lundi 22 juillet 2019

Au jardin...

ou quand la vie est plus forte que tout


Ce printemps, en plus de faire face à la perte de mon Vénérable, cet érable magnifique qui régnait dans mon jardin depuis mon arrivée dans cette maison, j'ai dû également pleuré la perte de tous les espiègles qui peuplaient mon étang. La plupart d'entre eux y vivaient depuis que j'avais eu cette belle et folle idée de disposer d'un plan d'eau dans ma cour, soit près de dix ans. Au début, c'est tout ce que je voulais: une jolie mare où je pourrais me tremper les pieds avec une petite fontaine qui me permettrait de m'endormir en écoutant le bruit de l'eau. Mais la vie, comme elle en a souvent l'habitude, avait d'autres plans pour moi. C'est ainsi qu'une fois mon étang aménagé, un ami de l'Homme s'est présenté avec une chaudière dans laquelle nageaient des koîs et des poissons rouges. Il voulait éventuellement avoir un étang lui aussi mais il n'était pas encore prêt à entreprendre les travaux. Comme c'est lui qui nous avait guidés dans la réalisation de notre projet, il savait fort bien que mon étang à moi était parfaitement fonctionnel et, comme il devait se départir de ses poissons... je devenais la solution toute trouvée. Forte de mes mauvaises expériences antérieures avec un aquarium, je lui ai opposé un refus formel en insistant sur le fait que je n'avais absolument pas l'intention de me lancer dans l'élevage de poissons, encore moins à l'air libre. Évidemment, il a trouvé les mots qu'il fallait pour me convaincre du contraire en me vantant notamment la facilité avec laquelle j'arriverais à m'occuper de cette faune piscivore.

Il m'avait menti, bien sûr. Et je l'ai appris à la dure école. Toute seule. Car je ne tiens pas compte ici des quelques pauvres rudiments qu'il avait accepté de m'inculquer à la va-vite. J'ai d'abord perdu tous les koïs au premier hiver. Les pauvres, l'ai-je appris plus tard en lisant sur le sujet, n'ont pas l'endurance des poissons rouges. Ce sont les premiers cadavres que j'ai recueillis. Ensuite, j'ai dû trouver la bonne façon de gérer la qualité de l'eau, au début avec des produits chimiques, puis, maintenant, avec seulement un sac d'orge au printemps et un autre au début de l'été. Cela satisfait pleinement mes tendances écolo et mon irrépressible désir de ne mettre aucun poison dans mon jardin. Je composte, j'enlève les mauvaises herbes à la main, je fertilise avec un engrais à base d'algues, je traite les vers blancs avec les nématodes et je contrôle tant bien que mal les scarabées japonais avec des pièges contenant des phéromones. Entre autres choses.

Je vous passe la difficulté de trouver une pompe suffisamment puissante et performante pour traiter les déchets émis par une vingtaine de poissons. Je ne vous parle pas non plus de l'entretien desdites pompes (j'en ai acheté au moins quatre) et du nettoyage parfois quotidien du filtre quand la pompe n'est pas celle qu'il vous faut. Et que dire de l'importance d'avoir des plantes aquatiques pour mieux oxygéner votre bassin. Je ne savais évidemment pas que les espiègles adoraient les laitues d'eau au point de les dévorer. J'achète donc maintenant des jacinthes d'eau. J'ai mis également de côté cette fabuleuse idée d'avoir un papyrus en plein milieu de l'étang. Juste mettre des bottes pour amener le pot à l'endroit désiré représente un exploit en soi car, autre leçon durement apprise, le fond d'un étang constitué d'une toile en caoutchouc est fort glissant! J'ai donc éventuellement opté pour le papyrus en pot placé judicieusement près de l'étang, et non dans l'étang.


Il ne faut pas non plus oublier de les nourrir ces petites bêtes. Assez mais pas trop. De préférence avec une nourriture différente au printemps et à l'automne. Et il faut se munir d'un thermomètre pour connaître la température de l'eau afin de savoir quand commencer à les nourrir et quand arrêter. Ah la la ça n'en finit jamais. Et quand vous commencez à penser que vous savez un peu ce que vous faites, voilà que ces écervelés d'espiègles décident de se multiplier. Sans tenir compte de la pénurie de logement et du manque d'espace qui s'ensuivra inévitablement. C'est sans doute là un des facteurs qui a conduit à leur mort subite de l'hiver dernier. Ils étaient devenus beaucoup trop nombreux. En plus, ils avaient accepté d'accueillir tous les batraciens de passage.

Bref, c'est vraiment beau un étang, mais c'est aussi beaucoup de travail jumelé à beaucoup d'inquiétude. Les espiègles comptent par exemple plusieurs ennemis, une autre leçon apprise au fil des ans. J'ai toujours été chanceuse côté attaque venant du ciel. J'ai en effet entendu des histoires d'horreur au sujet de hérons venant vider en quelques minutes tout un bassin fourmillant de poissons. Par contre, j'ai subi des attaques félines provenant notamment de ma belle Irma qui, lorsqu'elle vivait encore dehors, démontrait toutes les qualités d'une redoutable chasseuse. Ainsi, j'ai réussi de justesse à réchapper un pauvre espiègle qu'elle avait roulé dans la terre comme du poisson pané et abandonné dans l'herbe. En m'approchant pour ramasser ce que je croyais être une dépouille, je m'aperçois que les ouïes bougent encore un peu. Je cours à toute vitesse dans le garage pour attraper une chaudière, la remplir d'eau et y mettre la proie abandonnée. Je l'ai sauvé. Et remis dans l'étang. Jusqu'à l'hiver dernier, il nageait allègrement avec quelques cicatrices qui me permettaient aisément de le reconnaître. Soupir.

Une autre fois, c'est un raton-laveur qui est venu faire son tour. Je me rappelle que j'avais terminé la veille de tout aménager l'étang à mon goût, papyrus inclus. Je me lève le lendemain matin pour constater que les plantes flottaient sur l'eau. Les pots avaient été renversés. Heureusement, les poissons étaient saufs. Nouvelle panique. Que faire contre ces ravageurs? Après avoir effectué quelques recherches, je découvre qu'il existe un appareil qui peut les éloigner en les arrosant. Nous nous sommes donc équipés d'un effaroucheur. Ça fonctionne et ça évite bien des désagréments.

Tout ça pour vous dire qu'après l'hécatombe de l'hiver dernier, je ne voulais plus de poissons. J'avais eu vraiment trop de peine à les voir tous morts au printemps. C'était sans compter sur mon amie N. qui a elle aussi un étang et à qui j'avais donné un peu du surplus de mes poissons à deux reprises. Alors, la journée où notre grand ami G. a décidé de passer l'arme à gauche, N. est venue mettre quatre mousquetaires dans mon étang. Je ne pensais pas que de voir à nouveau de la vie dans mon bassin me ferait autant de bien. Tranquillement, j'ai apprivoisé mes nouveaux arrivants. C'est quand même plus beau un étang avec des poissons dedans. Et tant qu'à avoir la pompe et tout le tralala, aussi bien avoir des mousquetaires. Ce soir, donc, en allant les nourrir et en les cherchant sous la luxuriante végétation qui agrémente le bassin, qu'est-ce que je vois? Je vous le donne en mille : plein de petits bébés poissons! Et voilà que je pleure. Car la nature est généreuse. Et la vie est forte. Non seulement j'ai retrouvé mes plantes chéries, mais je redeviens une éleveuse d'espiègles. Je vois déjà les problèmes à l'horizon. Qu'importe. Je saurai bien m'arranger. N'avais-je pas tout perdu et n'ai-je pas tout retrouvé et même plus? Merci la vie. Encore une fois.