samedi 16 septembre 2023

Full intégrée!!

C'était vendredi dernier. Fidèles à notre habitude depuis presque un an maintenant, l'Homme et moi faisons notre entrée chez Alice, petit café sympathique de notre quartier. Nous y allons religieusement deux fois par semaine, soit les jours où nous faisons la Popote roulante. C'était dans le but d'accélérer le pas le matin que nous avons décidé de prendre notre café à l'extérieur du condo quand nous faisons notre bénévolat. Sinon, en bons retraités que nous sommes, nous nous éternisons dans la lecture des journaux, dans le dédale des mots croisés et dans le brouhaha de nos conversations.

Alice est au travail derrière son comptoir discutant joyeusement avec un client. Elle est toujours comme ça Alice, souriante et super heureuse de deviser avec celles et ceux qui franchissent le pas de son commerce. Nous l'avons adoptée tout de suite. D'abord pour son absolument délicieux café, ensuite pour les douceurs qu'elle prépare de ses mains de cuisinière talentueuse et, enfin, pour toutes les attentions qu'elle démontre envers les gens, les habitués comme les autres.

Le rituel est maintenant établi. Nous entrons, nous lançons un jovial "Bon matin Alice!, ça va?" et nous attendons qu'elle verse son sublime nectar dans nos thermos. C'est sûr qu'on jette un coup d'oeil sur les gâteries du jour : scones, muffins, biscuits, barres énergétiques, etc. Difficile de résister à toutes ces tentations surtout que, de ce temps-là, Alice expérimente constamment de nouvelles recettes qu'elle n'hésite pas à nous décrire en long et en large. Comment faire pour dire non? Nous choisissons le muffin du jour aux courgettes et au chocolat.

Ensuite on se dirige dans l'autre pièce, la petite salle à manger là où la chaleur humaine remplit tout l'espace. Nos joueurs de cartes invétérés et maintenant amis sont installés à leur table habituelle. Une première partie est terminée. Comme d'habitude, A. proteste qu'il n'a jamais les bonnes cartes et qu'il ne devrait plus jouer car il perd constamment. Et, comme d'habitude, G. sourit en l'écoutant et brasse les cartes pour la deuxième partie. Ils sont absolument et totalement adorables tous les deux. Nous, on s'assoit au comptoir sur des tabourets pour regarder dehors. Du moins, c'est ce qu'on faisait au début. Plus beaucoup maintenant. On a trop de plaisir à jaser avec nos amis qui, au fil du temps, nous ont permis de connaître les autres habitués. 

Aujourd'hui, leur ami pigeon voyageur du Sud est présent. Il porte un chandail sur lequel est imprimée la face de Justin et où c'est écrit : Fuck Trudeau. Il se justifie d'être aussi brutal ce matin en nous expliquant qu'il est venu à vélo, qu'il avait eu trop chaud et qu'il était arrêté chez sa fille pour lui emprunter un chandail. Il paraît qu'elle aime contester un peu beaucoup l'ordre établi. Voilà le pourquoi du chandail! Tout le monde s'esclaffe en disant qu'on l'aime bien son chandail et cela nous donne l'occasion une fois de plus de discuter politique en insistant sur le fait que nous avons les solutions. Il suffit seulement que nos dirigeants nous écoutent enfin.

Pendant que les taquineries et les jeux de mots se multiplient, je tourne la tête vers la fenêtre et je vois J. qui se promène sur le trottoir. Il reste tout près du café. C'est un ami lui aussi. Je vais dehors et l'invite à venir nous rejoindre. Il accepte d'emblée. Et nous sommes de retour devant le comptoir d'Alice et de ses plaisirs gourmands. Je l'encourage à essayer le muffin qui était vraiment très bon. Je tente même de soudoyer Alice pour avoir sa recette. On se retrouve finalement toute une petite gang dans la pièce car M. est arrivée elle aussi. Elle demande à A. s'il a terminé de lire le journal. Celui-ci lui répond par la négative mais, comme il joue encore aux cartes, M. réclame le journal tout de go. Il obtempère finalement devant les fous rires déclenchés par la remarque de M. qui lui lance l'ultimatum de lire le journal ou de jouer aux cartes.

L'heure avance. C'est le temps de quitter pour le Patro. Nos amis savent que nous allons livrer des repas dans le quartier. Quand la température est moins clémente, ils nous encouragent de leurs bons mots. Mais là il fait beau soleil. Ils se rappellent tout de même qu'on ne sera pas là la semaine prochaine car nous partons à Gatineau. Ils nous souhaitent bon voyage, nous demandent d'être prudents et nous disent de bien en profiter. Je les remercie et réalise tout d'un coup que je vais vraiment  m'ennuyer d'eux et de nos amis du Patro. Je leur dis. C'est là que J. me déclare : "Tu vois, tu es maintenant full intégrée!".


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Anecdote anodine :

Quand je fais la Popote le vendredi, je vais dans une résidence pour personnes âgées où vit aussi un chat mascotte. Ce félin pousse le professionnalisme jusqu'à suivre des formations pour mieux accompagner les occupants de l'endroit. Je le sais, on me l'a dit. Je le crois.

Là n'est pas mon anecdote mais, comme je suis une amoureuse inconditionnelle des chats, je devais vous le mentionner. Je reprends donc mon propos. Dans l'ascenseur, se trouve toujours le calendrier des activités du mois. Comme je suis une anxieuse finie et que je ne veux rien laisser au hasard, je consulte régulièrement le tableau en me demandant ce que je trouverais à faire pour m'occuper si un jour je me retrouvais là. On ne sait jamais ce que la vieillesse et ses ravages nous réservent. Bon, mettons que j'habite ici. Qu'est-ce que je pourrais faire dans les trois jours à venir? Et là, entre les parties de bingo, le yoga chaise, la levée de fonds pour une banque alimentaire, il y a, je vous le donner en mille : le lancer de la hache! Je m'étonne. Je m'interroge. Je me demande si j'ai bien lu. Évidemment, en passant devant la réceptionniste avant de quitter les lieux, je ne peux m'empêcher d'arrêter et de lui dire : "Vous ne trouvez pas que vous avez des activités dangereuses? Vous n'avez peur de rien en tout cas." Elle me regarde sans trop comprendre évidemment. "Ben oui, le lancer de la hache, c'est pas un sport un peu extrême à pratiquer ici?". Elle sourit et me répond le plus gentiment et patiemment du monde : "Ce sont des haches en plastique". Je m'en doutais. Je voulais juste m'en assurer. Bonne fin de semaine!

jeudi 14 septembre 2023

Tout un bail!



Ben oui, j'ai eu 68 ans hier. C'est drôle car, pour la première fois de tous les anniversaires de ma vie, j'ai dit adieu à ma vieille face le soir du 13. "C'est fini, cette face-là de 67 ans, tu ne la verras plus jamais" me suis-je dit en me regardant dans le miroir. Étonnamment, ma nouvelle face ressemble à s'y méprendre à l'ancienne. J'imagine que cela va prendre plus de vingt-quatre heures avant que je puisse observer un quelconque changement du genre nouveau pli ou nouvelle ride.

Je ne peux pas dire que je trouve ça particulièrement agréable de vieillir bien que je sois reconnaissante d'être toujours là pour apprécier la vie. C'est juste que des fois c'est plus difficile de l'apprécier surtout quand je dois me mettre à genoux pour récupérer un jouet que les félins ont envoyé sous le divan du salon. Me semble qu'avant j'avais pas besoin de penser à mais comment diable vais-je faire pour me relever de cette position sans appui! Non, je me relevais, c'est tout. Même affaire quand je fais le ménage, grimpée sur un mini-tabouret pour épousseter le haut des bibliothèques. Je suis obligée de réfléchir sérieusement à la façon dont je vais descendre du foutu tabouret. Quelle jambe devrais-je reculer en premier et, encore et toujours, devrais-je prendre la peine de me trouver un appui avant de procéder à ce dangereux mouvement?

Comme me disait un de mes voisins l'autre jour : "Tous ces petits bobos et tracas viennent gratuitement avec l'âge! Pas besoin de commander!" Il a bien raison. À certains moments, les choses se présentent subtilement. Une activité qu'on faisait depuis des années sans problèmes nous cause maintenant des maux insoupçonnés. Ainsi, dans mon cas, après un squat effectué au yoga, je ressens une légère douleur sur le côté de mon genou droit. "Ça va passer," me dis-je, sans me méfier du ravage des années. Eh! bien, ça n'a pas passé et j'ai eu mal pendant des mois. Diagnostic : arthrose. Ouais. 

Mais faut pas arrêter de bouger paraît-il. Oh que non sous peine de voir notre belle machine jusque là fidèle s'encroûter à tout jamais. N'empêche, c'est pas toujours le fun de continuer. Ça demande plus d'efforts, plus de résilience. Plus de "je vis un jour à la fois", puis plus de "je vis une minute à la fois". J'ai encore perdu quelque chose, c'est pas grave, il me reste ça. C'est moins beau que la chose perdue, c'est moins agréable, en fait, c'est autre chose. Pas celle que tu voulais ou que tu aimais. Non. Autre chose.

Je peux avoir l'air pessimiste comme ça (je sais c'est à s'y méprendre) mais je ne suis pas la seule à ne pas être toujours zen. Je viens de terminer le dernier recueil de Gilles Archambault, La candeur du patriarche où, dans une trentaine de récits, il aborde sa propre vieillesse. Il ne mâche pas ses mots. Il ne joue pas à l'idéaliste. Il présente sa réalité de vieillard de 89 ans telle qu'elle est, avec ses limites, ses pertes, ses deuils. Je crois que le sujet le préoccupe fortement car il a aussi écrit ces dernières années Mes débuts dans l'éternité et Il se fait tard. Les titres font foi de tout.

"Mais pourquoi tu lis ça", vous entends-je crier? Parce que moi aussi cette question m'obsède. Moi aussi je cherche des réponses. Je me demande comment on fait pour vieillir en grâce et en sérénité. Comment on fait pour ne pas "rater sa sortie" comme M. Archambault se questionne. Je fais de l'anxiété depuis que j'ai découvert le monde. Et mon expérience des soixante-huit dernières années me confirme que rien ne va s'arranger. Mes peurs changent, mais elles demeurent. Tout comme M. Archambault, je ne crois pas que je vais acquérir plus de sagesse. On est comme on est jusqu'à la fin. On peut juste travailler à ce que ça fasse moins mal peut-être. Ou on arrive à enfin lâcher prise avant qu'il ne soit trop tard???

Alors, sur ces paroles encourageantes, je me souhaite de continuer à prendre soin de moi, de mon corps, de ma tête et de mon âme. Qui sait, peut-être que ma nouvelle tête sera pas si mal après tout. Justement je vais chez le coiffeur aujourd'hui. À plus!!