Mercredi dernier. Le 19 juin. C'est la dernière journée où je t'ai dit je t'aime. Après 16 années ensemble à partager nos vies humaine et féline, le deuil est difficile à faire. Je te vois encore ce matin-là, que je ne soupçonnais pas être l'ultime, prendre le frais sur une des chaises de la terrasse. Tu humais l'air en écoutant les oiseaux qui piaillaient et tu semblais vraiment contempler la nature devant toi, surtout les cèdres où tu aimais aller te cacher. C'est d'ailleurs là que je t'ai retrouvée en fin de journée, couchée sur le côté, incapable de même répondre à mes appels, à part ce petit mouvement de ta queue que j'ai vue remuer faiblement, un cri à l'aide pour que je te retrouve. J'ai au moins pu t'offrir une fin respectable.
Ma Mignonne. Je t'ai trouvée bébé, cachée justement dans les buissons qui bordaient la maison à Gatineau. Tellement apeurée d'être seule, abandonnée, à la recherche désespérée de nourriture, de chaleur, d'un asile où reposer ton petit corps de chaton. Dès l'instant où j'ai pu te caresser après t'avoir enfin recueillie, tu as montré ta vraie nature : la bonté incarnée. Et cette nature profonde ne s'est jamais démentie. Devant les hissements désapprobateurs de la Reine-Marguerite, la grande soeur héritée (et irritée), lorsque tu tentais de t'approcher doucement d'elle, tu reculais tout simplement. Tu ne t'es jamais imposée. Tu as toujours attendu patiemment ton tour. Pour manger. Pour être toilettée. Pour recevoir des caresses. Je devais presque m'écrire une note pour me rappeler de te prendre et de te donner des becs. À constamment vouloir ne pas déranger et rester dans ton coin, tu ignorais ton besoin à toi aussi d'être reconnue comme membre à part entière de la meute féline.
Depuis trois ans, tu étais malade. Les reins. Malgré les visites chez la vet, les médicaments et la bouffe appropriée, tu vomissais souvent. Depuis deux mois, tu maigrissais aussi et ne mangeais presque plus. Mais tu continuais de vouloir aller te promener dehors et manger de l'herbe, puis de régurgiter la fameuse herbe en question. Tu étais devenue amie avec les voisins à deux terrasses de chez nous. Tu aimais boire dans les pots d'eau qu'ils gardaient dehors pour arroser leurs plantes. Heureusement, ils appréciaient beaucoup avoir ta visite. Tu n'avais aucune malice, aucune agressivité en toi. Tu étais notre petit ours noir comme l'Homme aimait t'appeler, un ours en peluche quoi!
Tu sais c'était quoi ma grande peur à moi? De ne pas être capable de t'accompagner jusqu'à la fin. J'ai un peu honte de ça mais je ne l'avais encore jamais fait pour aucun de mes compagnons félins. Dans mon temps de jeune propriétaire de chats (années 80), on parlait peu ou pas des sentiments que nos animaux pouvaient éprouver, des émotions qu'ils ressentaient eux aussi. Et de la tristesse et de l'incompréhension ressentis au dernier moment de leur vie quand leur maître adoré les abandonnait sur la table froide du vet sans plus d'attention. Tu vois, il y a quelques années, j'aurais été prête à accompagner la Reine-Marguerite mais c'était la fameuse pandémie et on ne pouvait même pas entrer dans la clinique. Alors, on oublie ça de tenir la patte de notre amie pour l'au revoir fatal. Je me souviens que l'Homme et moi avons dû attendre dans la voiture, devant la porte où on venait de lui remettre la cage, que la technicienne nous appelle pour confirmer que notre Maggie de 19 ans ne ferait plus dorénavant partie de nos vies. C'était pas humain, ça, non? Ou ce l'était... trop. Pendant la pandémie, on a perdu plusieurs fois les pédales.
Tout ça pour te dire, ma Ming, que ta magnifique âme m'a permis d'accomplir ce que je souhaitais le plus au monde : être là pour toi, jusqu'à la fin, comme tu avais été là pour moi. C'était paniquant de se retrouver à l'urgence vétérinaire. Pendant le trajet que je trouvais interminable, fidèle à ton habitude et à ton caractère, et malgré ta difficulté à respirer, tu avais posé ta tête doucement sur mon bras, enveloppée de ta doudou, pendant que l'Homme combattait son chagrin pour nous amener à bon port. À ce jour, je ne sais pas si j'ai bien fait ça. J'espère. Je t'ai parlé. Je t'ai flattée. Je t'ai donné des baisers en essayant de ne pas te faire mal. Le cathéter posé sur ta patte ne cessait de me rappeler qu'il fallait se dire adieu pour vrai. Est-ce que j'ai pris suffisamment le temps pour reconnaître l'extraordinaire amie que tu étais pour moi? Là encore, j'espère. Ce que je sais, par contre, c'est que tu as contribué à vaincre un peu ma peur de la mort par ta résilience et ta confiance. Je n'oublierai jamais tes beaux yeux verts qui n'ont jamais quitté les miens.
Quand je me suis retrouvée seule avec toi, immobile sur ta doudou, les larmes inondant mon visage, je t'ai dit : "j'espère que tu ne m'en veux pas". Et là, cadeau sublime, j'ai senti ton âme quitter cette vie et s'élever au-dessus de la table. Je t'ai revue toute petite ma Mignonne. Tu t'es dressée sur tes pattes arrières pour m'envelopper dans une magnifique caresse. Un peu de paix dans mon coeur attristé. Mais je n'arrête pas pour autant de pleurer.
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Note féline : Je viens de recevoir une carte de condoléances de la Clinique vétérinaire Frontenac signée par toute l'équipe avec plein de beaux mots d'encouragement. Cela ne sèche pas mes larmes mais cela démontre à quel point Mignonne était entre bonnes mains!