jeudi 27 juin 2024

Pleurer

 


Mercredi dernier. Le 19 juin. C'est la dernière journée où je t'ai dit je t'aime. Après 16 années ensemble à partager nos vies humaine et féline, le deuil est difficile à faire. Je te vois encore ce matin-là, que je ne soupçonnais pas être l'ultime, prendre le frais sur une des chaises de la terrasse. Tu humais l'air en écoutant les oiseaux qui piaillaient et tu semblais vraiment contempler la nature devant toi, surtout les cèdres où tu aimais aller te cacher. C'est d'ailleurs là que je t'ai retrouvée en fin de journée, couchée sur le côté, incapable de même répondre à mes appels, à part ce petit mouvement de ta queue que j'ai vue remuer faiblement, un cri à l'aide pour que je te retrouve. J'ai au moins pu t'offrir une fin respectable.

Ma Mignonne. Je t'ai trouvée bébé, cachée justement dans les buissons qui bordaient la maison à Gatineau. Tellement apeurée d'être seule, abandonnée, à la recherche désespérée de nourriture, de chaleur, d'un asile où reposer ton petit corps de chaton. Dès l'instant où j'ai pu te caresser après t'avoir enfin recueillie, tu as montré ta vraie nature : la bonté incarnée. Et cette nature profonde ne s'est jamais démentie. Devant les hissements désapprobateurs de la Reine-Marguerite, la grande soeur héritée (et irritée), lorsque tu tentais de t'approcher doucement d'elle, tu reculais tout simplement. Tu ne t'es jamais imposée. Tu as toujours attendu patiemment ton tour. Pour manger. Pour être toilettée. Pour recevoir des caresses. Je devais presque m'écrire une note pour me rappeler de te prendre et de te donner des becs. À constamment vouloir ne pas déranger et rester dans ton coin, tu ignorais ton besoin à toi aussi d'être reconnue comme membre à part entière de la meute féline. 

Depuis trois ans, tu étais malade. Les reins. Malgré les visites chez la vet, les médicaments et la bouffe appropriée, tu vomissais souvent. Depuis deux mois, tu maigrissais aussi et ne mangeais presque plus. Mais tu continuais de vouloir aller te promener dehors et manger de l'herbe, puis de régurgiter la fameuse herbe en question. Tu étais devenue amie avec les voisins à deux terrasses de chez nous. Tu aimais boire dans les pots d'eau qu'ils gardaient dehors pour arroser leurs plantes. Heureusement, ils appréciaient beaucoup avoir ta visite. Tu n'avais aucune malice, aucune agressivité en toi. Tu étais notre petit ours noir comme l'Homme aimait t'appeler, un ours en peluche quoi!

Tu sais c'était quoi ma grande peur à moi? De ne pas être capable de t'accompagner jusqu'à la fin. J'ai un peu honte de ça mais je ne l'avais encore jamais fait pour aucun de mes compagnons félins. Dans mon temps de jeune propriétaire de chats (années 80), on parlait peu ou pas des sentiments que nos animaux pouvaient éprouver, des émotions qu'ils ressentaient eux aussi. Et de la tristesse et de l'incompréhension ressentis au dernier moment de leur vie quand leur maître adoré les abandonnait sur la table froide du vet sans plus d'attention. Tu vois, il y a quelques années, j'aurais été prête à accompagner la Reine-Marguerite mais c'était la fameuse pandémie et on ne pouvait même pas entrer dans la clinique. Alors, on oublie ça de tenir la patte de notre amie pour l'au revoir fatal. Je me souviens que l'Homme et moi avons dû attendre dans la voiture, devant la porte où on venait de lui remettre la cage, que la technicienne nous appelle pour confirmer que notre Maggie de 19 ans ne ferait plus dorénavant partie de nos vies. C'était pas humain, ça, non? Ou ce l'était... trop. Pendant la pandémie, on a perdu plusieurs fois les pédales.


Tout ça pour te dire, ma Ming, que ta magnifique âme m'a permis d'accomplir ce que je souhaitais le plus au monde : être là pour toi, jusqu'à la fin, comme tu avais été là pour moi. C'était paniquant de se retrouver à l'urgence vétérinaire. Pendant le trajet que je trouvais interminable, fidèle à ton habitude et à ton caractère, et malgré ta difficulté à respirer, tu avais posé ta tête doucement sur mon bras, enveloppée de ta doudou, pendant que l'Homme combattait son chagrin pour nous amener à bon port. À ce jour, je ne sais pas si j'ai bien fait ça. J'espère. Je t'ai parlé. Je t'ai flattée. Je t'ai donné des baisers en essayant de ne pas te faire mal. Le cathéter posé sur ta patte ne cessait de me rappeler qu'il fallait se dire adieu pour vrai. Est-ce que j'ai pris suffisamment le temps pour reconnaître l'extraordinaire amie que tu étais pour moi? Là encore, j'espère. Ce que je sais, par contre, c'est que tu as contribué à vaincre un peu ma peur de la mort par ta résilience et ta confiance. Je n'oublierai jamais tes beaux yeux verts qui n'ont jamais quitté les miens.

Quand je me suis retrouvée seule avec toi, immobile sur ta doudou, les larmes inondant mon visage, je t'ai dit : "j'espère que tu ne m'en veux pas". Et là, cadeau sublime, j'ai senti ton âme quitter cette vie et s'élever au-dessus de la table. Je t'ai revue toute petite ma Mignonne. Tu t'es dressée sur tes pattes arrières pour m'envelopper dans une magnifique caresse. Un peu de paix dans mon coeur attristé. Mais je n'arrête pas pour autant de pleurer.



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Note féline : Je viens de recevoir une carte de condoléances de la Clinique vétérinaire Frontenac signée par toute l'équipe avec plein de beaux mots d'encouragement. Cela ne sèche pas mes larmes mais cela démontre à quel point Mignonne était entre bonnes mains!

samedi 1 juin 2024

Heureux les coeurs purs


Tu voulais un chat. Parce que tu aimais les chats. Et aussi pour avoir un compagnon. Tu avais été dans un refuge mais tu n'avais pas trouvé félin à ton âme. Tu préférais attendre et choisir le bon. En même temps se posait la difficile question de ce qui allait arriver à ton minet si jamais... Ouais, si jamais le foutu cancer te donnait moins de temps que tu pensais pour apprendre à vivre avec ton coloc à quatre pattes. 

Tu m'avais confié ce désir comme tu me confiais souvent de petites bribes de ta vie lorsque j'allais te porter la Popote roulante. Sur le seuil de ta porte, on parlait de nos enfants, de nos familles, de nos joies et de nos peines. Je t'apportais des muffins que j'avais cuisinés pour toi parce que tu trouvais que c'était une bonne collation quand la faim te prenait... Ouais, la faim n'était pas toujours au rendez-vous ou, à tout le moins, elle se faisait de plus en plus capricieuse.

Tu me parlais de tes cours de yoga en ligne. On partageait cette passion toutes les deux. On échangeait sur les bienfaits que nous ressentions dans notre corps et dans notre tête quand on faisait "Om" et qu'on s'étirait les muscles et le cerveau. On se disait que voilà un exercice complet et tellement réparateur pour les corps blessés... Ouais, ton corps, il te lâchait parfois et tu ne pouvais pas faire ta session. Tu m'en parlais et me faisais part de ta déception de voir qu'il ne voulait plus toujours suivre. Mais on s'encourageait. On se disait que c'était une mauvaise semaine, c'est tout. Et on reprenait courage. Je dis "on", mais c'était toi qui avais le plus de courage.

Puis, une semaine il n'y a pas longtemps, on m'a dit de ne pas aller livrer chez toi. Tu étais à l'hôpital. Comme avec le temps on était devenu des amies, j'ai vite composé ton numéro de téléphone pour savoir ce qui t'arrivait. Ouais, c'était ce qu'on ne voulait pas ni l'une ni l'autre. La mauvaise nouvelle du retour en force de ton ennemi numéro un. Qu'à cela ne tienne, tu allais prendre encore une fois les armes. "Je veux vivre moi", que tu m'as lancé lors de l'une de mes visites. "Je veux voir l'été et fêter mon anniversaire", que tu as rajouté. Oui, oui, que je te disais car je voulais y croire moi aussi même si je voyais bien que tes yeux s'enfonçaient de plus en plus dans leurs orbites et que ta peau avait la couleur des murs de ta chambre d'hôpital (ce qui n'est jamais bon signe quand on sait à quel point le décorateur gouvernemental est passionné du beige jaunâtre).

Je suis allée te visiter quelques fois. Je t'ai apporté des muffins. Tu disais que c'était la seule chose que tu arrivais à digérer parce qu'ils avaient comme ingrédient principal tout l'amour que j'y avais mis. Tu en prenais de petites bouchées le soir quand la fameuse faim capricieuse décidait de venir tenailler ton pauvre estomac. 

Ces visites me stressaient. Je voulais tellement te voir et te parler encore, t'entendre me dire le "mets-en" dont tu ponctuais régulièrement tes phrases. Mais j'avais peur. Peur de ne pas être à la hauteur. Peur de ne pas pouvoir te dire les mots réconfortants dont tu avais tant besoin. Je bravais ma peur pour toi, ma douce et lumineuse amie. Devant l'incompréhensible, j'ai utilisé la foi. Ça tombait bien parce que c'est une autre chose que nous partagions. Je t'ai apporté une prière que j'adore et qui m'aide beaucoup dans les bons et moins bons moments. Tu l'as adoptée toi aussi. Une nourriture céleste. Ça change des muffins mais c'est aussi très nourrissant.

Puis, je suis partie en vacances pour une semaine. Toi, tu es partie dans une maison où des anges allaient t'accompagner pour le voyage qui approchait. On communiquait encore par textos. Tu étais contente de ton déménagement. Tu voulais tellement voir le ciel, les arbres, la nature. C'était pas mal mieux que le gros cylindre en aluminium qui bloquait la plus grande partie de la fenêtre de ta chambre à l'hôpital où tu pouvais juste apercevoir un petit bout de ciel bleu. On s'est parlé juste une fois à mon retour. Ça n'allait pas du tout. Alors j'ai décidé de continuer à t'envoyer un message par jour pour t'accompagner du mieux que je pouvais. Tu les lisais sans répondre. Je comprenais sans les mots. Et, ce matin, voyant bien que tu n'avais pas regardé mon dernier message qui datait de quelques jours, j'ai décidé de faire une recherche sur la Grande Toile. J'ai tapé "Avis de décès et ton nom".

Tu es morte mardi. Je pleure depuis ce matin. J'ai décidé de te dédier mon été. Je vais le vivre pour nous deux. 

En mémoire de JA