jeudi 28 juin 2012

Pleure, Irma, pleure

Comme je voudrais ne plus jamais avoir à jouer au Petit Prince. Finalement, je déteste ce rôle. Je hais la responsabilité qu'il impose. Vous aurez compris que je parle ici de Mini Mignon (eh! oui, c'était un minet du sexe fort!). Alors, voilà, je vous expose la situation.

Je les ai dorlotés, lui et maman Irma, pendant près de deux semaines. Tous les matins, au chant du coq, j'étais dans la cuisine en train de nettoyer les bols de nourriture et de changer l'eau afin d'apporter leur pitance à mes deux protégés. Tous les soirs, après mes journées de bénévolat ou pendant la préparation du souper, je m'attelais d'abord à remplir la panse de mes bêtes à poils. Deux fois par jour, donc, je me suis appliquée à apprivoiser les fauves. Installée sur un petit banc, je tentais de les attirer pour leur apprendre que certains humains sont quand même gentils. Comme vous le savez, j'avais pas mal bien réussi à remplir ma mission d'ambassadrice de notre race.

Mais petit chaton a grandi. Et maman a commencé à s'absenter de plus en plus souvent et pour des périodes de plus en plus longues. Je suis devenue inquiète pour la sécurité de Mini Mignon surtout que la famille de ratons avait fait une razzia un de ces soirs dans les plats de garnottes que j'avais malencontreusement oublié de rentrer dans la maison. Heureusement, le lendemain matin, mon petit protégé était sain et sauf. N'empêche.

En plus, je trouvais que je l'avais rendu vulnérable en le privant de sa méfiance instinctive envers les humains. Je n'avais plus maintenant qu'à m'approcher de l'ouverture dans la clôture et à déclamer en langage félin : "Petit chou, où es-tu? Viens voir maman." Et il arrivait de suite n'hésitant plus à traverser dans ma cour pour se faire flatter. Il était maintenant presque toujours seul. Maman Irma le laissant à lui-même une grande partie de la journée, je me faisais un devoir de jouer beaucoup avec lui pour lui changer les idées et éviter par la même occasion qu'il ne détruise complètement les feuilles de mes hostas qu'il adorait mordiller et déchirer avec ses griffes.

Finalement, il y a eu une journée où il est tombé pas mal de pluie. J'ai bien constaté que son abri semblait assez étanche puisqu'il n'était pas tout mouillé lorsqu'il est venu manger. Par contre, j'avais le coeur brisé à l'idée de le laisser tout seul dehors pendant la nuit. J'avais vraiment peur qu'il lui arrive quelque chose. Lundi soir, je l'ai pris pour le rentrer dans la maison. Il a passé la nuit dans le portique du salon. Il a été formidable. Il a joué avec moi, il a mangé, il est allé dans sa litière et il s'est couché sur la couverture que je lui avais installée dans un coin. Il ne s'est pas laissé intimider non plus par les sifflements et les miaulements peu engageants de Maxi Mignonne et de la Reine-Marguerite qui sont toutes deux venues l'examiner de l'autre côté de la porte-fenêtre.

Mardi matin, l'Homme était en congé. Pendant que j'étais partie bénévoler, il s'est occupé d'amener Mini Mignon à la SPCA. Je préférais vraiment ne pas être là lorsqu'il quitterait la maison. Apparemment, Mini Mignon a été chaudement accueilli par les responsables du refuge qui prévoient qu'il se trouvera un foyer très rapidement. J'étais triste parce que j'aurais aussi aimé que maman Irma fasse partie du voyage. C'est que je tiens absolument à la sortir de l'errance. Bien évidemment, elle ne s'est jamais montrée le bout du nez la journée en question.

Elle est revenue seulement hier. Elle voulait manger. J'ai sorti la nourriture et j'ai essayé de la caresser. Elle s'est reculée et a carrément refusé que je l'approche. Je sentais bien qu'elle était fâchée. J'avais beau utiliser mon langage chat, je n'arrivais plus à la convaincre que j'étais une "gentille humaine". À un moment donné, elle m'a fixée droit dans les yeux et s'est dirigée vers le garage. Je savais trop bien ce qu'elle cherchait : Mini Mignon. Je suis rapidement allée au sous-sol récupérer le jouet en tissu avec lequel son bébé s'était tant amusé. Je ne l'avais pas encore lavé. J'étais certaine qu'elle y retrouverait l'odeur de son petit. Je suis allée m'asseoir sur le banc. Elle était là. De l'autre côté de la clôture. Elle sentait un peu partout. Après un bout de temps, elle s'est couchée et m'a regardée. Je lui ai parlé. Je lui ai montré le jouet pour la convaincre de traverser la clôture. J'ai pleuré parce que je me sentais comme le pire des monstres. Et si par malheur Mini Mignon n'était pas prêt à être adopté? Et si je l'avais enlevé trop vite à sa maman? J'ai essayé encore de me réconcilier avec maman Irma et, enfin, le miracle s'est produit. Elle est venue me retrouver et, lorsque je lui ai tendu le jouet, elle s'est couchée dessus, s'est frottée contre lui, l'a léché et l'a serré entre ses pattes. À ce moment-là, j'ai pu aussi la toucher, la flatter et pleurer avec elle. J'avais l'impression qu'elle faisait son deuil, qu'elle comprenait ce qui était arrivé. Au bout de quelques minutes, elle est repartie en empruntant le trou que l'Homme avait accepté de faire pour me permettre de jouer au Petit Prince. Un rôle sacré devenu un sacré rôle!

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