lundi 20 septembre 2021

Trop



Je suis trop. Depuis toujours. Enfant, j'avais peur de la mort, surtout la nuit. Je voulais dormir avec une veilleuse. Je me faisais des scénarios dignes de films d'horreur. Les images défilaient dans ma tête. J'avais vraiment peur de m'éteindre là, frappée d'une crise cardiaque... à 7 ans. Trop. Que faire pour rassurer une petite fille qui n'est pas capable de se raisonner? Qui a une imagination tellement débordante qu'elle croit à un moment donné qu'une vilaine sorcière est venue empoisonner la dernière paparmane qui traînait sur le comptoir de la cuisine. Elle y croit fort, trop, et pendant plus d'une semaine, demeure persuadée qu'elle vit ses derniers jours avant de succomber aux affres du poison.


Anxieuse vous direz? Trop, encore une fois. La peur me paralyse souvent. Les risques, la nouveauté, très peu pour moi. Je dois me sentir en sécurité. Entourée de mes affaires. Imaginez ce que la pandémie est venue faire dans ma vie! Elle a plus souvent qu'à son tour exacerbé ma conviction d'attraper mon coup de mort. Évidemment, dans mon entourage rapproché, je suis la seule à avoir été atteinte du fameux virus. C'est sûr, celle qui nettoyait les poignées de porte aux dix secondes, qui rouspétait continuellement contre l'Homme qui oubliait de porter son masque (surtout au début de cette fin du monde), qui paniquait à l'idée de sortir de la maison, qui se baignait presque dans cet affreux désinfectant dont on s'inonde les mains sans arrêt, bref, la maniaque du trop, ben c'est elle qui a été obligée d'être dépistée, traquée, puis confinée.


Je suis trop dans tout. Vous voyez les photos ci-dessus? Selon l'Homme, trop de bibelots, trop de cadres. C'est moi qui époussette, mais c'est lui qui installe. Pas évident. Pourtant, des fois, je trouve ça bien ce côté excessif qui me permet d'apprécier au boutte la vie de tous les jours, les petits riens qui enchantent mon quotidien. Je peux m'arrêter pour contempler un ver de terre qui se tortille sur la terrasse après la pluie et prendre le temps de le déplacer doucement vers le gazon vert plus accueillant. Je peux stopper net ma marche pour écouter le vent dans les arbres, le rire des enfants dans la cour de l'école, pour sentir l'odeur des fleurs de trèfle ou écouter le son des grillons dans l'été qui s'achève. Je peux me sourire à moi-même en transplantant une de mes plantes d'intérieur ou en sortant du four une douzaine de mes fameux muffins. Je dois dire que mon sourire était encore plus grand dans le cas des muffins quand je pensais au plaisir des personnes qui allaient les déguster le mercredi soir grâce aux bénévoles d'Itinérance Zéro. 


Être trop comporte malheureusement son lot de lourdeur. Parce que je suis trop sensible, je capote de voir des animaux abandonnés ou maltraités. Au fil des années, et au grand dam de l'Homme, je n'ai cessé de recueillir des minets dans ma maison. Et je me révolte au max devant les inégalités sociales, la solitude des personnes âgées, l'indifférence de notre société envers les plus démunis. Dans ces moments-là, le coeur me serre fort, les larmes me montent aux yeux à cause de l'impuissance. Bénévoler un peu, donner des sous, être à l'écoute, ça ne me suffit pas. Mon âme de missionnaire du trop reprend le dessus et je suis prête à partir sauver le monde avec mes pauvres moyens. 


Le plus difficile, je crois, c'est le raz-de-marée que je cause parfois quand je suis trop. Je veux que l'Homme danse avec moi dans la cuisine parce que je suis juste heureuse d'entendre une chanson que j'aime à la radio. Tant pis s'il a les deux mains dans le bol de toilette pour réparer quelque chose qui coule. Je veux danser là, maintenant! Je veux aussi être près, près de mes enfants qui sont loin, loin. Alors j'envoie trop de textos, je demande peut-être trop de nouvelles, je veux entendre leur voix trop souvent et, surtout, toujours, toujours être sûre qu'ils m'aiment comme moi je les aime. Je sais que c'est trop. Ce n'est pas parce que les gens sont moins qu'ils ne peuvent pas quand même aimer à leur façon. Trop et moins, deux réalités pas faciles à concilier. Pour atténuer un peu le trop en moi, je suis vraiment maladroite. J'essaie de faire semblant que recevoir moins ne me dérange pas ou ne me fait pas mal. Je tente d'envoyer des messages qui me semblent moins exigeants, mais c'est encore trop. Alors, je ne sais pas vraiment quoi faire avec ce trop qui m'habite. Comment on fait pour être moins quand tout notre être vibre continuellement au plus haut diapason? Viser moins, je ne suis pas capable. Désolée. 
 

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