mercredi 12 septembre 2012

Mon oeil!

Ces chats ne m'appartiennent pas. Ils ne sont pas à moi. Je les nourris seulement. Deux fois par jour. Et je joue avec eux. Toutes les fois que je le peux. Bon je soigne aussi le petit avec la ligne orangée sur le front. Rémi que je l'appelle. Il faut bien que je me transforme en vet maintenant que j'ai constaté l'état de son oeil. Je ne pourrais pas faire semblant que "Tout va très bien Madame la Marquise" quand je vois le pus couler. Faudrait que je sois drôlement sans coeur et, malheureusement pour mon portefeuille et ma sérénité, je ne le suis pas.

J'aimerais bien l'être par exemple. Cela me permettrait de vivre moins inquiète. D'être moins tourmentée pour toutes les bibittes auxquelles je m'attache. Tenez, ce soir, Rémi s'était encore transformé en pirate. Je suis devenue tellement découragée. Pourtant, ce matin, il allait mieux. En présentant leurs gamelles remplies de bouffe jamais pareille d'un repas à l'autre à mon troupeau félin, j'ai réussi à prendre Rémi pour lui administrer son traitement à l'acide borique. Il faisait tellement pitié. Il miaulait tout doucement pendant que j'essayais tant bien que mal de lui enlever la croûte de pus. Ouais. Je sais. C'est pas appétissant. Mais c'est ça qui arrive quand on est pas capable de se marcher sur le coeur. On fait des choses pas appétissantes.

En tout cas, même après le traitement, son oeil est resté fermé. Là, j'ai paniqué. Je ne veux pas que ce minet devienne aveugle à cause de moi. Oui. Parfaitement. À cause de moi. Parce que je sais qu'il a mal et que je ne fais pas tout ce que je pourrais faire pour le guérir. J'ai donc réappelé la clinique vétérinaire : "Oui, bonsoir, j'ai besoin d'une information. La dernière fois que j'ai appelé, il n'y avait aucun rendez-vous disponible avant deux semaines. Est-ce toujours le cas? Ah! vous pourriez voir Rémi le 21. C'est loin. Il a l'oeil fermé. Et moi j'ai l'oeil larmoyant. Nettoyer avec de l'acide borique, vous dites? Je le fais déjà. Lui mettre des gouttes ophtalmiques en plus? D'accord, j'essaie ça et je vous rappelle s'il se met à apprendre le braille."

C'est que je commence à trouver que ça me pèse cette responsabilité de gardienne de fauves. Ainsi, j'ai décidé de remettre aux calendes grecques la préparation de notre souper pour me rendre plutôt à la pharmacie acheter les gouttes pour le chat. Faut savoir établir ses priorités dans la vie. Parlez-en à l'Homme. Je l'exaspère au quotidien depuis que je suis devenue responsable d'un véritable zoo. Savez-vous que je dois compter au moins une demi-heure, matin et soir, pour nourrir les bêtes à griffes et à nageoires? Je lave des plats, je remplis des plats, je nettoie le filtre, je mets des produits dans l'étang et je jette des granules aux espiègles et à leurs petits. Oui. Encore des bébés. Tout se reproduit autour de moi. C'est vraiment ironique quand on pense que moi je n'ai jamais réussi à jouer mon rôle de reproductrice. Mais ça c'est une autre histoire. Pour le psy, peut-être. Pour un jour de pluie, en tout cas.

Alors me voilà trottinant en direction de la pharmacie. Je cherche les fameuses gouttes. Je ne les trouve pas sur les tablettes. Je m'informe au comptoir. J'apprends que c'est justement là qu'elles sont cachées. Derrière ledit comptoir. Je dois quand même attendre que l'on inscrive dans mon dossier que j'ai demandé des gouttes pour les yeux avant de pouvoir repartir. Finalement, je suis appelée par le pharmacien qui a une question pour moi : "Madame, vous voulez des gouttes pour les yeux mais, dans votre dossier, il est indiqué que vous êtes allergique au sulfa." Je l'ai stoppé illico : "Ne vous en faites pas pour moi, il ne m'arrivera rien. C'est pour mon chat." Il avait bien l'air un peu interloqué, voire perplexe, et ça ne s'est pas amélioré après qu'il a entendu mes explications emberlificotées sur le fait que je soigne un chaton qui ne m'appartient pas. Qu'importe. Je suis repartie avec les gouttes.

Je devais maintenant pourchasser Rémi. Vous savez, attraper un chat une fois pour lui administrer un quelconque traitement est considéré comme un exploit. L'attraper une deuxième fois pour lui mettre des gouttes dans un oeil relève du miracle. Heureusement, Rémi comprend son nom maintenant et, quand je l'appelle, il arrive presque toujours en courant pour jouer. Je vous l'ai dit et je le répète : il est adorable. En tout cas, voilà mon Rémi qui accoure comme prévu. En agitant une tige de graminée, je suis capable de m'en emparer assez facilement. Je passe d'abord une compresse chaude sur son oeil fermé. Il a l'air d'apprécier. Il ne proteste pas trop. J'arrive même à baisser sa paupière du bas pour lui mettre les gouttes. Là, il n'est pas content. J'essaie bien de le retenir encore un peu pour qu'il ne se gratte pas mais c'est peine perdue. Je dois le laisser partir si je ne veux pas être lacérée vivante. Tout va bien cependant. Il se précipite derechef dans les hostas pour sauter sur ses frères et soeurs et se lancer dans une lutte à finir.

Quand je suis retournée un peu plus tard dans "l'enclos" pour examiner mon patient, j'ai pu constater avec soulagement que Rémi avait l'oeil ouvert. Et le bon.

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