lundi 27 septembre 2021

Lettre à Madeleine


 Mon jardin adoré, mon Vénérable, mes espiègles

Chère Madeleine, chère Maison,

cela va bientôt faire un an que je t'ai quittée. Ma peine s'atténue... un peu. Quand je pense à toi, c'est sûr que c'est le jardin qui me revient en mémoire. Ce jardin où j'ai tant travaillé mais où j'ai aussi beaucoup appris. Oui j'ai appris l'humilité d'abord du néophyte qui veut créer un magnifique endroit mais qui ne s'y connait comme pas du tout. J'ai dû faire mes classes, accepter les échecs, vivre les pertes. Puis, tout doucement, "parce que la Nature est généreuse comme dit l'Homme", j'ai commencé à ressentir juste le plaisir de travailler la terre. J'ai accepté de me tromper et de recommencer le printemps suivant car ainsi va la sagesse du temps qui passe et des saisons qui reviennent. Pour avoir un autre bel été, il faut d'abord accepter de vivre le dépouillement de l'automne, puis la mort de l'hiver. Mais est-ce vraiment la mort? Le vrai jardinier sait fort bien que sous les amas de neige se cache la vie qui sera toute prête à pointer le bout de son nez quand le soleil reviendra.

Oui ma petite Maison, tu m'as donné un abri mais aussi un endroit de paradis où je pouvais régulièrement vivre l'émerveillement, la reconnaissance, le plaisir de me plonger dans la vérité vraie. Quand je prenais des cours de yoga et que la prof nous disait de nous transporter dans un endroit que nous aimions, immanquablement je me retrouvais au pied de mon Vénérable, plus grand que nature, avec ses racines qui plongeaient profondément dans le sol. Je me voyais étendue à son pied, nichée tout près de son tronc dont je pouvais presque sentir les aspérités. Et j'admirais. C'était beau partout où mon regard se posait. Les hostas et les sceaux de Salomon, les échinacées, les fougères, et tous ces trop nombreux pots que je ne finissais pas de remplir quand la belle saison arrivait. Que dire de mes jardinets, cadeaux que je réclamais à chaque fête des mères, et dans lesquels je cultivais tomates, poivrons et fines herbes! 

J'ai souvent été témoin de drames dans mon jardin. Je pleurais mais je trouvais la force d'en sortir grandie même l'année où j'ai perdu tous mes espiègles dans l'étang. J'y vivais surtout des miracles cependant.  Comme de recevoir de l'amie N. quatre nouveaux mousquetaires pour nager dans ma pièce d'eau. Je ne voulais plus voir de vie dans mon bassin mais, encore une fois, j'avais une leçon à apprendre : la vie est plus forte que tout. 

Chère Maison, je ne te cache pas que j'ai trouvé l'été qui vient de passer vraiment très difficile. En plus de vivre un nouveau déménagement, j'ai dû accepter que je ne sortirais pas mon chariot de jardinage cette année pour m'élancer dans les plates-bandes et vivre des heures de pur bonheur. Ce chariot, c'est le plus beau et le plus extraordinaire cadeau que j'ai reçu dans ma vie. Quand l'Homme me l'a offert, j'ai littéralement capoté! Je pouvais y mettre tous mes outils de jardinage, en plus des plantes, et grâce à ses roues motrices (j'exagère un peu ici), je roulais vers la félicité dès que je sortais du garage. Je sais, je sais que les regrets ne servent à rien et que les larmes qui coulent de mes joues en ce moment ne ramèneront pas ces instants d'extase, d'où l'importance de savourer pleinement le moment. Et je l'ai fait, je peux te l'assurer.

Sache, petite Maison, que je dispose quand même maintenant d'une terrasse où je peux encore exercer mes talents de jardinière. L'Homme m'a d'ailleurs dit aujourd'hui que nous prouverons que "ça peut être beau même si c'est petit". Et je peux toujours m'échiner sur le terrain de la soeur Psy si le coeur m'en dit.



La Maison toute prête à accueillir le temps des fêtes

Mais tu n'as pas été qu'un extraordinaire jardin, chère Madeleine (c'est le nom de la mère de l'Homme et le nom que nous t'avions donné), tu as aussi abrité notre vie de famille avec beaucoup de chaleur et de bienveillance. En-dedans aussi j'avais réussi à créer une ambiance agréable d'où se dégageait une belle énergie. Souvent des gens nous disaient, "on est bien chez vous". C'est vrai qu'on était bien. Tu n'étais pas une maison moderne mais tu avais fait tes preuves au fil des années. Malgré tes petits bobos de maison vieillissante, tu nous protégeais, nous accueillais, nous et tous ceux et toutes celles qui sont venus passer de bons moments avec nous. Quand les enfants ont quitté le nid, l'Homme et moi t'avons soudainement trouvé bien grande même si tu ne l'étais pas tant que ça. Bien vide surtout. Tu sais, c'est un peu pour ça qu'on est parti. On était de moins en moins capable de vivre seuls, loin de nos familles. Ce fut une décision déchirante. 

Tu sais, faire le ménage de 37 ans de vie, c'est tout un défi. Nous avons dû passer au travers tous les souvenirs, et jeter beaucoup de petits et grands objets que nous gardions par pure nostalgie. Ai-je besoin de t'avouer que la plupart de ces objets étaient reliés à des souvenirs avec le Fils et la Fille? Mais bon, un jour, faut accepter de donner le mini-bâton de hockey ou la pelle rouge en plastique, et jeter les affiches toujours accrochées au sous-sol de la silhouette de la Fille dessinée lors d'une activité au Musée ou de l'Expo-Sciences à laquelle participait le Fils. Ouais. Ça n'a pas été facile de faire nos bagages et de te quitter pour la dernière fois. Je n'oublierai jamais cette nuit où, couchée dans le lit du Fils (parce que nous avions donné le lit qui était dans notre chambre), entourée des trois minets qui sentaient bien que quelque chose se passait, je me suis sentie terrifiée devant l'inconnu. 

Quelle leçon de détachement! Je n'en suis pas encore remise. Et je pense toujours à toi avec beaucoup d'amour. Chère Madeleine, chère Maison, je te dis un immense merci pour tout. Sois assurée que tu ne seras jamais oubliée.

Nicole xxxx


Dernière photo de famille prise dans la Maison, novembre 2020



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