mercredi 13 août 2025

Avoir les yeux ouverts ou fermés

 


Ce n'est pas la première fois que je m'épanche sur l'état du monde et j'imagine que ce ne sera pas la dernière. Aujourd'hui, en parcourant le journal, je me suis surprise à tendre ma main vers celle d'un pauvre homme en train de mourir du choléra au Soudan. On entend pas beaucoup parler de ce coin du monde et pourtant... Là aussi c'est la guerre, la fuite en avant vers des camps de réfugiés, ce sont des enfants tués, des femmes violées, des vies méprisées et, en plus, une épidémie mortelle. Les mesures d'hygiène à prendre semblent pourtant simples : se laver les mains avec du savon et boire de l'eau propre avec précaution. Dans des abris de fortune où justement il n'y a ni savon, ni eau propre!! Des fois, j'en ai tellement assez de ces stupidités lancées à la va-comme-je-le-pense-sans-réflexion-aucune. C'est partout. 

Prenez notre voisin américain préféré par exemple. Lui aussi a trouvé un moyen simple de régler un problème compliqué : envoyer la Garde nationale détruire les camps des sans abris et mettre les criminels en prison pour rendre sa beauté virginale à la ville de Washington devenue, selon lui et ses élucubrations, la ville la plus dangereuse au monde! Rien de moins.

Je ne sais pas si vous avez écouté la conférence de presse où il a annoncé ces mesures draconiennes et totalement injustifiées. Il a parlé des personnes démunies de façon tellement méprisante que je n'arrivais pas à croire que l'on pouvait descendre aussi bas en occupant un poste aussi haut. Il affirmait littéralement que toutes ces personnes qui ont grandement besoin de notre solidarité et de notre empathie ne servent à rien et n'apporteront jamais rien à la société. Il les enjoignait de quitter la ville le plus rapidement possible (pour aller où je vous le demande) et il conseillait par ailleurs aux criminels de rester sur place pour qu'on puisse les arrêter et les emprisonner. Belle affaire!

Alors je pleure car je ne vois pas d'espoir. Et je prie mais de plus en plus souvent sans conviction aucune. Je me dis que Lui, là, s'il existe, il doit rire de moi. Mais je n'ai que ça ma foi pour me permettre de continuer. Je me demande souvent ce que je fais ici sur cette planète. Peut-être que je m'y trouve par erreur? Car à quoi peuvent bien me servir cette sensibilité à fleur de peau, ce désir irrépressible d'aider et de sauver le monde, cette indignation persistante devant l'injustice et l'incompréhension, ce regard aiguisé devant les beautés et les laideurs de notre société, cet état d'alerte constant devant la souffrance, la solitude et le manque d'amour? À part me tirer toutes les larmes de mon pauvre corps fatigué, vraiment je ne vois pas. On dirait que je ne joue pas dans le bon film. Je me retrouve en plein milieu d'un drame d'horreur alors que je devrais plutôt aider une quelconque mère Teresa dans une mission humanitaire. C'est pas drôle de toujours se sentir à côté de la plaque.

Devant mon désarroi matinal, l'Homme m'a dit avec sagesse : "On peut juste être le meilleur possible avec chaque personne rencontrée pendant une journée". C'est un peu court mais je dois admettre que c'est vrai. J'ai donc fait ce que je sais faire de mieux quand j'angoisse : j'ai cuisiné trois douzaines de muffins en me réjouissant à l'avance du plaisir que j'aurais à les partager. Mes voisines d'en haut, notamment, m'ont écrit un gentil mot pour me remercier. Ça m'a fait chaud au coeur. 

Je persiste et signe, cependant, et je m'entête à garder les yeux ouverts. Malgré la peine. Malgré le découragement. Malgré le désespoir. Je ne peux pas faire autrement. Pour moi, fermer les yeux, ce serait trahir mon essence propre et aussi trahir mes frères et soeurs humains. Je termine donc avec la photo déchirante de cette personne qui souffre et je serre virtuellement cette main tendue avec tout l'amour dont je suis capable.