde. Et j'ai la très fâcheuse manie de me mettre facilement à leur place. Trop facilement. Si la personne est malade, c'est sûr que je prends de ses nouvelles. m'enquiert si elle a passé une bonne ou une mauvaise semaine, m'inquiète si elle est absente ou si elle ne répond pas à la porte. Si la personne semble isolée, pas trop bien nantie, c'est sûr que j'essaie de trouver des façons de lui apporter des petites douceurs, de l'écouter se raconter, de lui démontrer une attention particulière. J'ajoute en plus des chocolats aux livraisons pour toutes les fêtes de l'année, comme je le faisais quand je cuisinais pour Itinérance Zéro. Je donne des cartes de Noël à chacun et chacune. Si j'apprends que c'est l'anniversaire d'un de mes protégés (par là j'entends une des personnes chez qui je livre pendant la semaine), j'achète une carte, j'écris un mot. Je veux que la personne sente qu'elle a du prix, qu'elle est importante, qu'elle est aimée.


Est-ce que je cherche à recevoir une médaille quelconque? Oh que non! Des ailes d'ange? Oh que oui! Je suis convaincue que les anges existent et qu'ils sont parmi nous. J'ai déjà fait ma demande pour en devenir un. Il faut donc que je me pratique si je veux que mon cv soit retenu. C'est ainsi que je tombe souvent dans ce désir irrépressible de sauver le monde. Entendons-nous ici. Je ne veux pas les sauver contre leur gré. Et, pour moi, sauver le monde signifie surtout une présence. Être là pour ceux et celles qui en ont besoin. Démontrer de l'empathie, de la bienveillance, de l'amour. Faire une différence par un sourire, un geste, un service. Parfois, je me laisse emporter par ce désir de créer un monde meilleur. J'arrive même à croire que c'est possible de démontrer davantage de solidarité, de compassion, de souci envers tout ce qui nous entoure, végétaux, animaux et humains confondus. Hélas je désenchante rapidement, surtout quand je lis les journaux, ou que j'écoute les nouvelles et les gens parler autour de moi. "ON NE PEUT PAS SAUVER LE MONDE!", des gens sages, plus sages que moi sans doute, répètent avec conviction et vérité cette phrase censée tout régler, censée annihiler tout mouvement d'impulsion pour le changement. Je sais bien que, malgré tous mes beaux efforts, je ne peux pas sauver le monde. Mon problème, qui devient une grande souffrance pour moi, c'est quand je connais le monde à sauver. Ouais. C'est pas du tout la même chose quand la personne pauvre a un nom, un visage, une histoire que tu as appris à connaître. Même affaire pour le nouvel arrivant qui croise régulièrement ta route, qui t'a raconté son périple et que tu vois livrer combat pour un avenir plus ensoleillé. Et quand la personne malade c'est celle à qui tu apportes un repas deux fois par semaine, pour qui tu ouvres des couvercles récalcitrants, celle que tu as appris à aimer et à admirer parce qu'elle dit toujours qu'il ne faut pas lâcher. Et il y a cette jeune femme qui dit que tu es la livraison du bonheur. Et cet homme aux merveilleux yeux bleus qui cohabite avec son chat et qui capote parce que je lui apporte des muffins. Et cet autre qui vit dans un véritable taudis, qui m'attend sur une chaise dehors pour recevoir son repas. Il y a aussi tous ceux et toutes celles qui espèrent un appel, une visite d'un fils, d'une fille ou d'un ami. Il y a celle qui a peur de ne plus pouvoir parler parce qu'elle peut passer une semaine sans avoir à parler à quelqu'un. Il y a enfin toutes les fois où je sors d'un appartement, la larme à l'oeil, partagée entre la reconnaissance d'avoir une vie heureuse et ma totale impuissance devant ces inégalités révoltantes. 

C'est vrai. Je ne peux pas les sauver. Mais je peux les aimer en maudit par exemple.



mercredi 19 juillet 2023

Lente comme d'la mélasse au mois de janvier

 


Envahie, vous disais-je hier par la verdure sur ma terrasse, en voici la preuve! Mais comme me disait une amie, "tu dois être super contente que ce soit comme ça!", et elle a raison. Ouais, ça prouve que j'ai encore le pouce vert, mais il y a plus important encore. Ça me fait du bien. Ça me ressource. Comme toujours. Comme quand je sortais du garage avec ma petite brouette de jardinage (plus beau cadeau à vie offert par l'Homme) et que je me préparais à passer une partie de la journée à planter, à semer, à désherber, à sarcler, à admirer. Surtout admirer. Je sais encore faire ça, admirer.

Ainsi, tous les matins, je sors en pyjama sur ma terrasse avec mon arrosoir. Et j'inspecte mes plantes. Je les regarde grandir. Je les regarde lutter aussi contre trop de soleil ou vraiment trop de pluie. Et, comme j'ai la chance de vivre dans un havre de verdure, je lève la tête et je contemple l'érable et l'épinette qui se trouvent juste devant moi. Ce pauvre conifère avait une mine plutôt tristounette l'année dernière, beaucoup de branches sèches entre autres. J'aime croire que, grâce à mon énergie "verte", je lui ai donné la force de se battre. Il est magnifique cette année. Et tout mon regard embrasse ensuite les haies de cèdres, les petites collines vertes de la pelouse et les autres arbres du domaine et du quartier. C'est beau tout le temps parce que ça change au gré des saisons. L'été, j'ai l'impression de vivre sur un terrain de golf. L'hiver, j'habite un chalet en Suisse. Je suis reconnaissante de ma chance, de pouvoir encore entre autres m'endormir en voyant les arbres dehors comme dans la Maison. 

Alors, c'est ça. Fidèle à mon habitude, j'étais dehors ce matin. Je contemplais. Je respirais. Et cela a marqué toute ma journée. Je suis subitement devenue lente, très lente. J'ai eu le goût de prendre le temps. Il y a eu d'abord cette ondée qui est tombée sans s'annoncer (n'est-ce pas le propre de l'ondée, d'ailleurs, d'arriver inopinément?) devant l'Homme et moi qui prenions tranquillement notre café à l'extérieur. Devant nous, c'était un rideau de douce pluie. Un petit coup de tonnerre. Un peu plus d'eau. Et le soleil est revenu. Et la chaleur aussi. 

Lentement, j'ai décidé de cuisiner deux nouvelles recettes de muffins. Une autre activité de ressourcement pour moi. Pourquoi? Parce que je sais que je vais donner pratiquement toute ma production et que je vais faire des heureux. Ça me remplit de bonheur à l'avance. Que voulez-vous, j'ai gardé mon réflexe de mère, puis de cuisinière d'Itinérance Zéro. Je me trouvais drôle ce matin en sortant mes plats. Je me sentais à la fois fébrile et toute énervée d'essayer quelque chose de nouveau. De ce temps-là, je découvre le millet. Cela a commencé par une visite de la Maison Henry-Stuart la semaine dernière. Après avoir fait le tour des lieux, nous pouvions prendre le thé et déguster un morceau de pain au citron sur la terrasse. Coup de coeur de mes papilles gustatives, le pain contenait du millet. Gros miam. On pouvait avoir la recette. Je l'ai prise, bien évidemment, et cuisiné, bien évidemment aussi.

Donc, du millet, il m'en restait. J'ai cherché et trouvé une recette de muffins aux framboises et au millet. Recoup de coeur de mes papilles gustatives. Et regros miam. L'autre recette, des muffins aux bleuets, m'a moins épatée mais elle est quand même très bonne. J'ai pris une photo du muffin aux framboises pour l'envoyer à nos nouvelles amies qui habitent l'étage du dessus. Elles voulaient goûter. Je venais de placer deux muffins. Yé!!

Même habitée de la lenteur, je me disais qu'il fallait quand même que je brûle quelques calories. J'ai donc décidé d'aller marcher en fin d'après-midi. Une autre activité qui m'énergise au boutte. Il y avait un beau vent pas trop chaud, une belle journée d'été faite pour en profiter. J'ai trouvé la nature naturelle. 


Mais je me suis attardée aussi à la nature "aménagée" à grands frais l'année dernière le long de la piste cyclable qui se trouve au bout de notre rue. Cette nature "artificielle", eh bien, elle n'a pas été entretenue du tout. Alors les belles plates-bandes, bien délimitées par du paillis, sont vite revenues à l'état sauvage. Car oui, la nature naturelle nabandonne jamais. Nous avons donc droit à un aménagement mixte avec les plantes indigènes qui revendiquent leur territoire et les plantes "sophistiquées" qui n'ont décidément pas les armes voulues pour contester quoi que ce soit. Cela donne des résultats, ma foi, étonnants.


 
Les petites fleurs bleues, là, ben elles ne devraient pas être là. 




Et les rudbeckies jaunes, ici, elles ont perdu la bataille je crois bien.

Vous savez que j'ai fait une plainte à la Ville à ce sujet. Moi j'adore les aménagements naturels. Mais j'apprécie aussi les aménagements "planifiés" sauf quand on ne les entretient pas. Si on dépense de l'argent, notre argent, pour faire des plates-bandes le long d'une piste cyclable et qu'on est pas capable ensuite de les entretenir, moi je dis qu'il faut alors laisser Dame Nature faire sa job. De toute façon, elle sait beaucoup mieux que nous et ça ne coûte rien.

Je termine avec cette réflexion qui n'a rien à voir avec les plates-bandes. Ça c'est un autre combat. J'ai constaté que la lenteur qui a caractérisé ma journée d'aujourd'hui a fait fuir un peu de ma lourdeur. C'est encourageant. Ça donne de l'espoir pour la suite. Et puis, écrire, ça fait rudement du bien aussi.



mardi 18 juillet 2023

Le temps est lourd ma Nicole


Cette phrase me trotte dans la tête depuis des jours. Elle va avec ce serrement de poitrine qui m'accompagne depuis un bout et cette tristesse toujours sur le bord d'éclater. Ça fait longtemps que je n'ai pas écrit. J'ai eu peine à me connecter au blog, cet outil que j'ai alimenté tellement souvent. Je garde tout en dedans maintenant. La pandémie, la maladie, le déménagement, c'est beaucoup pour quelqu'un qui a besoin de sécurité et de repères. J'ai tenté d'accepter sereinement tout, mais je n'y arrive pas. Voilà, c'est dit.

Alors je lutte pour ma survie et, comme la plante de la photo, je cherche la lumière. C'est de plus en plus difficile de voir de la lumière de nos jours. Je me suis rendue compte seulement récemment qu'après avoir parcouru les journaux le matin, je tombe dans les limbes de l'angoisse et du désespoir. On dirait que rien ne va plus nul part. Et que ça ne sert donc à rien de tenter d'exprimer sa frustration. D'ailleurs, là, j'ai rudement envie de lâcher le clavier. Avant de commencer à écrire, je m'étais dit pour me motiver que si je trouvais une photo qui m'inspirait, eh bien, je reprendrais du service. Je me suis donc rabattue sur cette plante résiliente que j'ai croquée la semaine dernière en parcourant mes trottoirs chéris. Oui, je suis encore la Marcheuse urbaine. C'est toujours dans la ville que j'aime le mieux aller prendre le frais. Je traîne mon cell et j'ai l'oeil à l'affût. De ce temps-là, je cherche la nature naturelle, vous savez celle qui est belle sans effort, celle qui se bat pour continuer à vivre. Comme moi.

J'en trouve toujours un bout quelque part, Dans une flaque d'eau. Entre deux craques de trottoir. Sur le bord de la rue. Dans les ruines de l'ancien jardin du couvent près duquel j'habite. Je suis surprise de la beauté qui éclate malgré tout. Malgré tout ce que l'on fait pour la détruire et l'anéantir. Des fois, on lui passe dessus avec une tondeuse, mais elle arrive à repousser. On la piétine, mais elle se redresse. On bâtit autour d'elle ou sur elle, mais elle trouve une interstice et elle se pointe le bout du nez. Elle est un exemple de résistance. Un exemple dont je devrais m'inspirer. Hélas, je suis seulement capable de l'admirer mais pas de l'imiter. Moi, je suis trop découragée et trop fatiguée pour me battre. J'arrive encore à me persuader que je peux faire une différence, que mes petits gestes ont une raison d'être et qu'ils peuvent aider. J'imagine que oui, J'espère que oui. 

Le temps est lourd ma Nicole car notre monde s'écroule. Les valeurs auxquelles je crois si fort ne signifient plus rien aujourd'hui. J'aime encore rire mais ça arrive pas mal moins souvent. Heureusement, il y a encore et toujours l'Homme pour m'accompagner dans ce parcours du combattant. Et mon trio félin dont la présence me rassure et me console.

Je viens de me relire et, oui, c'est lourd. Comment terminer avec un peu de légèreté? J'ai mis trop de plantes sur ma terrasse et je suis envahie par mes végétaux. Littéralement. J'imagine que c'est le vague à l'âme de mes plates-bandes d'antan qui m'empêche de respecter les nouvelles limites de mon micro jardin. Bon, même ça c'est encore lourd. Serait-ce ma nouvelle réalité? Je ne sais pas. Je vais y réfléchir et je vous reviens.