jeudi 11 novembre 2010

La vie (ou la mort) au bureau - Le meurtre prémédité

(quatrième épisode du feuilleton clérical le plus populaire sur la Grande Toile - voir les épisodes précédents publiés les 6, 12 et 21 octobre)

Diantre qu'elle haïssait Vanessa! Celle qui devait l'aider à supporter l'ennui du quotidien au bureau, lui éviter les obligations cléricales insignifiantes, lui permettre de s'évader pour faire vraiment ce qui l'intéressait, bref, ce sosie gonflable de son soi-même était en train de devenir sa pire ennemie.

Son immobilisme, qui aurait dû la restreindre à un rôle de tâcheron, ne cessait de lui occasionner du travail en supplément. Non, mais, se serait-elle jamais portée volontaire pour organiser le party de Noël sans la collaboration tacite de cette insignifiante marionnette en latex? Et aurait-elle jamais imaginé gagner le concours du plus beau costume à l'Halloween? Juste l'idée de participer à cette activité censée favoriser l'esprit d'équipe lui donnait des haut-le-coeur. C'était encore une fois grâce, ou plutôt à cause de cette stupide Vanessa, qu'elle avait remporté ce prix ridicule. Mais parlons-en justement de ce fameux concours et de l'amoncellement de bonbons qui en constituait le premier prix! Ne voulant pas gaspiller et cédant au fameux dicton qui veut que l'oisiveté mène inévitablement à la gourmandise, elle avait pris plus de dix livres en deux semaines. Elle ne pouvait même plus entrer dans le costume de poupée gonflable qu'elle avait finalement réussi à dénicher et qu'elle devait, si vous vous en souvenez bien, porter à la fête de Noël.

Il fallait mettre un terme à cette aventure abracadabrante avant que cela atteigne un point de non retour. Aussi, depuis quelque temps, elle se creusait en vain les méninges pour trouver une façon de se débarrasser de la désormais trop encombrante Vanessa. Ce n'était pas une tâche si facile que ça pouvait sembler de prime abord. C'est que Vanessa lui ressemblait beaucoup, du moins par sa taille. Elle mesurait quand même un peu plus de cinq pieds. Elle faisait aussi dans le pas trop léger puisqu'elle pesait environ soixante livres. Enfin, elle prenait pas mal de place depuis qu'elle n'entrait plus dans sa boîte. Eh! oui, comme sa propriétaire avait perdu le truc-machin qui permettait de la dégonfler, elle avait dû élaborer un stratagème pour rendre Vanessa le moins visible possible. Elle l'accotait donc sur le porte-manteau en la camouflant sous ses vêtements le jour, et l'assoyait à son bureau le soir.

Dans son ardent désir d'éliminer la poupée non grata, elle avait tenté diverses manoeuvres pour arriver à ses fins. Elle avait notamment songé à simplement mettre Vanessa dans la poubelle qui se trouvait en face de la petite cuisine de l'étage. Un matin, très tôt, elle avait réussi à la soulever et à la traîner jusqu'au contenant qui lui servirait de cercueil. Après avoir ouvert l'immense couvercle, elle avait plongé la poupée tête première dans les déchets. Hélas! elle eut beau pousser, peser, écraser, tapocher, rien n'y fit. Vanessa avait toujours un morceau de son anatomie qui s'obstinait à empêcher le couvercle de fermer. De guerre lasse, elle ramena la victime dans son cubicule.

Une autre fois, elle pensa à jeter Vanessa dans le chantier de construction situé de l'autre côté de l'immeuble. Ce serait parfait puisque les ouvriers faisaient exploser des charges plusieurs fois par jour à différents endroits du terrain. Un soir très tard, elle sortit discrètement du bâtiment en compagnie de Vanessa qu'elle avait installée sur une chaise pour mieux la transporter à l'endroit de son dernier repos. Du haut du onzième étage, elle avait cependant mal évalué la hauteur de la clôture qui ceinturait le chantier. Impossible de seulement soulever la poupée et de la lancer de l'autre côté. Elle décida alors de grimper sur la chaise, de hisser péniblement Vanessa jusqu'à elle et de la faire passer par-dessus la barrière. Hélas! elle eut beau tirer, s'agripper, frapper, menacer, sacrer, rien n'y fit. Vanessa restait pliée en deux en haut des madriers et refusait de collaborer à son exécution. Elle n'eut pas le choix que de la ramener et de la laisser, comme à l'habitude, assise sur sa chaise en face de l'ordinateur.

Ce matin, elle avait trouvé. Elle avait apporté de la maison un long couteau à la lame acérée. "C'est le cas de le dire, ma vieille, aujourd'hui tu te fais trouer la peau", marmonnait-elle en sortant de l'ascenseur. "Eh! félicitations pour ta prime au rendement. C'est bien mérité.", lui claironna un collègue en l'apercevant. "Qu'est-ce que tu racontes? De quoi parles-tu?", l'interrogea-t-elle. "Ah! ben, c'est vrai, tu n'as évidemment pas encore vu le courriel envoyé par le patron. Il a décidé de récompenser celui d'entre nous qui a démontré le plus de professionnalisme et de dévouement dans son travail. C'est sûr qu'avec toutes les heures supplémentaires que tu as faites le soir au cours des dernières semaines, on n'avait aucune chance. En tout cas, d'après ce qu'il a écrit dans son message, le patron semble très impressionné par ta capacité de concentration. Il dit que tu passais des heures devant l'ordi sans même prendre le temps de te lever pour faire une pause. Coudonc, c'est presque pas humain ça!"

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