samedi 1 juin 2024

Heureux les coeurs purs


Tu voulais un chat. Parce que tu aimais les chats. Et aussi pour avoir un compagnon. Tu avais été dans un refuge mais tu n'avais pas trouvé félin à ton âme. Tu préférais attendre et choisir le bon. En même temps se posait la difficile question de ce qui allait arriver à ton minet si jamais... Ouais, si jamais le foutu cancer te donnait moins de temps que tu pensais pour apprendre à vivre avec ton coloc à quatre pattes. 

Tu m'avais confié ce désir comme tu me confiais souvent de petites bribes de ta vie lorsque j'allais te porter la Popote roulante. Sur le seuil de ta porte, on parlait de nos enfants, de nos familles, de nos joies et de nos peines. Je t'apportais des muffins que j'avais cuisinés pour toi parce que tu trouvais que c'était une bonne collation quand la faim te prenait... Ouais, la faim n'était pas toujours au rendez-vous ou, à tout le moins, elle se faisait de plus en plus capricieuse.

Tu me parlais de tes cours de yoga en ligne. On partageait cette passion toutes les deux. On échangeait sur les bienfaits que nous ressentions dans notre corps et dans notre tête quand on faisait "Om" et qu'on s'étirait les muscles et le cerveau. On se disait que voilà un exercice complet et tellement réparateur pour les corps blessés... Ouais, ton corps, il te lâchait parfois et tu ne pouvais pas faire ta session. Tu m'en parlais et me faisais part de ta déception de voir qu'il ne voulait plus toujours suivre. Mais on s'encourageait. On se disait que c'était une mauvaise semaine, c'est tout. Et on reprenait courage. Je dis "on", mais c'était toi qui avais le plus de courage.

Puis, une semaine il n'y a pas longtemps, on m'a dit de ne pas aller livrer chez toi. Tu étais à l'hôpital. Comme avec le temps on était devenu des amies, j'ai vite composé ton numéro de téléphone pour savoir ce qui t'arrivait. Ouais, c'était ce qu'on ne voulait pas ni l'une ni l'autre. La mauvaise nouvelle du retour en force de ton ennemi numéro un. Qu'à cela ne tienne, tu allais prendre encore une fois les armes. "Je veux vivre moi", que tu m'as lancé lors de l'une de mes visites. "Je veux voir l'été et fêter mon anniversaire", que tu as rajouté. Oui, oui, que je te disais car je voulais y croire moi aussi même si je voyais bien que tes yeux s'enfonçaient de plus en plus dans leurs orbites et que ta peau avait la couleur des murs de ta chambre d'hôpital (ce qui n'est jamais bon signe quand on sait à quel point le décorateur gouvernemental est passionné du beige jaunâtre).

Je suis allée te visiter quelques fois. Je t'ai apporté des muffins. Tu disais que c'était la seule chose que tu arrivais à digérer parce qu'ils avaient comme ingrédient principal tout l'amour que j'y avais mis. Tu en prenais de petites bouchées le soir quand la fameuse faim capricieuse décidait de venir tenailler ton pauvre estomac. 

Ces visites me stressaient. Je voulais tellement te voir et te parler encore, t'entendre me dire le "mets-en" dont tu ponctuais régulièrement tes phrases. Mais j'avais peur. Peur de ne pas être à la hauteur. Peur de ne pas pouvoir te dire les mots réconfortants dont tu avais tant besoin. Je bravais ma peur pour toi, ma douce et lumineuse amie. Devant l'incompréhensible, j'ai utilisé la foi. Ça tombait bien parce que c'est une autre chose que nous partagions. Je t'ai apporté une prière que j'adore et qui m'aide beaucoup dans les bons et moins bons moments. Tu l'as adoptée toi aussi. Une nourriture céleste. Ça change des muffins mais c'est aussi très nourrissant.

Puis, je suis partie en vacances pour une semaine. Toi, tu es partie dans une maison où des anges allaient t'accompagner pour le voyage qui approchait. On communiquait encore par textos. Tu étais contente de ton déménagement. Tu voulais tellement voir le ciel, les arbres, la nature. C'était pas mal mieux que le gros cylindre en aluminium qui bloquait la plus grande partie de la fenêtre de ta chambre à l'hôpital où tu pouvais juste apercevoir un petit bout de ciel bleu. On s'est parlé juste une fois à mon retour. Ça n'allait pas du tout. Alors j'ai décidé de continuer à t'envoyer un message par jour pour t'accompagner du mieux que je pouvais. Tu les lisais sans répondre. Je comprenais sans les mots. Et, ce matin, voyant bien que tu n'avais pas regardé mon dernier message qui datait de quelques jours, j'ai décidé de faire une recherche sur la Grande Toile. J'ai tapé "Avis de décès et ton nom".

Tu es morte mardi. Je pleure depuis ce matin. J'ai décidé de te dédier mon été. Je vais le vivre pour nous deux. 

En mémoire de JA

1 commentaire:

  1. Ma chère Marcheuse. Toute mes condoléances pour la perte de cette amie. Encore un texte très touchant. Merci.

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