vendredi 17 juin 2011

Le Pusher et la Kamikaze

Aujourd'hui, j'étais branchée non pas sur du métal mais bien à un tensiomètre ambulatoire. Vous auriez dû voir l'appareillage. Digne des pays les plus pauvres de la planète! C'est là que j'admire le jugement de nos politiciens, et de nos concitoyens tant qu'à y être, qui préfèrent investir dans un aréna plutôt que dans les soins de santé. Et pourtant... au nombre de malades qui vont envahir ce haut temple du sport, je trouve qu'il faudrait consacrer des flots de billets verts aux services dont ils auront tous éventuellement besoin.

M'enfin. Revenons à cet appareil du Néanderthal. Moi je pensais naïvement porter un petit brassard noir qui prendrait des données je ne sais trop comment. Je croyais surtout que j'aurais l'air un peu cool. Comme j'étais loin de la réalité. Tout d'abord, l'hôpital n'avait pas en stock la largeur de brassard dont j'aurais eu besoin. C'est donc toute la partie entre mon coude et l'épaule qui était couverte d'un hideux brassard bleu délavé. Et il n'avait même pas l'air propre. Attaché après, un long fil brun en caoutchouc qui me passait derrière la tête, entrait dans mon chandail et se connectait à une batterie/compresseur que je devais porter à la ceinture. C'était d'un inconfort total. J'étais désespérée. Juste me voir ainsi branchée, j'avais envie de pleurer. Comme je ne cessais de passer de vilains commentaires sur le bleu malade qui entourait mon bras, le technicien a accepté de me prêter une ceinture noire qu'un patient découragé de la laideur des ceintures utilisées avait acheté lui-même et légué à l'hôpital par pitié. Je le comprends.

Je suis sortie de là avec deux recommandations : je ne pouvais pas prendre de bain ou de douche, et je devais vaquer à mes occupations comme si de rien n'était. Très drôle. J'ai quand même tenté l'expérience. En arrivant à la maison, je me suis changée en essayant de ne pas arracher l'attirail et je suis partie sur mes trottoirs chéris. Quand la machine bipait, aux trente minutes, je devais m'arrêter et attendre que le brassard gonfle pour enregistrer ma tension. À la fin de mon parcours, après avoir été obligée de stopper trois fois mon rythme de marcheuse, j'étais prête à hurler. Dire que le technicien, en constatant mon état de panique pendant ma transformation en kamikaze, m'avait suggéré de faire du yoga! Un peu plus et je m'installais dans la position du chien la tête en bas, drette là. Mais j'ai respiré un bon coup en me rappelant qu'il ne m'en restait que pour vingt-deux heures!

Heureusement, le Pusher et moi avions convenu d'aller dîner ensemble. J'espérais secrètement que cela me change les idées. J'étais quand même un peu gênée de me promener en public avec l'affaire bleue au bras, alors j'ai enfilé une veste grise en coton ouaté. C'était parfait pour une journée chaude et humide...

Le Pusher en avait vu d'autres et il n'a pas semblé incommodé par mon nouveau look. Nous sommes donc allés nous acheter de la bière et nous avons mangé et bu en jasant et en bipant. C'était formidable!!?! Enfin, nous sommes partis ensuite chez lui pour écouter du métal et là j'ai fait une découverte : le métal enterrait le bip-bip qui me tapait sur les nerfs. Si ce n'avait été du fait que le bras me gonflait à intervalles réguliers, j'aurais presque pu oublier mon état de terroriste de la tension artérielle.

Après, de retour à la maison, tout s'est gâché. J'ai osé continuer à bouger, à vaquer quoi. J'ai été à l'épicerie où j'ai acheté entre autres un immense cantaloup et un aussi immense melon au miel, puis au Marché de solidarité où j'ai transporté neuf plants de tomates (je sais, c'est trop), une caissette de fleurs (des calendulas et c'est trop, ça aussi) et du basilic pourpre, du basilic thaïlandais et de l'eucalyptus (je ne sais pas où je vais mettre tout ça). J'ai ensuite préparé une sauce pour les côtes levées. Je suis allée chercher l'Homme au travail (la machine a encore bippé pendant que je conduisais - vous ai-je dit que lorsqu'elle n'arrive pas à prendre sa lecture, elle recommence deux minutes plus tard? C'est ce qu'elle a fait). J'ai joué dans mes plantes. C'est là qu'elle s'est mise à s'emballer. Faut dire que ça faisait quelques fois que j'essayais de replacer le maudit brassard qui descendait tout le temps. Et je ne cessais de jouer avec le foutu fil qui me passait presque par-dessus la tête toutes les fois que j'avais le malheur de me pencher un tant soit peu.

Bref, nous avons explosé toutes les deux en même temps la machine et moi, comme les kamikazes. Seulement moi je suis encore en vie. Je ne sais pas cependant si je vais le rester longtemps, surtout quand le doc va apprendre que j'ai pété les plombs!

1 commentaire:

  1. Ah! Quel texte! Ça vous remonte le moral après une dure journée. À vous imaginer vaquer contre vents et marées, on voit toutes nos difficultés se transformer en banalités.

    Merci pour votre belle plume et votre sens inégalé de la narration!

    L'amie yogini

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