vendredi 15 mars 2013

Le vaste néant maternel

Il aura fallu une femme, bien entendu, pour que je puisse enfin accoler des mots au malaise qui me tripatouille les entrailles depuis quelques semaines. En fait, l'expression a été traduite de l'anglais par la journaliste Isabelle Paré qui nous raconte l'histoire de Sharon Hapton, une maman Albertaine férue de potages réconfortants, qui a décidé d'assouvir son nurture void en cuisinant des bouillons pour réchauffer les âmes blessées. Je vous invite vivement à lire l'article Une soupe vraiment populaire dans l'édition d'aujourd'hui du journal Le Devoir pour en apprendre davantage sur cette idée pleine de bon sens qui vise à combler un vide intérieur en remplissant des estomacs.

Mais permettez-moi un instant de revenir à mon propre néant, celui qui explique en partie mon silence et mon manque d'inspiration devant l'écran blanc. Disons que même avant d'avoir lu l'article de ce matin, j'avais déjà une bonne idée de la provenance de mon mal-être. J'étais simplement découragée de constater que ce sentiment continuait de m'habiter bien après le départ de mes deux oisillons. Faut croire que j'avais sous-estimé la puissance du vaste néant maternel. Bref, je vous résume rapidement comment je me percevais. Vous allez constater que les images sont, hum, probablement exagérées mais assurément exacerbées par mon tourbillon émotionnel.

Tout d'abord, j'avais l'impression d'avoir été vidée de mon contenu. C'est sans doute la raison pour laquelle je m'imaginais être un poisson hors de l'eau frétillant inutilement pour tenter de retrouver son habitat aquatique. Pour vous dire la vérité, je n'avais plus l'énergie, ni le goût de même tenter de me remettre dans le bassin. Je voulais simplement être vidée de mes entrailles une fois pour toutes afin de pouvoir goûter la paix d'esprit "méternelle", si tant est qu'elle existe bien évidemment. Ensuite, je me suis blessée au dos. Un disque déplacé. Je me suis retrouvée au repos forcé pour deux semaines. Une période qui m'a fait plonger au coeur du trou noir.

Je ne pouvais plus bénévoler. J'avais perdu subitement la mission que je m'étais trouvée lorsque j'ai pris ma retraite. J'étais pour un temps confinée à la maison, prise entre mes quatre murs de ménagère non accomplie. J'ai été aspirée par le fameux néant. J'ai paniqué en me voyant peut-être obligée d'abandonner pour de bon mes activités de bénévolat. "Qu'est-ce qui me restera si je ne peux plus m'occuper de la banque alimentaire, du service de dépannage, du brunch des aînés?", me répétais-je sans cesse, assise oisivement dans le fauteuil de mon salon en compagnie de mes deux félines fort heureuses, elles, de profiter de ma présence. Contrairement à plusieurs femmes de mon entourage, mes petits ont fait leur nid à une distance respectable du nid maternel. Impensable pour moi donc de les inviter à prendre un café ou un repas, impossible d'aller leur porter de la nourriture pour soulager leur quotidien de travailleur et d'étudiante. Je dois me contenter du téléphone. Et là, justement, que je vous parle de mes dernières peines de mère vidée de son contenu. L'Homme et moi avons décidé de faire un test pour mesurer le degré d'ennui de notre progéniture.

Je vous précise ici que l'Homme, quoique à un degré moindre, est aussi atteint du syndrome du néant maternel. C'était inévitable. Il a toujours, et il est encore, un véritable papa poule. Bref, nous avons opté pour le silence téléphonique. De toute façon, c'est toujours nous qui communiquons avec le Fils et la Fille pour nous enquérir de leurs projets et tenter ainsi, du mieux que nous pouvons, de continuer à partager un peu de leur quotidien. Hier, ça faisait une semaine que nous étions sans nouvelles. Pendant cette période, je ne sais combien de fois nous avons dû, chacun notre tour, encourager l'autre à ne pas s'emparer du combiné. Je sais, c'est pathétique. Plus encore que vous ne le croyez puisque l'Homme a même ironisé ce commentaire : "J'imagine que lorsque les voisins vont leur demander de venir voir ce qui se passe à cause de l'odeur nauséabonde qui émane de la maison, ils vont bien être obligés de venir au moins nous identifier." Fin de la citation. Plus pathétique que ça, tu te retrouves avec la camisole de force.

Hier, donc, je n'ai pas pu résister. Je revenais de la Soupière où une gentille maman m'avait confié pour quelques minutes sa petite fille d'un an et demi pour lui permettre d'aller porter dans sa voiture les sacs d'épicerie que j'avais préparés pour elle. Il n'en fallait pas plus pour que les souvenirs reviennent à la vitesse de l'éclair. Ah! l'odeur unique des têtes de petits bébés, leurs grands yeux qui te fouillent l'âme, leurs menottes qui veulent tout attraper et, surtout, cet abandon envers les adultes dont ils dépendent totalement. J'ai appelé à l'appart du Fils et de la Fille sachant pertinemment qu'ils n'étaient probablement pas encore arrivés. J'ai laissé un message mi-culpabilisant du genre : "Bon, ben, ça fait une semaine que nous ne nous sommes pas parlés. Nous aurions aimé que vous ayez eu envie de prendre de nos nouvelles. Je vous embrasse quand même." J'aurais voulu ne pas le dire comme ça. Alors, je me reprends : "Je comprends que vous soyez occupés et emportés par le tourbillon de vos activités de jeunes adultes. Je suis fière de constater que vous menez vos vies de façon autonome. Ça veut dire que votre père et moi avons fait une bonne job. C'est pourquoi je ne vous demande pas de téléphoner tous les jours. Cependant, je tiens à garder un lien régulier avec vous car j'ai peur que nous perdions contact. Je ne veux surtout pas qu'on en arrive à se parler seulement quand il y a une fête ou un événement important. Je veux encore faire partie de votre vie au quotidien parce que je vous aime et que toutes les activités de bénévolat au monde n'arriveront jamais à combler le vaste néant maternel qui m'habite. Il me faut aussi un peu d'amour filial."

Je ne sais pas si c'est mieux dit. Pour moi, au moins, c'est plus clair.

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