vendredi 17 février 2012

De fil en aiguille

Je déteste entrer dans ce magasin. Mais je n'avais pas le choix. L'Homme a repeint la cuisine cette semaine. De la même couleur. Parfaitement. Et pourquoi cette absence de désir de changement vous demandez-vous peut-être? Parce que l'Homme et moi aimons cette couleur et aussi parce que nous n'avons jamais vraiment envie de nous casser la tête pour la décoration. Par contre, je voulais tout de même un petit quelque chose de nouveau qui indiquerait que du ménage avait été fait. J'ai donc décidé de changer la valence en dentelle qui habille la fenêtre donnant sur la cour. Je ne voulais rien de compliqué. Seulement un autre pan de tissu pour remplacer celui que je ne voulais plus voir.

Alors il a bien fallu que j'entre dans ce maudit magasin. L'antre des doigts de fée. Le refuge des habiles du dé à coudre. Le domaine des créatrices de mode. Je hais cet endroit. Je m'y sens aussi étrangère que si je me retrouvais dans une boutique érotique. Dès que j'y mets les pieds, j'ai toujours la pénible impression qu'il est écrit sur mon front que je sais à peine coudre un bouton. D'ailleurs, je ne sais même pas comment me comporter dans ce lieu honni. Je ne comprends rien, absolument rien, à la façon dont les choses sont présentées. Je ne trouve jamais ce que je cherche parce que je ne sais pas ce que je cherche. C'est toujours vague dans mon esprit. Un bout de tissu en dentelle que je pourrais enfiler sur la même pôle. Un couvre-fenêtre qui ne nécessiterait aucune couture, aucune retouche. Je le prends. Je l'installe. Me semble que c'est simple, non?

J'ai quand même été obligée de trouver de l'aide. Tout d'abord pour être dirigée à l'endroit du tissu à rideau. Ensuite pour être conduite devant des rouleaux dressés sur une table. Enfin pour être instruite sur les ceux qui pourraient convenir à mon absence de talent dans les travaux d'aiguille. Comme je posais une énième question à l'infortunée vendeuse responsable de la section des parures de fenêtres de l'odieux magasin en me croyant obligée encore une fois de faire mon mea culpa pour ne pas être capable de distinguer le tissu utilisé pour confectionner des robes de bal de celui utilisé pour coudre des mitaines pour le four, j'entends la réflexion suivante d'une cliente à côté de moi : "Moi je sais coudre depuis que je suis haute comme ça", m'a-t-elle lancé en baissant son bras au ras du plancher. "Aujourd'hui, je suis venue acheter du tissu pour faire des couvre-théières. Une amie m'a demandé si je pouvais lui en fabriquer une. Certainement que je lui ai dit. Depuis, j'ai dû en coudre une dizaine. Je les donne." "C'est formidable", que je lui ai répondu en essayant d'avoir l'air intéressé. "Est-ce que vous avez suivi un patron?", que j'ai demandé en pensant que c'était là une question intelligente. Elle m'a regardée d'un air à la fois interloqué et piqué m'a-t-il semblé. "Non, pas vraiment. J'ai regardé la théière et c'était suffisant".

À ce moment, la vendeuse, surprenant mon début d'exaspération et voulant sans doute sauver ce qui me restait d'estime de moi, a renchéri en me regardant : "Vous avez sûrement d'autres talents". Toute heureuse de démontrer que je n'étais pas une ménagère complètement finie, j'ai clamé bien haut : "C'est vrai, j'adore cuisiner". Grand bien ne me fit pas. La pimbêche répliqua aussitôt : "Moi aussi je cuisine énormément. Il faut dire que je suis restée quelques années à la maison pour élever mes deux enfants. Cela m'a permis de me pratiquer. Ensuite, je suis retournée sur le marché du travail. J'ai donc expérimenté les deux mondes". Là j'étais sur le bord de lui enfoncer la pôle à rideau dans le gorgoton quand l'Homme s'est mêlé à la conversation : "Moi aussi je me débrouille en couture. Je peux faire des bords de pantalon". Je n'en croyais pas mes oreilles. En plus, voilà que la vendeuse et la pimbêche sont émues et béates d'admiration.

J'ai immédiatement saisi une longue aiguille à chapeau et j'ai crevé leur balloune drette-là : "Utiliser une brocheuse pour raccourcir le bas de ses pantalons, cela ne s'appelle pas de la couture, mon chéri, mais une aberration". Devant leurs regards maintenant franchement courroucés, je sus que la revanche de la Bobine masquée était accomplie.
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Notes fauniques : J'ai revu cet après-midi Pinpin, le faux lapin de Pâques. C'était notre troisième rencontre. J'avais apporté des garnottes de chat pensant que je pourrais améliorer son ordinaire. Il a trottiné vers moi, a reniflé dédaigneusement les fameuses garnottes, et il est retourné farfouiller dans la neige pour finalement dénicher une feuille desséchée de l'automne passé qu'il a grignotée rapidement en me fixant de ses gros yeux ronds. Je voulais éviter les clichés. Tant pis. La prochaine fois, j'apporte une carotte.

2 commentaires:

  1. Mon Dieu, quand on en est rendue à coudre des couvre-théières... c'est qu'on est rendue beaucoup plus bas que toi quand-même!

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  2. Bonjour chère Marcheuse,

    j'aimerais ajouter deux grains de sel :
    1) je n'ai jamais agraphé de bas de pantalon, mais j'ai tricoté non pas une, mais bien deux couvre-théières. Oui madame. Le tricot, c'est bien plus simple que la couture!
    2) je vais dans votre type de magasin une fois tous les jamais (sauf pour acheter des boutons pour mes projets de tricots). Et bien j'y ai mis les pieds pas plus tard que la semaine dernière pour, devinez quoi, changer un rideau de dentelle grisonnant. C'est drôle quand même! Je dois dire que je ne déteste pas parcourir les étoffes colorées. Mais la laine me parle davantage!

    L'amie yogini

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