jeudi 27 juin 2019

Au jardin...

ou Prière de ne pas envoyer de fleurs!


Cela fait deux fois maintenant cet été que j'accomplis ce geste spontané répété si souvent par la petite fille que j'étais : cueillir des fleurs sauvages pour en faire des bouquets. J'ai pu apprendre tôt l'art floral étant donné que j'ai eu la chance de grandir au Saguenay dans une maison dont la cour arrière donnait sur un grand champ et un petit boisé. Le bonheur! C'est là qu'on allait jouer aux explorateurs en pensant dur comme fer que nous étions pour nous perdre si nous nous rendions jusqu'à la grosse roche. Elle nous semblait si loin de tout, perdue au milieu d'une végétation abondante et hétéroclite, entourée de cailloux et d'un peu d'eau dépendant du moment de l'année. Elle était à la fois notre repère, notre point de rencontre, notre bien le plus précieux. Parfois on se battait même contre les gars pour la garder juste pour nous.

Le champ... Le boisé... C'étaient de magnifiques terrains de jeux. Des endroits où on pouvait se réfugier entre autres quand on avait de la peine et qu'on se sentait totalement incompris par nos parents! Ça arrive quand on est ado de vouloir fuir très loin. Je me rappelle que je me faisais des plans pour partir de la maison. Je les dessinais sur des feuilles, un peu comme une carte au trésor, avec des directives à
suivre : 1. Je sors par en arrière. 2. Je traverse le champ. 3. Je me dirige ensuite vers la fameuse roche. 4. Je n'oublie pas d'apporter une pomme pour me sustenter. (Dix minutes, ce peut être assez long pour mourir de faim, surtout quand on a 12 ans.) 5. En tout cas, j'arrive à la roche. 6. Je m'assois dessus. 7. Et là je ne sais plus quoi faire. Je mange ma pomme en réfléchissant. Je ne sais pas trop où je devrais aller. Je ne suis même pas certaine que maman et/ou papa m'ont vue sortir de la maison. Je vais être bien avancée si je suis obligée de passer la nuit sur la roche. Bon, ben, c'est pas si pire que ça les règlements de la maison. J'y retourne avant que le souper ne soit servi.

Mais là "je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître" comme le chantait ce cher Charles Aznavour. Oui, un temps où on pouvait, enfant, prendre la clé des champs sans qu'aucun danger ne nous guette vraiment. En fait, le danger qui m'horripile le plus maintenant et qui m'empêche de pleinement profiter du simple plaisir de couper des fleurs sauvages, c'est le réchauffement climatique. Oui, oui, le réchauffement climatique qui fait en sorte que nous voilà obligés de nous méfier de toute bibitte qui s'approche de nous. Dans ce temps insouciant dont je vous parle, imaginez-vous qu'on pouvait ramasser des fleurs, mais aussi cueillir de petites fraises des champs, des bleuets et des framboises sauvages sans autre souci que de chasser les mouches ou les maringouins qui nous tournaient autour. Si, par malheur, nous étions piqués, eh bien nous en étions quitte pour un petit rond rouge sur la peau, une très légère enflure dans certains cas et une envie irrésistible de nous gratter à l'endroit de la piqûre. Je me souviens justement d'une de mes fameuses balades dans le champ à la recherche des fleurs mauves des trèfles, mes préférées. Je commençais à avoir une belle gerbe dans la main quand, soudainement, ayoye, vive douleur sur mon pouce! Je lâche tout. Je viens d'être piquée par une abeille aussi désireuse que moi de profiter des fleurs mauves. Mon doigt enfle à vue d'oeil. Je cours vers la maison. Je suis seule pour faire exprès mais, mais, j'ai suivi des cours de l'Ambulance Saint-Jean et je me rappelle qu'on y parlait de mettre du lait sur une piqûre d'insecte. Ce que je fais et l'enflure disparaît presque immédiatement. Voilà. Pas d'antibiotique à prendre. Pas d'insecte à retirer de ma peau en suivant une technique bien spécifique pour ne pas l'écraser. J'ai eu plus de peur que de mal et je me promets simplement de faire plus attention à l'avenir en coupant mes fameuses fleurs.

Où est passé ce temps bienheureux qui nous permettait de nous promener en forêt sans avoir à demeurer dans les sentiers? Sans avoir à nous habiller comme en hiver en rentrant nos chandails dans nos pantalons et en mettant nos bas par-dessus nos pantalons? Sans être tenu de nous vaporiser de produits chimiques puants? Hypocondriaque finie comme je le suis, je ne veux même pas exaucer le voeu le plus cher de l'Homme cet été et faire un pique-nique... à moins qu'il accepte de casser la croûte sur le trottoir en face de la maison! J'en suis rendue à craindre de me promener dans mon magnifique jardin au cas où je rencontrerais la tique maléfique ou le maringouin empoisonneur. Riez tant que vous voulez mais, l'année dernière, j'ai été piquée dans ma cour par un insecte non identifié (probablement une araignée nouvellement vénéneuse à cause du réchauffement climatique) et j'ai dû prendre des antibiotiques. Devrais-je dans les années à venir me limiter à du gazon ras et à des sentiers de roches?

Triste époque que la nôtre qui transforme un plaisir innocent en expérience hautement dangereuse. C'est pourquoi j'ai cueilli mes fleurs sur le bord du sentier asphalté du Rapibus en prenant bien soin de m'assurer qu'aucune bibitte suspecte ne tentait de me jouer un vilain tour. Heureusement je dois avouer que la beauté du spectacle offert par ma fenêtre de cuisine exquisement embellie par les fleurs ramassées a dépassé, et de loin, la peur viscérale d'être en train de m'offrir mon dernier bouquet.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire