mardi 1 août 2023

"Vous savez, Madame, j'ai un cancer moi ...

 


... et on me donne deux mois à vivre". C'est avec cette phrase-choc que j'ai fait la rencontre d'un nouveau client de la Popote roulante la semaine dernière. Je voudrais vous dire que j'ai su trouver des mots apaisants et réconfortants en réponse à cette déclaration. Hélas non. Je suis plutôt restée sidérée sur le seuil de la porte ne sachant trop comment réagir à cette brutale déclaration. "Je prends des médicaments pour m'aider mais j'ai de la difficulté avec mon équilibre car je vois seulement d'un oeil", a-t-il poursuivi pendant que je lui tendais le sac contenant son repas. J'ai compris pourquoi peut-être il ne portait qu'un seul bas mais pas de soulier ou de pantoufle. J'ai finalement réussi à lui débiter des lieux communs genre "ça ne doit pas être facile" ou "il ne faut pas lâcher" et "je vous comprends d'être découragé". Vous savez ces phrases un peu vides, qui peuvent quand même être senties lorsqu'elles sont prononcées, mais qui ne consolent assurément pas la détresse exprimée.

Et je suis restée avec ses mots et son image dans ma tête. J'ai en moi gravé le visage de ce monsieur désemparé que j'aurais voulu serrer dans mes bras pour lui dire qu'il était aimé, compris et accompagné. J'imagine que s'il s'est confié ainsi à une parfaite inconnue c'est qu'il était probablement lui aussi sous le choc de cette terrible nouvelle. La fin qui devient soudainement proche, trop proche. Et la réalisation qu'on part seul comme on est arrivé.

Habituellement quand je reste accrochée sur quelque chose, y a une raison. Je la cherche depuis une semaine. J'ai d'abord pensé à ces gens touchés par le cancer qui vivent toutes et tous avec l'épée de Damoclès au-dessus de la tête dès le diagnostic prononcé. Même quand ça va bien, même quand on a réussi à échapper aux crocs de la bête, on a toujours peur qu'elle nous retrouve et nous dévore cette fois pour de bon. Ça pourrait être pourquoi j'entends la phrase tourner régulièrement dans mon cerveau. "Vous savez, Madame, moi j'ai un cancer". Ça me ramène à mon propre combat avec la bête et à celui mené par trop de personnes proches de moi.

Mais il a dit aussi "et on me donne deux mois à vivre". Ça aussi ça m'est rentré dedans. Comment on fait pour ne pas perdre espoir et continuer à faire les choses comme si de rien n'était? Je connais des sages qui arrivent à apprécier chaque petit instant qui reste, chaque petit bonheur qui se présente. Ils sont même capables de nous partager ces moments qui deviennent tellement précieux et à nous les faire ressentir comme si c'était nous qui mangions cette succulente mandarine le matin en savourant notre café. Ils nous rappellent l'importance d'apprécier ce dîner au resto ou ce repas partagé en famille. Ils ne nous font pas la leçon. Ils nous donnent un cadeau, celui d'apprendre à être reconnaissant, toujours et à jamais.

Alors, partant de tout ça, je dirais que je sais être reconnaissante et que je suis capable d'apprécier les petites, comme les plus grandes choses de la vie. Mon problème c'est que je voudrais que tout le monde travaille là-dessus, surtout les gens que j'aime. Je voudrais qu'ils réalisent l'importance de garder des liens forts pour ne pas regretter ensuite de ne pas avoir assez profité ensemble du temps qui nous est donné. Je ne sais pas comment on enseigne ça. Mais je déteste penser qu'il faut attendre d'être au pied du mur pour le réaliser. En même temps, des fois, faut se cogner sur le maudit mur pour se réveiller.

"Vous savez, Madame, j'ai un cancer moi et je vous ai réveillée".



 

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