samedi 16 octobre 2010

Vous avez dit souple comme le boa?

Tout dernièrement, Wajdi Mouawad, directeur artistique du Théâtre français du Centre national des Arts, écrivait une lettre aux abonnés les invitant à demeurer des boas constrictors. L'Ami, impressionné par les propos de Wajdi, m'a remis une copie de la missive en question. Je l'en remercie vivement car, comme à l'habitude, les idées exprimées par cet extraordinaire créateur sont toujours d'un grand intérêt. Je me souviens encore de la lettre ouverte qu'il avait adressée à notre bon premier ministre quand celui-ci a sabré avec violence dans les budgets de plusieurs programmes touchant les arts et la culture. C'était un vibrant plaidoyer pour expliquer à un ignare et à un barbare toute l'importance des artistes et des artisans dans la vie d'un peuple. Cet appel ne fut évidemment jamais entendu.

Mais laissez-moi revenir à cette image du boa que Wajdi utilise pour faire comprendre aux frileux de ce monde la nécessité de se faire brasser de temps à autre. Il dit : "Avez-vous déjà contemplé un boa constrictor sur sa branche? La relation entre les deux peut, sous un certain angle, relever du sublime. Avec un brin de patience, on peut observer les mouvements du boa. On le verra, par moments, s'étirer de tout son long et, à d'autres moments, se nouer en un entrelacement pour dessiner, en juxtaposant les motifs qui ornent sa peau, des courbes multiples en des figures sinusoïdales des plus complexes. Or, si le boa peut afficher une telle flexibilité c'est avant tout grâce à la rigidité de sa branche." Il poursuit : "Où je veux en venir? À notre tendance à confondre, dans notre quotidien, ce qui relève du rigide avec ce qui relève du flexible, ainsi qu'à cette frayeur qui nous envahit parfois devant le flexible que nous cherchons souvent à rigidifier." Et il affirme que cette tendance que nous avons à favoriser le rigide au détriment de la souplesse provient de la peur, du confort et de la peur de perdre le confort.

Il insiste sur le plaisir de se laisser étonner, déstabiliser et remis en question. Du même souffle, il nous exhorte à nous engager envers nous-même tout en acceptant d'ouvrir notre pensée et nos horizons : "C'est plus inconfortable, c'est moins commode, c'est plus dangereux, mais c'est plus beau."

J'ai été une personne rigide. J'ose espérer que cette période est définitivement derrière moi. Pour la partie de ma vie où j'ai été plus souvent juge qu'arbitre, je peux sans doute m'attribuer l'excuse de la jeunesse qui nous porte parfois à voir seulement en noir et blanc. Et pour expliquer ma plus grande facilité à tourner les coins ronds plutôt qu'en angles pointus, je peux invoquer la vieillesse qui nous permet d'ajouter des nuances à nos pensées et à nos idées. Mais ceci n'est pas uniquement la raison de cela.

La rigidité me rendait profondément malheureuse. Les jugements durs que je prononçais pour les autres, je les appliquais aussi à mon propre cas. Je n'avais guère de pitié pour moi. En même temps, j'avais peur de la créativité qu'il y avait en moi car je la voyais comme quelque chose de négatif parce qu'impossible à maîtriser, à solidifier. La force inspiratrice ne voulait pas être contenue dans un barrage. C'était un torrent. Elle m'envahissait totalement. Je la détestais parce qu'elle refusait encore et toujours d'entrer dans le moule. Et quand j'ai continué à vouloir à tout prix l'ensevelir au plus profond de moi, elle s'est manifestée puissamment. Panique. Anxiété. Dépression. Elle n'a eu de cesse que lorsque j'ai accepté de la regarder en face. De la reconnaître. De lui laisser sa place. Sa juste place. Et le miracle s'est produit. Elle ne voulait pas me détruire. Elle voulait exister. Ce qui est bien différent.

Je me remercie pour cet engagement envers moi-même. Il est arrivé assez tôt dans ma vie pour que je puisse laisser mes enfants s'enrouler autour de la branche comme le boa. J'ai pu ainsi me laisser étonner, surprendre, émerveiller. Et c'est encore ce qui se passe aujourd'hui. Je suis moi aussi dans l'arbre et je m'amuse comme une folle sur ma branche. Je sais que je peux expérimenter de nouvelles figures à tout moment. Et ça m'anime. Et ça entretient ma passion. Mon souffle créateur.

Je laisse le mot de la fin à Wajdi : "Demeurez des boas constrictors. Dans les objets, dans la langue, dans le regard. Dévorez tout cru les oeuvres qui s'avancent vers vous. Ne laissez personne ni rien regarder à votre place à travers vos propres yeux. Vos yeux sont à vous."

Comme lui, je vous embrasse. XXX

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