jeudi 17 mai 2012

Je persiste et je signe

Des fois j'ai envie de faire comme les animaux blessés : me terrer dans un coin et attendre. Disons que cette semaine la race humaine me pèse particulièrement. Des réflexions blessantes, des jugements rapides, des manques de délicatesse et d'écoute. J'ai un peu honte, mais je suis surtout beaucoup triste quand je dois me taper tout ça. Alors, je voudrais juste me retirer et flatter Mignonne.

Je m'assois aussi sur le bord de l'étang. Les espiègles sont si heureux d'avoir retrouvé leur jet d'eau et les nénuphars que j'ai repêchés des profondeurs. Évidemment, ils sont constamment dans les pots en train de fouiller au travers des roches. L'autre matin, c'est une grenouille qui avait trouvé refuge sur le dessus d'une feuille. Vous ai-je dit que mon quintette était devenu un sextuor? Eh! oui, une autre amie batracienne est venue se joindre à la gang des G. L'Homme et moi commençons à être à court d'imagination pour baptiser nos nymphettes de la cuisse. Celle-ci s'appellera Gisèle en l'honneur de ma mère. Je ne suis pas certaine que cette dernière aurait apprécié que l'on donne son nom à une grenouille mais l'Homme a dit que c'est comme si elle venait nous rendre visite. Et puis, elle aimait l'eau et rire un bon coup. Je crois qu'elle va être gâtée avec ce groupe de baigneuses.

Entre mes séances de zoothéraphie féline et aquatique, j'ai côtoyé des gens qui en arrachaient pas mal. J'ai recueilli les larmes d'hommes et de femmes qui vivaient des choses difficiles. Vous êtes-vous déjà retrouvé en face de quelqu'un qui pleure parce qu'il a faim et qu'il ne sait plus où aller pour trouver de la bouffe? Il a d'abord essayé de rester fort et de ne pas vous montrer à quel point il est découragé, totalement désemparé, au bout de sa corde. Puis, les émotions ont pris le dessus. Il n'a plus rien à donner à ses enfants. Il a vendu des bouteilles la veille pour leur acheter des miettes de nourriture. Lui-même saute pratiquement tous les repas pour ménager les quelques aliments qui restent. Et là, selon les règles, vous devriez lui dire non. Lui dire qu'il ne fait pas partie du territoire desservi. Lui dire que le prochain dépannage, c'est seulement la semaine prochaine. Lui dire que vous ne pouvez l'aider qu'une seule fois. Lui dire que nous n'avez jamais de viande à mettre dans les paniers. Peut-être que vous, vous arriveriez à le faire. Moi pas. Et toutes les personnes avec qui je travaille non plus. On essaie donc de faire des miracles. De multiplier les pains et les poissons. On accepte de faire cinq autres sacs parce que, encore une fois, c'est une situation plus déchirante que la précédente qui nous est jetée dans la face.

Pendant ce temps, dans le monde des extraterrestres qui nous gouvernent, je lis dans Le Devoir de ce matin que les conservateurs réservent "un accueil vitriolique au rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation, qui critique sévèrement le Canada pour avoir laissé l'insécurité alimentaire prendre du terrain. Ottawa estime que l'ONU gaspille ses ressources à s'attaquer à un pays riche et démocratique qui n'a de leçons à recevoir de personne." Hum. Puis-je ici lever la main et vous inviter, chers élus, à vous rendre à la banque alimentaire la plus près de chez vous? Puis-je vous demander d'essayer de survivre avec les quelques denrées grapillées ici et là pour tenter de compléter les maigres achats que vous pouvez faire avec les prestations généreuses que vous accordez aux plus démunis? Je voudrais tellement que vous reveniez sur Terre.

Voici ce qui fait tiquer le gouvernement. Le rapporteur signale que le Canada "est un pays où les inégalités augmentent, où les 10 % les plus riches ont 10 fois plus de richesses que les 10 % les plus pauvres. C'est un pays où les impôts et les programmes réduisent moins les inégalités que dans la plupart des autres pays et aujourd'hui, nous avons un grand nombre de Canadiens qui vivent dans une pauvreté inacceptable ne leur permettant pas de se nourrir." Vraiment pas de quoi pavoiser.

Mon voisin m'a dit qu'il avait vu ma mère ratonne se traîner sur trois pattes l'autre soir : "Elle doit être blessée. À cause de toi et de tes plats de nourriture, elle continue à rôder dans le coin. Tu l'attires, elle et les chats errants. À cause de toi, ils restent en santé et continuent à se multiplier. Il faut se débarrasser de toute cette vermine."

Ouais. J'ai enlevé les plats de la galerie. Je les ai mis dans un meilleur endroit. Un endroit où on ne les voit pas de la rue. Je constate que maman ratonne, et les chats, ont repéré leur nouveau poste de nourriture. Comment puis-je dire non? J'ai vu Rita avec ses trois bébés. Et Irma, ma chatte d'Espagne errante qui a déjà eu deux portées, s'est faite attraper par le gros matou gris dimanche après-midi. L'insécurité alimentaire se trouve partout. La bonté, faut la chercher.

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