samedi 19 août 2023

C'est pas grave

Bon, avant de commencer ce texte, j'ai relu certains autres blogs publiés précédemment pour me rendre compte que j'aborde un peu les mêmes thèmes depuis la pandémie. En tout cas, le moins qu'on puisse dire c'est que je ne fais pas dans la légèreté. Par ailleurs, je constate également que d'autres sujets reviennent parce qu'ils continuent de me préoccuper. Réussirais-je à dire les choses autrement cette fois, ou vais-je faire des "redites" pour reprendre une expression utilisée par une personne âgée de notre connaissance? Comme le répète l'Ami : "Tout cela a été dit des milliers de fois, encore faut-il maintenant innover". Bien d'accord, mais les sentiments humains ont-ils changé tant que ça au fil des décennies? Moi je proclame pour l'instant que c'est pas grave de revenir sur des choses qui nous importent. Voilà.



Tu vis avec deux chattes gériatriques, toutes deux malades. Les frais de vet sont, pour le moins, faramineux et réguliers. Tu sais qu'à 15 et 16 ans, leur temps est compté. Mais grâce aux pilules que tu administres quatre fois par jour et à la bonne bouffe du vet, les bidounes vont bien. Elles poursuivent leur petitebonnefemme de chemin dans la vieillesse féline. Elles mangent avec appétit. Elles courent encore et jouent un peu. Plus important, elles adorent se prélasser sur leurs coussins devant la grande fenêtre du salon et regarder dehors. Et toi tu les prends souvent, tu les caresses, tu leur donnes des milliers de baisers, tu essaies dans ta tête de te préparer à ne plus les avoir avec toi. C'est plus que difficile. C'est presque impossible. Tu souhaites seulement être à la hauteur quand le moment fatidique va se présenter.

"On va se ruiner en frais de vétérinaire. Ça n'a pas de bon sens de continuer à payer."

C'est pas grave que je me répète. Faut surtout pas que je pleure ma vie pour des chats. Je suis littéralement déchirée. Les mots sont durs, mais ils sont réalistes. Je ravale ma peine de tant aimer les chats, d'avoir ce lien si particulier avec eux. C'est pas pour rien qu'ils se perdaient toujours chez nous, comme par hasard. Je ravale parce que je n'ai pas vraiment d'argument à opposer pour justifier mes choix, sauf mon amour inconditionnel. Je ne peux rien ajouter. Gloup.


Tu reçois quand même des nouvelles de temps en temps. Tu réussis à garder un lien. Bon, pour tes textos, c'est silence radio dans la plupart des cas. C'est vrai que tu ne parles pas de choses super intéressantes, seulement de ta vie et de celle de l'Homme. Tu te fais l'illusion que, puisque tu ne les vois pas souvent, tu peux au moins les tenir au courant de ce qui vous arrive. Tu t'imagines maintenant que c'est parce que tu es devenue plate que tu suscites aussi peu d'intérêt. Tu voudrais leur dire ta peine ou au moins parler de la façon dont tu te sens, mais l'occasion ne se présente jamais car toi tu trouves que c'est le genre de conversation à avoir en face à face. Jamais ils ne te disent qu'ils s'ennuient. Seule toi semble être atteinte de cet étrange sentiment. Moins tu leur parles, et plus tu perds le fil de leur vie. Chaque fois, c'est un plus grand effort pour retrouver la page où vous vous êtes arrêtés. C'est un problème presque insoluble.

"La vie est rapide aujourd'hui. Ils sont pris dans un tourbillon. Tu vas te rendre malade si tu n'arrêtes pas de penser à ça et tu ne seras pas plus avancée."

C'est pas grave que je me dis puisque tout le monde semble trouver ma tristesse injustifiée. Je ravale donc ma peine de maman qui s'ennuie trop, qui ne peut s'empêcher de penser aux bons moments passés autrefois en famille quand c'était plus facile de se voir. Je ravale ma peine en pensant à mon dernier voeu d'anniversaire. Je voulais juste une fin de semaine, une journée ou un repas en famille. C'était bien compliqué à organiser semble-t-il. C'est pas grave. Je ravale. Des fois, je rêve à eux et je me réveille tout croche. Comme ce matin, où je ne voulais plus me lever, où je ne voulais plus parler. Et là je me trouve injuste de vouloir sans doute trop. Et je sens les larmes couler sur mes joues. C'est pas grave. Je ravale. Gloup.


Tu continues à lire les journaux et à écouter les nouvelles même si des fois tu te dis que ça ne sert à rien parce que tout va mal. En plus, ça te fout le cafard pour le reste de la journée. Mais est-ce que tu te sentiras mieux en jouant l'indifférente? Et puis, qui va continuer à se battre et à revendiquer si tout le monde abandonne, y compris toi? Tu le sais que tu vas peut-être y laisser ta peau. Oui parce que souvent ça te fait trop mal de voir ce qui se passe. Et tu te sens envahie d'une immense tristesse et d'une totale inutilité.

"Arrête de prendre le sort du monde sur tes épaules. De toute façon, tu ne peux pas sauver les gens. Tu te laisses trop envahir par la misère des autres. Il faut penser à nous d'abord."

C'est pas grave. Sans doute ils ont raison ceux qui me veulent du bien. Je ravale. Mon âme de missionnaire est blessée, mais ce n'est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. Je ne suis pas meilleure que les autres, loin de là, juste hypersensible. Ça date de mes débuts dans la vie et ça continue. J'ai toujours voulu prendre la défense des personnes seules, abusées, démunies. J'ai pas toujours eu les outils pour le faire comme j'aurais aimé le faire. Heureusement, avec les années, j'ai acquis de l'expérience et j'arrive à faire une différence qui me fait du bien à moi aussi. Je peux ainsi soulager un peu leur mal-être... et le mien. Je ravale quand même souvent mon impuissance à en faire plus. Je ravale ma révolte devant le manque de solidarité sociale, la surconsommation effrénée, le sort réservé aux plus vulnérables. C'est pas grave dit le gouvernement de ne pas avoir de médecin de famille. C'est pas grave d'avoir seulement un adulte et pas un vrai prof à planter devant une classe d'enfants. C'est pas grave de voir nos aînés se sentir de plus en plus isolés à un point tel que les demandes d'aide médicale à mourir ne cessent de progresser. C'est pas grave les feux de forêt, la pollution des usines cautionnée par nos élus, les périodes de canicule de plus en plus nombreuses. C'est pas grave les gens qui se retrouvent à la rue, incapables de dénicher un logement ou de se nourrir convenablement. C'est pas grave les migrants qui fuient des conditions de vie désastreuses et c'est pas grave ensuite de les exploiter ici dans notre beau pays. 

C'est pas grave. C'EST PAS GRAVE. C'EST PAS GRAVE.

J'ai des nouvelles pour vous. Oui, c'est grave. 

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