mercredi 22 septembre 2021

Seule la présence existe

 


Dans sa chronique de lundi dernier, Nathalie Plaat du journal Le Devoir nous invitait à "parler de nos pertes, des absences qui se sont invitées dans nos vies depuis le début de cette pandémie". Je me risque ici à vous parler de ce qui m'a fait mal et de ce qui m'attriste encore.

Pour moi, la plus grande perte reste l'absence de contacts sociaux. Si la soeur Psy ne nous avait pas invités à venir vivre chez elle et, par le fait même, à quitter Gatineau pour Québec, je ne sais pas comment l'Homme et moi aurions vécu ce long confinement qui n'en finissait plus de finir. Je l'ai déjà dit, nos enfants sont loin et, malgré le fait que nous avions fait de l'Outaouais notre chez nous depuis 1977, nous étions seuls la plupart du temps surtout depuis la retraite. Avec les années, nous avions quand même réussi à bâtir des relations très significatives dans notre milieu, relations qui nous avaient permis entre autres de bénévoler dans plusieurs sphères d'activités. Quand le couperet des interdictions s'est abattu, les bénévoles ont écopé de façon drastique. Finies notamment les belles rencontres au CHSLD avec des gens dévoués et remplis d'amour et fini le plaisir de donner un sourire, de jouer au bingo et d'avoir du bon temps avec les résidents. Nous étions devenus persona non grata. J'imagine le drame horrible vécu par toutes les personnes âgées dans ces résidences. Non seulement elles ont été décimées par la maladie, mais elles se sont retrouvées complètement isolées.

Très vite, l'Homme et moi nous sommes rendus compte que l'isolement nous attendait aussi au détour. Impossible d'aller au resto avec les amis, encore moins de les recevoir à la maison autour d'un bon repas. Parce qu'ils habitaient dans une autre région, les enfants étaient touchés par les nouvelles consignes sanitaires et faisaient face à des embûches de plus en plus nombreuses pour venir nous voir. Et nous n'étions qu'en juillet. Nous pensions avec effroi à l'hiver qui arrivait et à la situation qui ne s'améliorait pas du tout. Fin novembre, nous avons dit adieu à notre maison adorée, à mon jardin chéri, et sommes partis avec armes, bagages et minets! 

À Québec, nous étions au moins trois pour affronter l'épreuve. Cela ne nous empêchait pas de nous languir de nos familles et de nos relations. Après avoir espéré un petit, tout petit rassemblement à Noël, nous avons dû, comme bien d'autres, nous faire à l'idée que nous étions pour fêter en trio. Vous dire à quel point nous avions le moral bas est un terme bien faible pour décrire notre état d'esprit. Nous n'avions jamais vécu ce genre d'isolement auparavant puisque nous avions toujours eu la chance de célébrer le temps des fêtes avec la famille, les amis et tous ceux qui voulaient bien se joindre à notre table. Il nous en a fallu du courage pour nous rendre à la nouvelle année! Et, à travers ça, le maudit C qui s'est ajouté dans mon cas. Tout l'hiver, mes compagnons d'infortune et moi avons arpenté le quartier, même dans les durs froids de janvier. C'était tout ce qui nous restait pour changer d'air et ne pas totalement déprimer!

Pâques ne nous a pas épargnés davantage. Il a fallu attendre le printemps et les vaccins pour commencer à retrouver une vie à peu près normale. Normale? Vraiment? Je me rappelle les premières rencontres post-vaccin avec mon papa où nous osions à peine nous toucher. Pas question de se donner un bec ou de se faire une étreinte. Nous gardions nos masques par prudence. Nous évitions d'aller dans son condo. On se voyait dehors, dans le parc. Heureusement que le temps se réchauffait. Et que dire de la première visite de nos enfants vaccinés! On se regardait presque comme des chiens de faïence. Encore là, on ne voulait pas trop s'approcher. On ne savait pas, dans mon cas du moins, si on devait rire ou pleurer de se retrouver après tant de mois passés à zoomer une fois par semaine pour tenter de se faire croire que cela compensait l'absence. C'était mieux que rien ces rendez-vous virtuels, c'est tout ce que je peux dire. Mais des fois, c'était plus souffrant qu'autre chose. Se voir à l'écran, s'échanger des nouvelles, se dire la difficulté d'être éloignés, vraiment, quand je cliquais "Quitter" à la fin de cette heure qui avait passé beaucoup trop vite, je pleurais souvent à chaudes larmes pendant un long moment.

Pour moi, la vie d'avant n'est toujours pas revenue et je ne sais pas si elle reviendra un jour prochain. Oui on peut reprendre des activités (bénévolat, sorties culturelles, resto, repas en famille, déplacements entre régions) mais il reste toujours la peur d'attraper ou de donner la maladie, qu'on soit vacciné ou non. Les étreintes chaleureuses, les baisers échangés, les poignées de main solides, la possibilité d'être en famille ou entre amis autour d'une grande tablée où il n'y a pas de distanciation sont toutes des choses qui me manquent terriblement. D'ailleurs, je me rappelle fort bien avoir été bouleversée à plusieurs reprises en écoutant la télévision quand on y présentait des scènes devenues impensables avec l'arrivée des contraintes sanitaires. Juste voir des gens rire autour d'une table, tassés les uns contre les autres, en se passant des plats dans lesquels tous pigeaient allègrement devenait de la science-fiction, ou pire, l'expression de la fin du monde dans laquelle nous étions maintenant plongés.

Comprenez-moi bien. Il m'arrive de succomber à l'envie irrésistible de donner un bec sur la joue à un de mes enfants ou de faire une accolade bien sentie à mon papa, ou à un ami, mais il reste cette hésitation, cet interdit, ces fameuses consignes sanitaires qui planent toujours au-dessus des rapprochements humains. Reprendrons-nous cette habitude bien ancrée dans nos chaumières de s'accueillir en se serrant fort les uns contre les autres et en s'assénant des baisers bien sentis? Nos rapports se sont refroidis et aseptisés comme les masques que nous portons pour nous protéger du virus. À force de nous désinfecter les mains, nous en sommes venus à les dépouiller de leur vocation première : le toucher. Oui, le toucher pour réconforter, pour soigner, pour accompagner, pour apaiser, pour encourager, pour aimer. Toucher un écran, c'est manquer la présence.


 



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