mardi 31 mai 2011

Dans une galaxie trop près de chez nous

Ouf! il fait chaud. Je suis tellement contente d'être enfin sortie du wagon à bestiaux. Le trottoir s'étire à n'en plus finir. C'est que j'ai hâte d'arriver à la maison pour profiter de l'ombre de la cour. Aujourd'hui, tirant quand même une leçon du passé, j'ai décidé que la session de yoga constituait un exercice suffisant pour la Marcheuse abuseuse. En plus, ce midi, j'ai sué comme ce n'est certainement pas accepté dans le monde zen. J'ai besoin du repos bien mérité de l'athlète, hum, accomplie.

Je trottine donc en direction de mon chez moi quand, au loin, j'aperçois les feux clignotants d'une ambulance stationnée, me semble-t-il, tout près de notre entrée. J'espère en mon for intérieur qu'il ne s'agit pas d'un accident survenu à la sortie de l'école. Les enfants n'écoutent pas toujours les brigadiers chargés de les protéger et comme notre maison est située à deux pas de la cour de récréation, je me croise les doigts pour que le pire ne soit pas survenu.

Mon autre hypothèse, c'était notre voisine. J'aurais dû me douter qu'il s'agissait là d'une situation plus réaliste. Cette pauvre dame est très malade, branchée continuellement à une bonbonne d'oxygène. Confinée à son fauteuil, elle mange trop. C'est en fait sa seule occupation. Elle a donc pris beaucoup de poids ces dernières années. J'ai pensé que la chaleur l'avait incommodée. En tout cas, l'ambulance avait été appelée pour elle.

Je suis arrivée à la maison en même temps que l'Homme. Soucieux tous les deux de ce qui se passait à côté ou, plutôt, de l'état d'esprit de notre voisin que nous aimons bien et qui joue le rôle d'aidant naturel au péril de sa propre santé, nous nous tenions aux aguets. Nous ne voulions pas non plus nous transformer en écornifleux comme les deux filles qui s'étaient carrément assises sur la pelouse de notre voisine d'en face pour être aux premières loges de la vie-réalité. Mais il faisait beau. Les fenêtres étaient ouvertes. La porte vitrée d'en avant aussi. Bref, c'était pratiquement impossible de ne rien voir. J'aurais préféré quand même éviter le spectacle de la sortie de ma voisine, vêtue uniquement d'une blouse à manches courtes et d'une petite culotte. Les ambulanciers tentaient bien de remonter les draps mais ils devaient aussi transférer leur patiente dans la civière qui se trouvait directement sur le trottoir. Se déplaçant à grand-peine, toujours branchée à l'oxygène, ma voisine a réussi à passer de l'espèce de chaise roulante sur laquelle les ambulanciers l'avait assise à la civière comme telle. Et l'ambulance s'en est allée.

Pendant un bon moment, je suis restée obsédée par cette image de ma voisine et de son énorme ventre que le sous-vêtement cachait à peine. Je suis encore bouleversée par le manque de dignité de toute la situation. Non seulement tu es très malade, mais en plus tu donnes un spectacle de ta malheureuse personne à tout un quartier. Malade et pratiquement toute nue sur le trottoir. C'est désolant.

L'Homme a traversé pour parler un peu avec notre voisin. Il a appris que la situation, depuis quelques semaines, avait empiré. En plus de tous ses problèmes de santé, notre voisine était maintenant incontinente. Refusant d'être placée, elle passait ses journées toute seule, sauf pour l'heure du dîner où notre voisin partait de son travail pour lui préparer son repas. C'est triste, non? Mais ça le devient encore plus. Les couches jetables, ça coûte cher. Notre voisin gagne peu. Quand elle ne portait pas de couches, notre voisine pissait par terre. Il paraît, selon son mari, que l'odeur est imprégnée dans la maison. Les gens ne veulent plus les visiter. Lui, il fait de son mieux mais il ne peut pas désinfecter avec n'importe quel produit à cause de la santé de sa femme. C'est pathétique.

Je ne vous parle pas de ça pour sombrer dans le jaunisme des journaux à potins. Je ne fais que m'interroger sur notre système de santé qui ne peut apparemment que fournir une aide quelques jours par semaine dans ce genre de situation. Je me demande dans quelle société on vit quand je constate que mon voisin s'inquiète de ne plus pouvoir louer sa maison si sa femme est placée. En effet, privé du revenu de la malade qui sera entièrement consacré à payer sa place dans un centre de soins de longue durée, il ne pourra s'acquitter de toutes ses obligations avec son maigre salaire de journalier. J'imagine qu'ils tombent dans les "trous" du système. Juste assez d'argent pour n'avoir droit à rien. Mais pas assez pour s'offrir les services nécessaires. Et tout ça ne se passe pas dans un pays pauvre, non. Ça se passe ici, à côté de chez nous.

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