samedi 26 mai 2012

Un géant blessé

Hier, pendant l'orage qui a frappé la région en soirée, j'étais dans ma chambre, au deuxième, plutôt inquiète de voir mes immenses cèdres tournoyer dans tous les sens. Je me suis croisé les doigts pour qu'ils tiennent le coup. J'ai été exaucée.

Une fois la tempête apaisée, je suis descendue à la cuisine pour me préparer une tisane. "Comme il fait noir," me suis-je dit, en constatant que la lumière n'entrait pas de la façon habituelle par les fenêtres d'en arrière. Et pour cause. Le roi de ma cour, mon érable que j'adore, avait été atteint. Gravement. Une des branches principales de son tronc se trouvait maintenant accotée en partie sur le toit du garage, en partie sur la corde à linge et en partie sur le toit de la maison. Je ne pouvais même pas sortir pour l'examiner de plus près car je craignais que la branche touche peut-être des fils électriques. Paniquée, j'ai rapidement composé le 411 pour me rendre compte que je m'adressais au service d'assistance-annuaire. Je n'arrivais plus à me rappeler du fameux numéro d'urgence de la ville. Finalement, les neurones se sont connectés. C'est le 311. J'y étais... à un chiffre près. Désespérée d'entendre le message m'informant que toutes les lignes étaient occupées, j'ai décidé de couper court et de contacter les pompiers au 911. Comme je ne pouvais signaler ni flammèche, ni fumée, j'en fus quitte pour me remettre dans la file d'attente du précédent numéro. Quand j'ai finalement réussi à parler à quelqu'un, ce fut pour apprendre que la ville ne pouvait absolument rien pour moi. "Étant donné que l'arbre est dans votre cour, les employés ne sont pas autorisés à y entrer. Ils ne sont pas assurés s'il arrive quelque chose," m'a expliqué une préposée indifférente à mon malheur. "Fort bien," que je lui ai répondu, "mais si je me retrouve écrasée sous l'arbre, allez-vous venir me chercher?" "Madame, je vous le répète, nous ne pouvons rien faire. Communiquez avec votre assureur," a-t-elle conclu notre conversation.

Mon assureur. C'est vrai ça. Nous ne payons pas ces primes depuis des années pour rien. Seul hic : c'est l'Homme qui s'occupe de ces questions. Je sais, je sais. Ce n'est pas parce que ces choses m'horripilent que je devrais m'en désintéresser. La preuve. Me voilà donc plus paniquée que jamais en train de chercher dans le classeur le dossier "Assurance-habitation". Je dois ensuite me retrouver dans le fouillis laissé par l'Homme. Évidemment, le contrat de cette année ne figure pas sur le dessus de la pile mais bien quelque part au milieu. Je repère le numéro d'urgence et je le compose dans la cuisine, devant la fenêtre, en essayant de ne pas pleurer. De voir mon géant ainsi blessé me crève littéralement le coeur. Et puis, je ne veux même pas imaginer la possibilité qu'il puisse mourir.

Après m'avoir demandé de lui expliquer ma situation d'urgence, l'assureur s'enquiert si je ne connais pas quelqu'un qui possède une scie à chaîne et qui pourrait venir couper une partie des branches pour limiter les dégâts possibles sur les bâtiments. J'ai pensé à mon voisin d'en face, le macho fini. Évidemment qu'il est armé d'une scie à chaîne. Mais j'ai trop peur qu'il décide d'abattre mon géant purement et simplement dans le but d'en récupérer le bois. "Non," que je m'écrie, "je ne connais personne de ce genre. Moi je veux que ce soit un émondeur, un professionnel qui vienne secourir mon arbre." J'essaie alors de lui d'expliquer qu'il s'agit d'un très gros arbre, un géant, et que ce n'est pas la trousse de premiers soins dont il a besoin, mais bien du bloc opératoire et au plus vite! Heureusement, j'avais aussi entre deux appels laissé un message à l'émondeur qui avait déjà soigné mon géant. Je ne pensais pas qu'il offrait un service d'urgence. Je me trompais. Il m'a rappelé pour m'annoncer sa visite pour ce matin. Entre-temps, je n'avais pas le choix, selon lui, de faire appel à un maniaque de la tronçonneuse pour sécuriser les lieux. L'assureur m'a envoyé son homme. Un jeune homme en fait. Il était gentil et... téméraire. Grimpé sur une échelle, il maniait la scie en essayant tant bien que mal de retenir les branches qu'il coupait, une manoeuvre qui s'est avérée très dangereuse lorsqu'il s'est attaqué à une section plus grosse de la branche blessée. Il s'est ainsi retrouvé en déséquilibre tentant de rester sur l'échelle sans perdre la scie ni la branche qu'il venait de sectionner. Selon l'Homme, la façon dont notre jeune homme a réussi à s'en sortir relève du Cirque du Soleil!

Ce matin, pendant que j'attendais l'expert arboriste, je suis allée au chevet de mon géant. Je lui ai tenu la branche malade comme si je lui tenais la main. Je lui ai fait la promesse de tout faire pour le sauver. Et j'ai ajouté en le serrant plus fort : "Et toi, je te demande de ne pas m'abandonner après toutes ces années où tu m'as servi de confident. J'ai besoin de ton énergie puisée au creux de la Terre et de ta majesté sublime cueillie au faîte du firmament."

Le spécialiste est arrivé. Il avait l'air découragé en faisant le tour du géant. Il prenait plein de notes sur un calepin. Il m'a expliqué que mon ami avait été infiltré par des insectes à l'endroit de son ancienne blessure. C'est pour ça que la branche avait cédé. Il m'a dit que c'était grave, très grave, mais qu'on pouvait le sauver : "Il va être handicapé, mais bien en vie." C'est tout ce que je voulais entendre.

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