samedi 20 avril 2024

Quand on a faim de nourrir le monde

 


J'attends que la prochaine plaque de biscuits soit prête à sortir du four. C'est samedi biscuits! Des biscuits d'allaitement (habilement rebaptisés "biscuits énergie" pour éviter que certains pensent vivre une montée lactifère après y avoir goûté), biscuits donc que je cuisine régulièrement pour des mamans de mon entourage. Et toute autre personne que je décide de nourrir comme ça, parce que je ne peux tout simplement pas m'en empêcher.

Je ne sais plus trop quand j'ai commencé cette habitude de vouloir nourrir le monde. Peut-être quand le Fils est parti pour l'université? Oui, je pense que c'est là que tout a débuté. Je voulais tellement qu'il mange "santé" et je savais trop bien que, même s'il était un bon cuisinier, il n'aurait pas de temps à consacrer aux fourneaux. Alors, je congelais tout : soupes et potages, plats cuisinés, muffins et biscuits. Quand nous allions le visiter à Montréal, je remplissais littéralement son congélo. L'Homme se moquait gentiment de moi en me regardant accumuler avec frénésie petits et grands plats. Mais, bon, ça me faisait du bien de savoir que je contribuais à sa réussite scolaire en lui permettant d'avoir toujours un repas nourrissant à faire réchauffer.`

Même après la fin de ses études, j'ai continué à faire congeler des muffins pour le Fils. Il y en a eu aussi pour la Fille quand ce fut son tour de quitter la maison. J'aimais ça quand ils venaient nous rendre visite les voir repartir avec leurs petits sacs de muffins. Je réalise maintenant qu'ils emportaient ainsi un peu de moi. Cela m'a pris du temps mais j'ai bien dû me rendre à l'évidence à un moment donné : mes muffins ne suscitaient plus grand intérêt auprès de ma progéniture. Mais moi, j'avais toujours envie de cuisiner et de faire plaisir. Alors, le bénévolat est venu à ma rescousse.

J'ai commencé à cuisiner d'abord pour les employés et les bénévoles de la Soupière de l'amitié. Grand succès, évidemment. Mais comme j'étais dans cet organisme pour aider les personnes démunies du quartier, j'ai vite décidé que c'était là que je devais plutôt consacrer mes efforts. Pendant un bon bout de temps, j'ai fait des desserts pour Itinérance Zéro : 60 muffins toutes les deux semaines! J'avais choisi les muffins parce que je trouvais que c'était plus facile d'avoir ainsi des portions équilibrées. Couper un gâteau de belle façon, ce n'était pas dans mes talents. Pendant cette période, j'ai essayé toutes sortes de recettes ne voulant pas constamment refaire les mêmes. J'ai dû entre autres me perfectionner dans les muffins et les desserts aux bananes car Itinérance Zéro en recevait des caisses! Je mettais les fruits dans des sacs au congélo et je partais à la recherche d'une autre façon de les transformer en petits gâteaux, carrés ou biscuits. 

J'ai toujours essayé de cuisiner selon les saisons et je le fais encore. Alors, il y a des périodes où je me consacre aux fraises, aux bleuets, aux framboises, aux courgettes, aux carottes, etc. À l'automne, c'est sûr que je prépare ma purée de citrouille. Pas question d'utiliser un mélange tout fait!! De toute façon, ça ne goûte pas aussi bon. J'essaie toujours de découvrir de nouveaux ingrédients en plus des nouvelles recettes. L'année dernière, j'ai eu un coup de coeur pour le millet après avoir savouré un pain au citron qui en contenait. Je me confesse : je ne connaissais pas du tout le millet dans la cuisine. J'ai donc reproduit la recette qui m'avait séduite et j'ai rapidement trouvé une recette de biscuits aux framboises avec du millet. Un vrai délice! 

Plus récemment, grâce aux nouvelles mamans, j'ai découvert la levure de bière, ingrédient essentiel dans les biscuits d'allaitement. J'aime ça répondre à la demande. Et aussi, j'aime provoquer la demande. Rien ne me fait davantage plaisir que de trouver un nouveau client. À la Popote roulante, je gâte les bénévoles tous les mardis lesquels sont maintenant désignés comme étant les "Mardis Merveilleux Muffins" ou, plus simplement, les MMM. L'Homme me trouve parfois intense quand je recrute des adeptes. C'est que je veux tellement apporter du bonheur autour de moi. Alors, je garde l'oeil et le coeur ouverts et j'offre mes créations à des personnes moins nanties et pas équipées pour cuisiner, à d'autres qui sont seules ou malades, à certaines qui travaillent fort et ne sont pas toujours remarquées, bref, à tout le monde à qui je peux faire plaisir.

Ce que je trouve difficile c'est quand on arrive à me faire sentir coupable de cuisiner des desserts. Je sais que ce n'est pas nécessairement le meilleur aliment pour la santé bien que je m'efforce d'utiliser les ingrédients les plus naturels possibles. Je n'hésite pas à inclure de la farine de blé entier, de la farine d'avoine, des graines de lin ou de tournesol, des noix, des fruits. Mais c'est sûr que ce ne sont pas des muffins qui respectent les standards "diététiques" de la bonne alimentation. En même temps, je ne force la main (ni la bouche) de personne. Et je comprends parfaitement que l'on préfère passer outre pour éviter d'ingérer des calories inutiles. 

Je m'inquiète quand même parfois de ce désir intense de donner de la nourriture. On dirait qu'il augmente avec le temps qui passe. De fait, je constate que plus ça va mal dans le monde, plus je cuisine. Je pense que c'est ma façon de gérer l'anxiété qui me ronge devant les images horribles de la guerre et l'absence totale d'empathie de ceux qui pourraient changer le cours des choses. Je ne suis pas un travailleur humanitaire, loin de là, mais c'est ma manière de panser des blessures et d'apporter un peu de réconfort aux gens que je croise. 

Quand j'offre un muffin, je donne une partie de mon coeur et je viens témoigner de l'amour que je porte au monde. Oui j'ai faim de partage et de solidarité. Alors, comment arriver à nourrir un monde qui s'enlise toujours plus dans la violence et la cruauté? Pour moi, c'est un muffin à la fois.




samedi 20 janvier 2024

C'est assez!


Comme je le fais depuis quelques années déjà, j'ai feuilleté des magazines pour découvrir les mots ou les images qui me parlent en ce début de 2024. Je les utilise ensuite pour faire un collage en lieu et place des traditionnelles résolutions. C'est un truc de psy et je trouve que ça fonctionne super bien. C'est très révélateur en fait. Par exemple, j'ai immédiatement découpé C'est assez! Deux mots et un point d'exclamation. Ils me collent à la peau. Ils me hantent la tête. Pourquoi? Oui, assez de quoi au juste? Cela me turlupine depuis plus d'une semaine. 

Autour de ces deux mots que j'ai collés en plein milieu de mon carton rose, j'ai ajouté deux phrases : Je me renforce de l'intérieur et Je me mets sur pause. Si je comprends bien, je travaille à m'améliorer mais... en relaxant. On va dire plutôt en prenant soin de moi. En y allant mollo. Faut dire que ça prend du temps pour se construire des bases solides, pour se sentir en confiance, pour être forte dans l'adversité, pour savoir se respecter et prendre des décisions en fonction de ses valeurs. Ouais, des valeurs qui, à raison, ne sont pas nécessairement et j'ajouterais rarement celles des autres. Nos valeurs nous sont propres. Des fois, elles rejoignent l'air du temps mais vraiment pas toujours. Alors, faut se tenir debout, expliquer des fois, se justifier (je déteste), pleurer (je déteste encore plus) et se mettre sur pause pour prendre un pas de recul et réfléchir.

Sur mon carton, il y a aussi des aînés qui se tiennent par les épaules et des mains empilées les unes sur les autres en signe de solidarité et de partage. Les aînés regardent en avant, ils sont debout, tournés vers ce qui s'en vient. Parce que je fais partie du lot maintenant, je suis davantage à l'écoute de ce besoin que je ressens plus viscéralement d'être unis pour affronter le "bel âge", expression souverainement détestée par maman qui ne voyait pas ce qu'il y avait de beau à tomber en décrépitude. J'avoue que je partage souvent son point de vue. Même quand la santé est au rendez-vous, il y a quand même toujours des morceaux qui grincent. D'où l'importance de fréquenter régulièrement, mais pas exclusivement, des modèles de notre âge. En effet, cela permet notamment de vérifier la véracité du vieil adage qui prétend que quand on se compare, on se console! Je rigole un peu là. Pour dire les choses comme elles sont, cela me rassure et me fait un bien immense d'échanger avec des gens qui ont des repères semblables aux miens. Tout d'un coup, je ne suis plus cette vieille chose qui ne comprend rien à l'intelligence artificielle et je deviens une rebelle qui persiste et signe à lire un journal en papier!! Voilà que je ne suis plus une mère qui n'arrive pas à se remettre du nid vide mais plutôt une femme qui a aimé de tout son coeur et qui se languit de sa progéniture. Ben oui, je suis comprise. Je me retrouve avec des gens qui partagent le même langage que moi. Maudit que c'est trippant ce merveilleux sentiment de ne plus être considérée juste comme une fatigante mais comme une personne qui a encore des projets et qui rêve toujours d'un monde plus juste où règnent la solidarité, le partage, la douceur et la joie.

Parlant de monde, à la gauche de mon carton, j'ai collé une image de notre pauvre vieille Terre entourée de ruines avec au-dessus le mot Survivre. Voilà tout un défi pour une époque pas joyeuse du tout. J'ai un malaise persistant, né pendant la pandémie, d'assister à la fin du monde. Des fois je me sens presque soulagée à la pensée que je vais mourir avant de voir notre Terre bafouée, défigurée, détruite à tout jamais. Et puis, je suis fatiguée d'entendre les mêmes discours, les cassettes répétées à l'infini, les fausses promesses, les semblants de vérités, les explications boiteuses, les excuses pas sincères du tout et je n'en peux plus d'être prise littéralement pour une conne. Comme si je n'avais pas déjà entendu tout ça des milliers de fois en soixante-huit ans de vie. J'attends encore des résultats. Dans le fond, pourquoi vouloir à tout prix survivre à ça? Je ne sais même plus pourquoi je m'entête à me tenir au courant des actualités. J'espère vainement voir se réaliser au moins un projet, être témoin d'au moins une chose qui fonctionne bien. Hélas, cela semble peine perdue.

Alors, il devient plus clair mon cri de ras-le-bol. C'est assez d'attendre d'être acceptée pour ce que je suis. Et c'est assez d'attendre que les choses s'améliorent dans notre société égocentrique. Je me souhaite donc, pour 2024, de m'aimer inconditionnellement (qui m'aime me suive) et de continuer à prendre soin des autres. Du mieux que je peux. Tout ça en poussant, mais en poussant égal.

lundi 20 novembre 2023

Vaut-il mieux en rire qu'en pleurer?

"T'as vu, j'ai publié un nouvel article dans mon blog?", que je dis à l'Amie A. "Non", qu'elle me répond. "Est-ce qu'il est drôle?", ajoute-t-elle. "Pas vraiment", que je suis obligée de lui avouer. "Pourquoi?" que je demande. "Parce que moi j'aime ça quand tu es drôle". Ouais. Ça s'adonne que moi aussi je m'aime mieux quand je suis drôle. Je n'ai pas osé lui dire que je me suis rendue compte depuis un bon bout que, même si j'ai toujours le sens de l'humour, je ne trouve plus grand chose pour me dilater la rate.

Ainsi, devant ce constat déprimant, avais-je déjà décidé la semaine dernière de me concocter une affiche pour tenter de retrouver et, pourquoi pas, découvrir des sources de bonne humeur et de joie de vivre. "Tu vas voir", que j'ai annoncé à l'Homme un beau matin, "ça va nous remonter le moral de prendre conscience des activités qui nous font du bien". Un peu récalcitrant quand même car il me trouve toujours  trop intense, l'Homme propose néanmoins d'ajouter au-dessus des deux bonshommes sourire que je viens de dessiner la mention "Les joyeux troubadours de Charlesbourg". J'adore ça quand il s'enthousiaste pour mes projets farfelus. 

Ça fait donc une semaine que notre baromètre du rire est installé sur le mur de la salle à manger. Nous avons l'ambition de trouver au moins 25 choses qui nous font du bien d'ici Noël. Nous en avons inscrit 4 jusqu'à maintenant. Nous sommes en panne de rigolade depuis quelques jours. Faut mentionner que, désespérés de ne rien observer de probant, nous nous sommes même résolus un matin à chercher des sites de blagues plates sur Internet. On ne riait pas trop au début mais, à force de lire des stupidités, l'éclat de rire est venu : mission accomplie! Un autre jour, j'ai proposé à l'Homme de faire de la rigolothérapie. Nous voilà tous les deux forçant nos rires dans une tentative extrême de sécréter les endorphines bienfaisantes. C'était une tentative avortée, dirais-je, aussi j'ai pris la décision de ne pas l'ajouter au tableau. Malheur aux joyeux troubadours, toujours en panne de facéties.

Je ne comprends pas trop pourquoi je ne ris pas étant donné que le monde qui m'entoure ne cesse de me fournir une abondance de matériel absolument hilarant. Par exemple, comment oublier le jour où une ministre bien connue est arrivée avec une grosse pile de cartables pour nous annoncer, sans rire elle, que le troisième lien, ben, c'est pas viable. Les études le prouvent et elle les a toutes lues. On passe enfin à un autre appel. Elle a vu la lumière au bout du tunnel! Pas si longtemps plus tard, toujours dans la même galaxie, son cheuf, qui a perdu une élection aux mains de rivaux autrefois ses alliés, nous annonce solennellement qu'il faut absolument un troisième lien et ça presse! Au diable les études, elles étaient sans doute faussées et mal interprétées. Les revirements dans ce dossier, les études innombrables réalisées, les fonds dépensés, les débats stériles et interminables, tout cela relève du plus pur vaudeville. Je devrais me tordre de rire. Pourquoi diable ai-je juste envie de crier mon écoeurantite aigue?

Comme si ce n'était pas assez, voilà que le même cheuf, toujours en train de bouder sa défaite, décide que l'autre projet de transport en commun, le fameux tramway pour ne pas le nommer, ben c'est 
peut-être pas ce qu'il faut pour Québec. Alors, on remet les compteurs à zéro. On va refaire des études. On va confier le dossier à quelqu'un d'autre et tant pis si on perd un autre six mois, les fonds promis par le fédéral et tout l'argent déjà investi dans les travaux préparatoires et autres aspects du dossier. C'est vraiment drôle ça, non? En mon for intérieur, je suis absolument convaincue que je vais être morte avant de voir un seul rail installé. 

Mais poursuivons dans l'hilarité politique et la déconnexion totale de nos représentants avec la réalité du petit peuple. Ce dernier, on le sait, se satisfait simplement de pain et de jeux. Après avoir prédit une période économique difficile, le grand argentier du cheuf frustré se reprend quelques jours plus tard en distribuant des millions de dollars à des milliardaires pour venir jouer au hockey pendant deux semaines dans l'éléphant blanc construit à grands frais pour une équipe fantôme. Vous avez déjà de la difficulté à reprendre votre souffle devant cette immense blague, que dire du fait que l'annonce a été faite devant une banque alimentaire où des personnes font la file quotidiennement pour arriver à se mettre quelque chose dans le ventre. J'ajoute à la farce en rappelant que les banques alimentaires n'ont pas eu l'argent demandé dans le dernier budget présenté par le cheuf et que le montant refusé correspond pas mal à la "subvention" accordée aux riches patineurs. Si ça, ce n'est pas tordant, je ne sais pas ce qu'il vous faut pour vous dérider!

Trois petits exemples donc qui me causent colère et découragement. J'aime mieux ne pas penser aux augmentations des députés et au refus d'offrir des conditions décentes aux profs, infirmières et employés de l'État. Cela me déprime totalement. Je me rabats sur notre système de santé où malades et personnes soignantes sont tous en train d'y laisser leur peau. Un autre beau sujet. Je passe sous silence les guerres et les images atroces qui abreuvent quotidiennement nos écrans. 

Je sais que je ne peux pas porter le sort du monde sur mes épaules. Je sais que je ne peux empêcher la maladie de frapper. Je sais aussi que mes valeurs familiales sont désuètes et qu'elles doivent être rafraîchies à la sauce de la nouvelle modernité que je ne comprends pas toujours et qui, franchement, me cause elle aussi souvent une écoeurantite aigue. Tout cela m'empêche donc parfois de rire. Oui, car il arrive trop souvent que la conscience de tout ce qui va mal s'empare de mon esprit et que la joyeuse troubadour, au lieu de s'esclaffer, s'effondre en pleurs. Qu'à cela ne tienne, je vais le remplir mon tableau et je crois que, pour arriver à mon objectif, je vais dorénavant y inscrire la bêtise humaine. En moins de temps qu'il n'en faut pour rire, j'aurai le sourire du clown... triste.


 Merci l'Amie A. qui m'a inspiré ce texte.

samedi 18 novembre 2023

La porte fermée

Je frappe plus fort. Pour la troisième fois au moins. Je commence à avoir peur de déranger les voisins. Mais il n'y a toujours pas de réponse. Je commence à m'inquiéter. Bon, ce n'est pas la première fois qu'un client de la Popote roulante ne répond pas lorsque je vais livrer. Les raisons sont multiples et, pour la plupart du temps, anodines. La personne s'est endormie devant la télé qui joue trop fort et elle n'entend ni cognement, ni sonnerie. Ou elle s'est recouchée après une mauvaise nuit. Des fois, elle a oublié qu'elle avait un rendez-vous médical et n'a pas annulé son repas. Plus simplement, il arrive aussi qu'elle ne se rappelle juste pas que c'est jour de Popote et elle a décidé de sortir à l'heure où nous livrons habituellement.

Devant la porte toujours muette, je me demande quoi faire. Dans le cas qui m'occupe, il s'agit d'une personne seule, très fragile. De plus, sa porte n'est d'ordinaire pas barrée. Mais pas aujourd'hui. J'ai essayé la poignée qui refuse obstinément de tourner et de me laisser entrer en poussant le bonjour le plus enjoué dont je suis capable. Oui, je dois souvent penser à prendre un ton gai et à m'accrocher un sourire aux lèvres. Car il y a des jours où ce n'est pas la situation précaire de plusieurs des personnes aidées qui me préoccupe mais bien mon moi intérieur anxiogène qui a pris trop de place. Dans ce temps-là, mon jovial bonjour est davantage réfléchi, moins spontané. Mais même quand je suis submergée par mes émotions, je m'efforce d'offrir un moment agréable aux personnes à qui je vais porter les repas. Souvent même leur résilience vient mettre un baume sur mon âme écorchée. Comme j'en ai encore à apprendre! Et ces belles leçons d'humanité que j'ai la chance de recevoir régulièrement me donnent encore plus d'élan pour poursuivre ma mission. Alors, bien que le moment passé avec ces magnifiques personnes soit court, je trouve important qu'il soit le plus significatif possible. Moi j'ai la chance d'avoir l'Homme, ma famille, des amis autour de moi. Je peux encore faire des activités pour me changer les idées, notamment marcher et faire du yoga. Malheureusement, ce n'est pas le lot de la majorité de nos clients. Conclusion : si je suis la seule personne dont ils verront la face dans la journée, aussi bien que je sois à la hauteur. 

Je suis toujours devant la porte. Je fixe les chiffres qui y sont apposés. Je suis bien au bon étage et au bon appartement. Pourquoi diable est-ce que je n'entends rien à l'intérieur? Devrais-je vous faire fi des scénarios catastrophes dont mon esprit créatif et prompt à la panique s'est déjà rempli? Et si la personne était tombée depuis plusieurs heures, incapable d'attraper le téléphone pour demander de l'aide? Ou bien, elle a eu un sérieux malaise et on va la retrouver inconsciente dans son lit, voire morte! Je repasse mes choix dans ma tête : je rapporte le repas à la Popote et signale aux responsables que la personne n'a pas répondu ou je retourne à l'entrée de l'immeuble pour sonner de nouveau à l'appart et espérer une réponse. C'est ce que je décide de faire.

Devant le tableau indicateur, je recompose les numéros. Ça sonne. Un coup, deux coups, trois coups. Une éternité!! Enfin, une voix toute faible répond. Je dis : "C'est Nicole, de la Popote. Je ne peux pas entrer dans l'appart, votre porte est barrée". "Donnez-moi une minute", qu'elle me répond. Une autre éternité passe. Qu'est-ce que Woody Allen déclarait à ce propos? Ah! oui, l'éternité c'est long, surtout vers la fin. Heureusement, avant que ma fin ne vienne, la porte de l'immeuble s'ouvre et je peux reprendre l'ascenseur. Arrivée à l'appart, je constate cette fois que la porte est entrouverte. Soupir et soulagement!!

Madame va bien. Elle a juste passé une mauvaise nuit et s'est rendormie. Qu'est-ce que je vous disais que ça pouvait arriver ce genre de situation! Je suis tellement heureuse de la voir se débarbouiller au lavabo de la salle de bain. Et elle, tout aussi heureuse parce qu'elle va manger du pâté au saumon. Tout est bien qui finit bien.

N'empêche. J'ai eu peur de la perdre. Devant sa porte close, je me suis dit qu'un jour, je devrai pourtant faire face à la musique. Ça fait trois ans que je la connais. Que je jase avec elle toutes les semaines. Que je l'encourage quand ça va moins bien. Je m'y suis attachée comme à la plupart de mes clients. C'est juste que, depuis vendredi, j'ai toujours dans ma tête cette image de la porte fermée et dans ma poitrine le serrement qui m'a envahi à la pensée que je l'avais peut-être perdue à tout jamais. Ben voyons, d'aucuns d'entre vous me diront, c'est une étrangère, pas un membre de la famille quand même. Ouais, pas pour moi.

D'abord, depuis que je bénévole auprès des plus démunis de notre société, je n'ai cessé de rencontrer des personnes lumineuses, extraordinaires et pleines de ressources. Elles m'ont fait grandir dans ma tête et dans mon coeur. Certaines sont devenues des amies, d'autres des personnes qui m'étaient très chères. Et oui, j'ai déjà fait face au grand départ, à plus d'une reprise malheureusement. Quand on oeuvre dans ce genre de milieu (j'ai aussi bénévolé en CHSLD), on marche souvent sur la corde raide. La vie, la mort, ça s'entrecroise continuellement. Et je ne suis jamais prête à lâcher prise parce que je les aime plus que tout. Je pensais être mieux préparée à cause des autres pertes que j'ai vécues. Force m'est d'admettre que non.

Mais avant que la porte se ferme pour de bon, je dois absolument me rappeler de profiter de toutes les parcelles de bonheur, de présence et de joie qu'il me reste à vivre jusqu'au bout du chemin. Jusqu'aux étoiles filantes.

Pour toi Karl Tremblay, homme plus grand que nature



samedi 16 septembre 2023

Full intégrée!!

C'était vendredi dernier. Fidèles à notre habitude depuis presque un an maintenant, l'Homme et moi faisons notre entrée chez Alice, petit café sympathique de notre quartier. Nous y allons religieusement deux fois par semaine, soit les jours où nous faisons la Popote roulante. C'était dans le but d'accélérer le pas le matin que nous avons décidé de prendre notre café à l'extérieur du condo quand nous faisons notre bénévolat. Sinon, en bons retraités que nous sommes, nous nous éternisons dans la lecture des journaux, dans le dédale des mots croisés et dans le brouhaha de nos conversations.

Alice est au travail derrière son comptoir discutant joyeusement avec un client. Elle est toujours comme ça Alice, souriante et super heureuse de deviser avec celles et ceux qui franchissent le pas de son commerce. Nous l'avons adoptée tout de suite. D'abord pour son absolument délicieux café, ensuite pour les douceurs qu'elle prépare de ses mains de cuisinière talentueuse et, enfin, pour toutes les attentions qu'elle démontre envers les gens, les habitués comme les autres.

Le rituel est maintenant établi. Nous entrons, nous lançons un jovial "Bon matin Alice!, ça va?" et nous attendons qu'elle verse son sublime nectar dans nos thermos. C'est sûr qu'on jette un coup d'oeil sur les gâteries du jour : scones, muffins, biscuits, barres énergétiques, etc. Difficile de résister à toutes ces tentations surtout que, de ce temps-là, Alice expérimente constamment de nouvelles recettes qu'elle n'hésite pas à nous décrire en long et en large. Comment faire pour dire non? Nous choisissons le muffin du jour aux courgettes et au chocolat.

Ensuite on se dirige dans l'autre pièce, la petite salle à manger là où la chaleur humaine remplit tout l'espace. Nos joueurs de cartes invétérés et maintenant amis sont installés à leur table habituelle. Une première partie est terminée. Comme d'habitude, A. proteste qu'il n'a jamais les bonnes cartes et qu'il ne devrait plus jouer car il perd constamment. Et, comme d'habitude, G. sourit en l'écoutant et brasse les cartes pour la deuxième partie. Ils sont absolument et totalement adorables tous les deux. Nous, on s'assoit au comptoir sur des tabourets pour regarder dehors. Du moins, c'est ce qu'on faisait au début. Plus beaucoup maintenant. On a trop de plaisir à jaser avec nos amis qui, au fil du temps, nous ont permis de connaître les autres habitués. 

Aujourd'hui, leur ami pigeon voyageur du Sud est présent. Il porte un chandail sur lequel est imprimée la face de Justin et où c'est écrit : Fuck Trudeau. Il se justifie d'être aussi brutal ce matin en nous expliquant qu'il est venu à vélo, qu'il avait eu trop chaud et qu'il était arrêté chez sa fille pour lui emprunter un chandail. Il paraît qu'elle aime contester un peu beaucoup l'ordre établi. Voilà le pourquoi du chandail! Tout le monde s'esclaffe en disant qu'on l'aime bien son chandail et cela nous donne l'occasion une fois de plus de discuter politique en insistant sur le fait que nous avons les solutions. Il suffit seulement que nos dirigeants nous écoutent enfin.

Pendant que les taquineries et les jeux de mots se multiplient, je tourne la tête vers la fenêtre et je vois J. qui se promène sur le trottoir. Il reste tout près du café. C'est un ami lui aussi. Je vais dehors et l'invite à venir nous rejoindre. Il accepte d'emblée. Et nous sommes de retour devant le comptoir d'Alice et de ses plaisirs gourmands. Je l'encourage à essayer le muffin qui était vraiment très bon. Je tente même de soudoyer Alice pour avoir sa recette. On se retrouve finalement toute une petite gang dans la pièce car M. est arrivée elle aussi. Elle demande à A. s'il a terminé de lire le journal. Celui-ci lui répond par la négative mais, comme il joue encore aux cartes, M. réclame le journal tout de go. Il obtempère finalement devant les fous rires déclenchés par la remarque de M. qui lui lance l'ultimatum de lire le journal ou de jouer aux cartes.

L'heure avance. C'est le temps de quitter pour le Patro. Nos amis savent que nous allons livrer des repas dans le quartier. Quand la température est moins clémente, ils nous encouragent de leurs bons mots. Mais là il fait beau soleil. Ils se rappellent tout de même qu'on ne sera pas là la semaine prochaine car nous partons à Gatineau. Ils nous souhaitent bon voyage, nous demandent d'être prudents et nous disent de bien en profiter. Je les remercie et réalise tout d'un coup que je vais vraiment  m'ennuyer d'eux et de nos amis du Patro. Je leur dis. C'est là que J. me déclare : "Tu vois, tu es maintenant full intégrée!".


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Anecdote anodine :

Quand je fais la Popote le vendredi, je vais dans une résidence pour personnes âgées où vit aussi un chat mascotte. Ce félin pousse le professionnalisme jusqu'à suivre des formations pour mieux accompagner les occupants de l'endroit. Je le sais, on me l'a dit. Je le crois.

Là n'est pas mon anecdote mais, comme je suis une amoureuse inconditionnelle des chats, je devais vous le mentionner. Je reprends donc mon propos. Dans l'ascenseur, se trouve toujours le calendrier des activités du mois. Comme je suis une anxieuse finie et que je ne veux rien laisser au hasard, je consulte régulièrement le tableau en me demandant ce que je trouverais à faire pour m'occuper si un jour je me retrouvais là. On ne sait jamais ce que la vieillesse et ses ravages nous réservent. Bon, mettons que j'habite ici. Qu'est-ce que je pourrais faire dans les trois jours à venir? Et là, entre les parties de bingo, le yoga chaise, la levée de fonds pour une banque alimentaire, il y a, je vous le donner en mille : le lancer de la hache! Je m'étonne. Je m'interroge. Je me demande si j'ai bien lu. Évidemment, en passant devant la réceptionniste avant de quitter les lieux, je ne peux m'empêcher d'arrêter et de lui dire : "Vous ne trouvez pas que vous avez des activités dangereuses? Vous n'avez peur de rien en tout cas." Elle me regarde sans trop comprendre évidemment. "Ben oui, le lancer de la hache, c'est pas un sport un peu extrême à pratiquer ici?". Elle sourit et me répond le plus gentiment et patiemment du monde : "Ce sont des haches en plastique". Je m'en doutais. Je voulais juste m'en assurer. Bonne fin de semaine!

jeudi 14 septembre 2023

Tout un bail!



Ben oui, j'ai eu 68 ans hier. C'est drôle car, pour la première fois de tous les anniversaires de ma vie, j'ai dit adieu à ma vieille face le soir du 13. "C'est fini, cette face-là de 67 ans, tu ne la verras plus jamais" me suis-je dit en me regardant dans le miroir. Étonnamment, ma nouvelle face ressemble à s'y méprendre à l'ancienne. J'imagine que cela va prendre plus de vingt-quatre heures avant que je puisse observer un quelconque changement du genre nouveau pli ou nouvelle ride.

Je ne peux pas dire que je trouve ça particulièrement agréable de vieillir bien que je sois reconnaissante d'être toujours là pour apprécier la vie. C'est juste que des fois c'est plus difficile de l'apprécier surtout quand je dois me mettre à genoux pour récupérer un jouet que les félins ont envoyé sous le divan du salon. Me semble qu'avant j'avais pas besoin de penser à mais comment diable vais-je faire pour me relever de cette position sans appui! Non, je me relevais, c'est tout. Même affaire quand je fais le ménage, grimpée sur un mini-tabouret pour épousseter le haut des bibliothèques. Je suis obligée de réfléchir sérieusement à la façon dont je vais descendre du foutu tabouret. Quelle jambe devrais-je reculer en premier et, encore et toujours, devrais-je prendre la peine de me trouver un appui avant de procéder à ce dangereux mouvement?

Comme me disait un de mes voisins l'autre jour : "Tous ces petits bobos et tracas viennent gratuitement avec l'âge! Pas besoin de commander!" Il a bien raison. À certains moments, les choses se présentent subtilement. Une activité qu'on faisait depuis des années sans problèmes nous cause maintenant des maux insoupçonnés. Ainsi, dans mon cas, après un squat effectué au yoga, je ressens une légère douleur sur le côté de mon genou droit. "Ça va passer," me dis-je, sans me méfier du ravage des années. Eh! bien, ça n'a pas passé et j'ai eu mal pendant des mois. Diagnostic : arthrose. Ouais. 

Mais faut pas arrêter de bouger paraît-il. Oh que non sous peine de voir notre belle machine jusque là fidèle s'encroûter à tout jamais. N'empêche, c'est pas toujours le fun de continuer. Ça demande plus d'efforts, plus de résilience. Plus de "je vis un jour à la fois", puis plus de "je vis une minute à la fois". J'ai encore perdu quelque chose, c'est pas grave, il me reste ça. C'est moins beau que la chose perdue, c'est moins agréable, en fait, c'est autre chose. Pas celle que tu voulais ou que tu aimais. Non. Autre chose.

Je peux avoir l'air pessimiste comme ça (je sais c'est à s'y méprendre) mais je ne suis pas la seule à ne pas être toujours zen. Je viens de terminer le dernier recueil de Gilles Archambault, La candeur du patriarche où, dans une trentaine de récits, il aborde sa propre vieillesse. Il ne mâche pas ses mots. Il ne joue pas à l'idéaliste. Il présente sa réalité de vieillard de 89 ans telle qu'elle est, avec ses limites, ses pertes, ses deuils. Je crois que le sujet le préoccupe fortement car il a aussi écrit ces dernières années Mes débuts dans l'éternité et Il se fait tard. Les titres font foi de tout.

"Mais pourquoi tu lis ça", vous entends-je crier? Parce que moi aussi cette question m'obsède. Moi aussi je cherche des réponses. Je me demande comment on fait pour vieillir en grâce et en sérénité. Comment on fait pour ne pas "rater sa sortie" comme M. Archambault se questionne. Je fais de l'anxiété depuis que j'ai découvert le monde. Et mon expérience des soixante-huit dernières années me confirme que rien ne va s'arranger. Mes peurs changent, mais elles demeurent. Tout comme M. Archambault, je ne crois pas que je vais acquérir plus de sagesse. On est comme on est jusqu'à la fin. On peut juste travailler à ce que ça fasse moins mal peut-être. Ou on arrive à enfin lâcher prise avant qu'il ne soit trop tard???

Alors, sur ces paroles encourageantes, je me souhaite de continuer à prendre soin de moi, de mon corps, de ma tête et de mon âme. Qui sait, peut-être que ma nouvelle tête sera pas si mal après tout. Justement je vais chez le coiffeur aujourd'hui. À plus!!


lundi 21 août 2023

"Meilleur que la vraie affaire!"



C'est le temps des récoltes. Les fruits et les légumes nous tendent littéralement les bras. Les soeurs et moi avons donc décidé de cuisiner un bouilli pour recevoir papa en fin de semaine. Je propose de m'occuper du dessert. Après avoir pensé à différentes possibilités, voilà que me vient soudainement l'envie de faire une recette découverte pour la première fois alors que je travaillais à la direction des Langues officielles du ministère des Communications, à Ottawa. C'était dans une autre vie. Pourquoi tous ces vieux détails? Parce qu'en cherchant la recette hier dans le livre intitulé Recettes préférées du MDC/DOC Favourite Recipes (on est bilingue ou on l'est pas et, dans mon temps, la fonction publique fédérale était bilingue parfois à en être ridicule), j'ai eu un petit frisson genre comme dans les films d'horreur où tu pressens quelque chose que tu n'es pas certain d'identifier. Je vous le donne en mille : c'était cette fameuse nostalgie des temps anciens, du autrefois passé à la vitesse de l'éclair!

D'abord le livre de recettes. Un pauvre recueil mis en page et spiralé par des employés du Ministère afin qu'il puisse ensuite être offert en vente pour ramasser des sous dans le cadre de la campagne annuelle de Centraide. Je me souviens de l'appel à contribuer que nous avions reçu afin de recueillir suffisamment de recettes pour avoir un produit acceptable à présenter. Je me suis donc amusée hier à parcourir les pages en cherchant dans les recettes fournies les noms d'ex-collègues de l'époque. Je me sentais toute drôle. C'est comme si tout d'un coup je retournais en arrière. Maudit que j'ai eu du fun dans mon travail de fonctionnaire! J'y ai rencontré des gens extraordinaires dont certains sont devenus des amis très chers que je fréquente toujours.

Mais revenons à cette fameuse recette et à ces années où je travaillais aux Langues officielles. C'était dans les années 80. Nous formions toute une équipe de joyeux convaincus de notre mission qui consistait principalement à faire respecter la Loi sur les langues officielles au Ministère. Combien de combats avons-nous livré pour qu'une conférence soit offerte dans les deux langues ou qu'une publication destinée aux employés sorte simultanément en français et en anglais? Combien de réceptionnistes (ça c'étaient des personnes qui répondaient au téléphone pour toi et qui te remettaient des messages sur des petits papiers jaunes - une aberration aujourd'hui à l'heure des cellulaires et des boîtes vocales) avons-nous fustigé parce qu'ils ne répondaient pas dans les deux langues lorsque nous faisions nos enquêtes "anonymes" pour démasquer les récalcitrants? Nous étions des irréductibles Gaulois et nous ne manquions pas d'audace. Mes deux patrons profitaient même de l'heure du lunch pour espionner les bureaux de Postes Canada/Canada Post situés de l'autre côté de la rue où logeaient nos pénates. Cette agence avait le don de choisir des employés unilingues pour son comptoir postal. Invariablement, à la question "Est-ce que je pourrais avoir un timbre, s.v.p.?", ils répondaient "Sorry, I don't speak French!". Bam! On faisait une plainte au commissaire aux Langues officielles. On ratissait large.

Bon, la recette. C'est sûr qu'on a dû en discuter autour de notre café le matin. C'était mon moment préféré de la journée. On arrivait tous très tôt, certains pour éviter le trafic, d'autres pour être en mesure d'aller chercher les enfants à la garderie après le boulot. Nous, aux Langues officielles, on faisait le café pour tout l'étage. Oui, oui. Mon patron, qui vivait à Orléans by the beach et arrivait aux aurores, avait décidé de lancer ce projet qui nous permettait d'amasser des fonds pour notre lunch de Noël. Il prenait donc le temps de moudre le nectar divin pour nos trois cafetières qui offraient du café noir normal, du café décaféiné et du café avec une saveur. Il faisait aussi la facturation de nos "clients" tous les lundis. On dirait comme ça qu'on perdait du temps, que nenni!! Bien des petits et gros problèmes se réglaient autour de la table à café et de façon beaucoup plus efficace que par les voies officielles. C'était l'époque du "présentiel" même si on ne savait pas que c'était ça qu'on faisait. Tous les jours, on se racontait notre soirée, notre souper, les frasques des petits. On discutait de nos émissions de télé ou on parlait politique. On se donnait des trucs de bricolage, de jardinage, de ménage, d'élevage d'enfants. On fumait aussi, les cendriers directement posés sur les tables et les bureaux. Je me demande encore comment il se fait que je n'étais pas plus incommodée par la fumée, la force de l'habitude sans doute.

Je crois que c'est à l'occasion d'une discussion sur un éventuel "potluck" comme on disait alors que j'ai entendu parler du "Sex in a pan" pour la première fois. Oui, vous avez bien lu. Quand notre collègue nous a fait part de sa contribution au repas, nous avons tous éclaté de rire. "Qu'est-ce que tu dis là? Ça n'a pas de bon sens un nom pareil. Qu'est-ce qu'il y a au juste dans ce fameux gâteau?" Et de continuer avec toutes les allusions auxquelles nous pouvions penser, allusions toutes situées au bas de la ceinture bien évidemment. "Vous allez voir comme c'est bon ce dessert-là," nous répondait-elle. "Je comprends, avec un nom pareil, on ne devrait pas être déçu" qu'on rétorquait en se bidonnant de plus belle. Il a fallu attendre une semaine avant de pouvoir nous faire une idée. Est-ce que le nom de ce dessert n'était que fumisterie ou le gâteau méritait-il vraiment un tel libellé?

Elle a déposé le gâteau sur la table et a commencé à le tailler en morceaux. Faut dire que la présentation était belle. Il y avait du chocolat et de la crème fouettée. Une fois dans notre assiette, le gâteau révélait ses différents étages avec son fond de biscuit. Il fallait goûter maintenant. C'était onctueux. C'était moelleux. C'était sucré. C'était croquant. C'était aussi rafraîchissant parce que servi froid. C'est à ce moment qu'on a tous décidé que, finalement, c'était meilleur que la vraie affaire! À vous de juger maintenant. Voici la recette.



GÂTEAU "SEX IN A PAN"

1er étage

1 tasse de farine

1 tasse de pacanes ou de noix de grenoble en morceaux

1/2 tasse de beurre mou

3 c. à table de sucre

Mélanger les ingrédients et les presser dans un moule de 13 par 9 po. Cuire à 350 F de 15 à 18 minutes.

2e étage

8 onces de fromage à la crème

1/2 tasse de sucre à glacer

1 contenant de 500 ml de Cool Whip (dégelé)

Mettre en crème le fromage avec le sucre à glacer (utiliser une mixette) et ajouter le Cool Whip. Étendre sur la croûte refroidie.

3e étage

2 tasses de lait

1 paquet de pouding instantané à la vanille (4 portions)

1 paquet de pouding instantané au chocolat (4 portions)

Mélanger le lait avec les poudings en suivant les instructions sur les paquets et étendre sur le 2e étage.

4e étage

1 contenant de 500 ml de Cool Whip (dégelé)

Étendre sur le 3e étage

5e étage

1 carré de chocolat râpé ou (ma version) des bleuets frais

Couvrir le 4e étage du chocolat ou des bleuets. Réfrigérer jusqu'au lendemain.